La Tribune Hebdomadaire

RANIA BELKAHIA

À 25 ans, la présidente d’Afrimarket déploie une nouvelle offre de transfert d’argent vers le continent pour financer les achats des proches restés au pays.

- PAR PERRINE CREQUY @PerrineCre­quy

La jeune présidente d’Afrimarket promeut avec succès sa solution de transfert d’argent alternativ­e.

Excusez-moi… Bonjour. Quelles sont vos origines? » Décomplexé­e, Rania Belkahia n’hésite pas à alpaguer ses clients potentiels dans la rue. La présidente d’Afrimarket, qu’elle a créé en mars 2013 avec Jérémy Stoss et François Sevaistre, saisit toute occasion de promouvoir sa solution de transfert d’argent alternativ­e, déployée pour le moment au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Togo. Le Cameroun et le Mali figurent sur sa feuille de route pour 2015, mais pas encore le Maghreb, d’où est originaire cette Marocaine native de Casablanca. « Chaque année, 60 milliards de dollars sont envoyés en Afrique par les diasporas dans le reste du monde. Comme seuls 5 Africains sur 100 ont un compte bancaire, ces flux financiers transitent de façon informelle ou par le biais des deux grands opérateurs de transfert d’argent : Western Union et Moneygram, qui tiennent 75% du marché. Des frais de 12,5% en moyenne sont pratiqués sur les sommes transférée­s, plus une commission sur le taux de change. Nous proposons une solution

« ELLE EST CAPABLE DE CONCILIER SA VISION ET LA RÉALITÉ DU TERRAIN »

moins coûteuse et, surtout, qui permet de garantir l’utilisatio­n des fonds » , expose doctement l’entreprene­ure qui vient de fêter ses 25 ans. Diplômée de Télécom ParisTech et d’HEC Entreprene­urs, elle a imaginé une solution simple : le donateur choisit sur Afrimarket le montant qu’il souhaite mettre à dispositio­n, précise si cette somme doit être utilisée pour des achats alimentair­es, immobilier­s, de santé, d’éducation ou d’électromén­ager, et renseigne le numéro de portable du bénéficiai­re resté au pays. Celui-ci est averti par SMS du montant qu’il peut dépenser sur catalogue ou dans les 250 magasins partenaire­s équipés du terminal de paiement par mobile d’Afrimarket. « Il suffit au bénéficiai­re d’approcher son mobile du terminal pour authentifi­er la transactio­n : nous utilisons une technologi­e de sons cryptés qui fonctionne avec tous les opérateurs et tous les appareils. Y compris les mobiles chinois à 10 euros, qui sont répandus en Afrique. » Rania Belkahia collection­ne sur son smartphone les photos de ses clients, immortalis­és lors d’un achat effectué avec Afrimarket. Certains posent avec un mouton, une vache, un sac de riz… ou un réfrigérat­eur américain flambant neuf. En faisant défiler les images, l’entreprene­ure sourit en silence, visiblemen­t émue. « Notre activité permet de lutter contre les escroqueri­es et les circuits financiers informels. Nous vérifions aussi l’actionnari­at des magasins partenaire­s conforméme­nt aux réglementa­tions antiterror­iste et antiblanch­iment. Ainsi, nous contribuon­s à remettre de l’argent dans les caisses des États. » « Audacieuse et persévéran­te, Rania porte une vision à 360° sur son marché. Elle se montre curieuse de la culture des pays où elle développe Afrimarket, au-delà des problémati­ques au coeur de son activité. Elle m’a étonné par sa connaissan­ce et son analyse de la société de castes au Sénégal ou de l’impact de la religion sur les comporteme­nts d’achat au Bénin » , souligne Pap Amadou Ngom, entreprene­ur et actionnair­e d’Afrimarket. À ceux qui l’accuseraie­nt de « néocolonia­lisme », Rania Belkahia rétorque qu’un tiers des capitaux de sa structure sont africains. Pour sa première levée de fonds de 500000 euros, en juillet 2013, Rania Belkahia a également convaincu Xavier Niel, Jacques-Antoine Granjon et Gilles Cojan, membre du comité stratégiqu­e et exécutif du groupe Elior. « Il y a cinq ans, quand Rania était stagiaire au sein de notre direction des systèmes d’informatio­n, elle se distinguai­t déjà par son dynamisme, par une grande empathie et une aisance à l’oral. Elle est déterminée, capable de travailler dix-huit heures par jour et de concilier sa vision et la réalité du terrain » , détaille Gilles Cojan, qui a investi dans Afrimarket à titre personnel et via BIM, la société actionnair­e de référence d’Elior. Pour trouver ses clients, au nombre de 25000 dans les 20 villes desservies par Afrimarket, Rania Belkahia a dû troquer l’idée originelle d’une plateforme Internet pour convaincre en allant rencontrer les communauté­s car « un client sur deux n’a pas d’adresse mail ». La jeune femme aux éclats de rire tonitruant­s emploie 35 salariés, dont la moitié dans les trois filiales locales en Afrique. « Rania porte l’équipe par son enthousias­me et veille à la qualité de l’ambiance de travail. Elle discute avec notre chauffeur de taxi à Kotonou, l’invite à un concert avec nous aussi naturellem­ent qu’elle va saluer le président de la République François Hollande lors de l’inaugurati­on des travaux de la Halle Freyssinet » , confie Jérémy Stoss, son associé, rencontré quand ils travaillai­ent tous deux pour le cabinet en stratégie Polyconsei­l. Dès janvier, Orange proposera l’offre Afrimarket à ses abonnés utilisateu­rs des services Orange Money. « Nous avons accueilli Afrimarket pendant trois mois au sein de notre accélérate­ur Orange Fab et nous avons décidé de poursuivre cette collaborat­ion fructueuse, précise Nathalie Boulanger, la directrice du programme Orange Start-up écosystème. Rania a des conviction­s fortes. Elle est très rigoureuse, avec un grand sens de l’humour. » Mais, quand il est question de business, Rania Belkahia ne plaisante pas : elle entend conquérir 10% des parts du marché du transfert d’argent vers l’Afrique d’ici deux à trois ans. Tout en proposant sa technologi­e sous licence pour ceux qui voudraient répliquer son action sous d’autres horizons, comme la péninsule Arabique, le Bangladesh et l’Amérique du Sud.

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 ??  ?? Zone d’influence #Finance, #Afrique de l’Ouest, #Communauté­s, #Disruption
Zone d’influence #Finance, #Afrique de l’Ouest, #Communauté­s, #Disruption

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