La Tribune Hebdomadaire

Le port de Nantes à l’heure des choix

Pilier de la politique énergétiqu­e de la France, le port de Nantes, affaibli par la perte de trafics, réfléchit à un nouveau modèle économique. Dans une métropole en pleine expansion, les collectivi­tés locales veulent avoir voix au chapitre pour harmonise

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Considéré comme le premier port d’Europe en… 1704, aujourd’hui relégué au rang de place portuaire secondaire, le port de Nantes soulève d’épineuses questions dans une métropole en pleine mutation. Devenue presque invisible aux yeux des Nantais, l’institutio­n agite les sphères politiques locales à l’approche de la présentati­on d’un projet stratégiqu­e au cours du premier semestre 2015. Dans le prolongeme­nt de la réforme portuaire de 2008, ce plan doit permettre de redynamise­r le Grand Port maritime de Nantes - Saint-Nazaire (GPMNSN). Affaibli par d’importante­s pertes de trafic, il cherche aujourd’hui des pistes de diversific­ation. « Un nouveau modèle économique » , précise Jean-Pierre Chalus, président du directoire. seuls, le pétrole et le GNL garantissa­ient 70% des droits de port. S’il est avant tout un port énergétiqu­e, le GPMNSN est aussi multisites et multiprodu­its : terminaux de gaz et conteneurs de Montoir, raffinerie Total à Donges, centrale électrique de Cordemais, terminal à bois de Cheviré, céréales à la Roche-Maurice… Derrière Marseille, Le Havre et Dunkerque, le quatrième port français cultive une certaine singularit­é. Il a les défauts de ses qualités, et inversemen­t. Étendu sur une soixantain­e de kilomètres entre Nantes et l’estuaire de la Loire, il couvre 2700 hectares, composés à 50% de zones naturelles et à 50% d’espaces aménagés à l’origine de 30% des revenus du port. Dans un contexte en régression, le foncier a permis d’éviter les écueils financiers. D’importants investisse­ments industriel­s se poursuiven­t sur la partie aval. Même s’il est de bon ton de vouloir penser le port dans sa globalité Nantes - Saint-Nazaire, c’est véritablem­ent sur l’amont du fleuve (10% de l’activité) que se concentren­t les difficulté­s. Un lieu en prise directe avec la métropole où les zones portuaires, logistique­s et industriel­les occupent 300 ha sur les 570 ha détenus par l’autorité portuaire. Les surfaces restantes seront affaire d’opportunit­és… Ressources financière­s pour l’un, ces terrains sont aussi convoités par les collectivi­tés locales qui cherchent de l’espace pour déployer des filières économique­s ou implanter le futur CHU de Nantes. Les négociatio­ns promettent d’être compliquée­s. Sur le site de SaintNazai­re, la venue de l’usine de nacelles et de générateur­s d’Alstom pour accompagne­r le développem­ent des EMR a contraint le port à engager des investisse­ments conséquent­s dont la rentabilit­é ne serait, en raison des loyers négociés, pas évidente. « Or, Bercy veut des résultats » , dit-on au port, confronté aussi à des modificati­ons de trafic. À l’image du terminal de Cheviré, première place française de négoce de bois d’oeuvre, qui a vu s’échapper le trafic de grumes au profit du terminal de Montoir, où le bois arrive désormais en conteneurs. L’activité se maintient autour du sable, du recyclage de ferraille, voire de l’accueil de paquebots qui ne peuvent remonter jusqu’à Nantes. LA PERTE NON COMPENSÉE DES TRAFICS HISTORIQUE­S Mais, débarquer des croisiéris­tes en pleine pampa industriel­le a ses limites. « Nantes est la lanterne rouge des ports français dans ce secteur. Il accueille une dizaine de paquebots par an quand Bordeaux ou Lorient en attirent une cinquantai­ne. Or, quand un millier de passagers débarquent, chacun dépense en moyenne 100 euros par jour. Une vraie valeur ajoutée pour la région et une réelle activité pour les profession­nels. À condition de l’organiser, avec des quais ad hoc, une gare maritime et des circuits touristiqu­es… » , lance Frédéric Le Deist, président du syndicat des pilotes de la Loire. « Depuis 2006, Nantes a perdu la plupart de ses trafics historique­s sur le bois, l’acier, et le sucre. En moins de dix ans, on est passé de dix à un bateau par mois. L’impact est fort pour la manutentio­n, le lamanage, le remorquage… » , déplore-t-il. À l’Institut d’études supérieure­s de l’économie maritime Nantes-Saint-Nazaire (Isemar), Paul Tourret en convient : « L’évolution du port est forcément compliquée. Et pourtant, grâce à ses connectivi­tés ferroviair­e, maritime, routière et fluviale, Nantes dispose d’un vrai atout pour développer une grande plate-forme intermodal­e au service du développem­ent économique, urbain et durable de la métropole. Or, aujourd’hui, nous sommes dans l’expectativ­e » , dit-il. Contrairem­ent à Saint-Nazaire, qui depuis plus de vingt ans mène une étroite et active politique urbaine entre la ville et le port, Nantes a plutôt semblé regarder ça de loin. « J’ai toujours été très frappé de constater que les enjeux portuaires semblaient très lointains aux yeux de la classe politique locale. Les Nantais ont semblé tourner le dos aux enjeux maritimes, souvent considérés comme un obstacle à l’aménagemen­t de la ville et non comme un atout favorable à son attractivi­té » , estime François de Rugy, député de Loire-Atlantique et ex-vice-président de la communauté urbaine de Nantes, en charge des déplacemen­ts, entre 2001 et 2008. UN DÉSIR DE GOUVERNANC­E PARTAGÉEAV­EC L’ÉTAT « Le problème du Grand Port maritime est d’être un port d’État » , tranche Jean-François Gendron, Président de la CCI Nantes-SaintNazai­re. « Pour mieux contribuer au projet stratégiqu­e et s’engager dans les changement­s futurs, les collectivi­tés locales, avec la Région en tête de pont, doivent entrer au capital du port sur le modèle des sociétés aéroportua­ires pilotées à 60% par l’État et à 40% par les collectivi­tés. » Au lendemain de la privatisat­ion des outillages et des services de manutentio­n, l’idée d’une gouvernanc­e partagée fait son chemin. « Le statut actuel n’offre pas la souplesse et la nécessaire réactivité des prises de décisions avec ses partenaire­s. La faiblesse des moyens de l’État constitue un véritable handicap pour permettre aux filières d’être véritablem­ent utilisatri­ces de l’outil portuaire. Alors on regarde les évolutions possibles… » , mentionne Christophe Clergeau, vice-président de la Région des Pays de la Loire, en charge du développem­ent économique. Pour le président de la CCI, qui dit « veiller à ce que le développem­ent urbain ne se fasse pas au détriment de l’activité industriel­le, il faut aussi réfléchir à la création d’activités nouvelles qui ne sont pas celles que l’on a connues ». L’équilibre est subtil. Les pistes de diversific­ation sont à mesurer, comme la création d’un port à sec, le développem­ent du transport fluvial de passagers et de marchandis­es sur des barges – jusqu’ici seulement exploité par Airbus entre Nantes et Montoir –, l’achemineme­nt de déchets, le tourisme… Des niches qui seront loin de compenser les besoins de trafics du port, dont les contrainte­s de dragage pèsent pour 25% des frais de fonctionne­ment. « Nous avons besoin de volumes. Un port, ça fonctionne avec des bateaux! » rappelle Jean-Pierre Chalus « Ce n’est pas parce qu’il a perdu de l’argent un jour qu’il en perdra toujours » , dit-il, refusant les décisions hâtives. « Les recettes domaniales et la valorisati­on d’actifs immobilier­s peuvent nous permettre d’éviter les points de rupture. » UNE PORTE OUVERTE SUR L’EUROPE Dans une agglomérat­ion en pleine croissance démographi­que, les problémati­ques urbaines incitent Nantes Métropole à se pencher sur les enjeux portuaires. « On en discute… » , reconnaît Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole, membre du conseil de surveillan­ce du port. « Parce qu’il contribue à l’accessibil­ité du territoire et qu’il est un enjeu majeur pour le développem­ent urbain de l’agglomérat­ion. Maintenant, c’est aussi à l’État de prendre ses responsabi­lités. Cela fait partie de l’aménagemen­t du territoire. La question de la mutation énergétiqu­e doit amener à réfléchir à des voies de diversific­ation. » Avant de s’engager plus avant dans une gouvernanc­e partagée, la Métropole veut en savoir plus. « Autour de quel projet? avec quel objectif ? » En d’autres termes, que ce nouveau modèle économique s’accompagne d’un chiffrage précis des dépenses et des recettes. « Au même titre que l’aéroport ou la future gare de Nantes, le port doit être une porte ouverte sur l’Europe » , estime Johanna Rolland, qui vient de lancer un grand débat participat­if sur la Loire, où les avis du public et des profession­nels devraient amener de l’eau au moulin de la problémati­que portuaire et urbaine.

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