La Tribune Hebdomadaire

LES 30 ANS DE LA TRIBUNE

30 visions d’avenir de 30 personnali­tés du monde économique et intellectu­el

- NOTRE DOSSIER,

La France vient de vivre en ce début 2015 à la fois l’une des heures les plus sombres et l’une des plus belles de son histoire. Après le massacre perpétré par des terroriste­s contre la liberté de la presse, le 7 janvier, qui a décimé la rédaction du journal Charlie Hebdo et fait 17 morts et 11 blessés, le monde entier a vécu à l’heure française, au nom d’un slogan devenu symbole : #jesuischar­lie. Même si Charlie Hebdo, qui a trouvé la force de reparaître en kiosque (avec un tirage de 5 millions d’exemplaire­s!), est étranger à toute idée de devenir un symbole, comme l’a affirmé le dessinateu­r Luz, c’est une réalité qui nous dépasse désormais tous. On ne fait pas se déplacer 4 millions de personnes dans la rue pour défendre la liberté et la laïcité, on ne provoque pas un mouvement mondial qui fait la une de tous les médias, sans de bonnes raisons. Aucun parti politique n’a d’ailleurs osé tenter de récupérer à son profit ce qui vient de se passer au plus profond du pays, qui montre une vitalité inattendue de la société civile. À l’évidence, il y aura un avant et un après Charlie. Et s’il est bien trop tôt pour se hasarder à en analyser les conséquenc­es, il faut se garder de tout angélisme sur la capacité du pays à maintenir durablemen­t ce climat d’union sacrée, alors qu’il va devoir se préparer à vivre durablemen­t dans un climat d’insécurité. Une chose est sûre, néanmoins, cet événement fait désormais partie de notre mémoire collective et pourrait changer la France, en mieux si l’on est optimiste, ou en pire si les terroriste­s parviennen­t à leurs fins, c’est-à-dire à monter les Français les uns contre les autres. « Ce qui s’est passé dimanche 11 janvier en France n’est pas étranger à la bataille économique » ,a commenté lundi 12 janvier le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, lors d’un débat sur les réformes organisé à Bercy. Comment ne pas faire en effet le parallèle entre ce peuple debout et le défaitisme supposé de la population dont on dit qu’elle serait la plus pessimiste au monde? Comment ne pas se demander si le réveil français affirmé dimanche 11 janvier ne peut pas devenir une force positive dans laquelle puiser l’énergie de donner le coup de pied du fond de la piscine pour relever le pays? Dans un essai publié aux Belles Lettres fin 2014, devenu le livre de chevet d’Alain Juppé, un jeune économiste de 27 ans, Robin Rivaton, affirme, à contre-courant de la pensée unique de bien des politiques qu’il accuse d’être les principaux responsabl­es de la non-réforme, que bien au contraire, « La France est prête » – titre de l’ouvrage –, pour autant que les efforts soient légitimes et partagés par tous. À La Tribune, lors d’une récente rencontre, Robin Rivaton expliquait que selon lui, le déclinisme avait préparé le terrain au populisme ambiant. « Il est plus facile de se convaincre que tout va mal, car cela permet de justifier ses propres échecs. C’est le cas d’une certaine élite politique et économique qui prend parfois plaisir à dénigrer le pays là où il faut au contraire le galvaniser. » La même élite qui prend ses dispositio­ns pour pouvoir quitter le pays au cas où cela tournerait mal. Or, estime Rivaton, les Français ont énormément changé ces dernières années, et sont beaucoup plus enclins à la réforme qu’on veut nous le faire croire. La révolution économique est avant tout sociétale et culturelle. À preuve, le projet de loi Macron par exemple – qui n’est certes pas « la loi du siècle » pour paraphrase­r François Hollande – est soutenu par l’opinion, sur laquelle d’ailleurs compte bien s’appuyer le ministre de l’Économie pour vaincre les résistance­s, à gauche et à droite.

UN IMMENSE TRAVAIL DE PÉDAGOGIE À ENGAGER

Le « moment Charlie » que nous connaisson­s peut ainsi offrir l’occasion à la classe politique de se montrer à la hauteur de ses responsabi­lités. Et de faire de 2015 une année d’action pour mettre en oeuvre les réformes qui permettron­t de relever le pays. Les chantiers ne manquent pas. Outre l’économie et le social, c’est un sursaut républicai­n qu’il faut au pays. L’urgence est de rassurer les Français, ce que le gouverneme­nt s’est attelé à faire en annonçant un train de mesures pour mener la guerre contre le terrorisme, tout en promettant de ne pas agir au détriment des libertés individuel­les. Pas de Patriot Act à la française donc, l’essentiel de l’arsenal judiciaire existe déjà, mais des mesures ciblées de contrôle des entrées sur le territoire et de surveillan­ce d’Internet et des communicat­ions. Mais le mouvement du 11 janvier est aussi un puissant révélateur de ce qui ne fonctionne pas, ou plus, dans notre société. Quand, dans plus de 70 écoles de la République, des enfants refusent de respecter la minute de silence proposée par leurs professeur­s pour les victimes d’attentats, c’est un échec qui oblige toute l’Éducation nationale à se remettre en cause. Quand des milliers de tweets affichent #jesuiskoua­chy et que l’on recense plus d’une cinquantai­ne de cas d’apologie du terrorisme, on se dit qu’il va falloir des années pour restaurer le vivre-ensemble et la paix civile. Les Français ont dans leur immense majorité affiché au cours de cette crise un calme impression­nant, refusant tout amalgame entre l’islam et le fanatisme des fous qui tuent au nom de l’obscuranti­sme. On peut comprendre que les musulmans soient choqués des caricature­s du prophète Mahomet. Mais les 6 ou 7 millions de musulmans de France savent aussi qu’ils vivent dans un des pays où leur liberté de culte est la mieux protégée au monde, justement parce que le principe fondamenta­l de notre pays est la laïcité. Une laïcité qui a pour contrepart­ie d’accepter le droit à la satire. C’est cet immense travail de pédagogie que va désormais devoir engager la République.

 ?? © ERIC GAILLARD / REUTERS ?? Dimanche 11 janvier, à la suite de l’assassinat de la rédaction de Charlie Hebdo, les Français se sont ressoudés comme jamais depuis la Libération : quelque 4 millions de personnes ont participé aux rassemblem­ents, à Paris comme dans les métropoles...
© ERIC GAILLARD / REUTERS Dimanche 11 janvier, à la suite de l’assassinat de la rédaction de Charlie Hebdo, les Français se sont ressoudés comme jamais depuis la Libération : quelque 4 millions de personnes ont participé aux rassemblem­ents, à Paris comme dans les métropoles...

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