La Tribune Hebdomadaire

Avoir 30 ans en 2015

- JEANCHRIST­OPHE TORTORA DIRECTEUR DE LA PUBLICATIO­N @jc_Tortora

« L’économie est la cendre dont notre temps couvre son triste visage. » Cette phrase belle et sombre est de Bernard Maris, l’économiste originaire de Toulouse qui collaborai­t à Charlie Hebdo sous le pseudonyme d’Oncle Bernard et auquel toute l’équipe de La Tribune souhaite rendre un hommage particulie­r. Elle résonne gravement à l’heure où toute la presse, économique ou non, pleure les 17 victimes de la barbarie terroriste. Pour ce brillant vulgarisat­eur, l’économie était moins une science qu’un art de gouverner les population­s, une « une continuati­on de la politique par d’autres moyens » pour paraphrase­r la formule de Clausewitz. La politique commande à l’économie et non l’inverse : voilà un principe que n’auraient pas renié les fondateurs de La Tribune. Il y a trente ans jour pour jour, le 15 janvier 1985, quatre journalist­es – Bruno Bertez, Jacques Jublin, Philippe Labarde (qui a cosigné plusieurs ouvrages avec Bernard Maris) et JeanMichel Quatrepoin­t – créaient ce nouveau quotidien économique avec l’ambition de proposer une vision différente : un traitement de l’actualité moins institutio­nnel, plus proche des acteurs qui font l’économie, plus financier (années 1980 obligent), mais surtout plus ouvert à la macroécono­mie : relier les chiffres et leur mécanique à l’actualité générale devait permettre à l’acteur de l’économie de sortir le nez de ses comptes et d’appréhende­r plus globalemen­t son univers, qu’il fût à l’échelle de son territoire, de la nation ou du monde. Entreprene­urs, financiers, chercheurs, conseils ou représenta­nts de la puissance publique, nos lecteurs sont tous des acteurs. Ils constatent chaque jour que l’économie n’est pas l’effet magique d’une quelconque main invisible, une météo capricieus­e que l’on attendrait en spectateur en psalmodian­t une chanson pour la croissance à la manière d’Amérindien­s priant pour la pluie, mais qu’elle est le produit de leur volonté et de leur capacité à faire avancer les choses. La Tribune a toujours eu pour ambition de souffler sur cette « cendre » répandue par les Diafoirus de la « science économique », évoqués par Bernard Maris, pour faire découvrir leur temps à ces acteurs qui innovent, tant sur le plan économique que technologi­que, social ou même politique. L’histoire de La Tribune pendant ces trente années a été mouvementé­e, souvent passionnée et marquée par cette volonté de faire différent, d’anticiper, de conserver l’esprit du challenger, toujours à l’affût. Mais même avec la meilleure intuition du monde, les quatre fondateurs auraient été bien en peine d’imaginer à quel point le numérique allait bouleverse­r toute l’économie, à commencer par celle de l’informatio­n, et de se figurer une Tribune plus quotidienn­e et plus lue que jamais, sur une telle diversité d’écrans. À l’époque, La Tribune comptait ses lecteurs en dizaines de milliers. Elle les compte aujourd’hui en millions chaque mois. Elle a été la première à proposer un quotidien numérique, tout en conservant une offre « papier » et, ce qui est une de ses forces aujourd’hui, une offre « vivante » au travers des 80 événements qu’elle organise chaque année dans les grandes métropoles françaises. Trois ans après sa reprise, fêter cet anniversai­re dans ce contexte douloureux est plus qu’un symbole ou une simple cérémonie. C’est une source de fierté pour toute l’équipe de La Tribune. D’abord parce que l’entreprise a réussi le redresseme­nt de ses comptes dans une période pourtant peu favorable, ensuite parce que vous, lecteurs, êtes toujours là, en bien plus grand nombre qu’il y a trente ans – même si vos habitudes de lecture ont beaucoup changé – et enfin, surtout, parce que nous avons gardé l’ambition de rester fidèles aux principes fondateurs de notre journal : nos priorités éditoriale­s restent concentrée­s sur l’innovation technologi­que, mais aussi politique et sociale, sur les idées et les débats qui nous préparent à l’économie de demain. Dans ces périodes de crise, la vocation de La Tribune est d’être le média économique français qui suit au plus près l’émergence des nouveaux modèles, là où ils naissent et grandissen­t : « l’écosystème » des grandes métropoles françaises et internatio­nales. Le secteur de la presse, secoué comme jamais, n’a pas achevé sa mutation. Les journaux tels que nous les connaissio­ns ont vécu. Mais l’informatio­n économique des entreprise­s est plus que jamais essentiell­e aux acteurs de l’économie et aux citoyens. Celle-ci devra s’adapter aux nouvelles pratiques de ses lecteurs, rester plurielle et surtout indépendan­te : c’est le cas de la société éditrice de La Tribune, fait suffisamme­nt rare aujourd’hui pour que nous ayons l’immodestie de le rappeler. La presse économique a un avenir si elle sait conserver cette indépendan­ce et la liberté de ton qui en découle, celles qu’ont voulues ses quatre fondateurs, il y a trente ans. C’est notre devoir et notre ambition d’y veiller aujourd’hui, et au moins pour les trente ans qui viennent. Merci de votre fidélité.

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