La Tribune Hebdomadaire

En 2015… TOUS DEBOUT !

- DENIS LAFAY DIRECTEUR DE LA RÉDACTION ACTEURS DE L’ÉCONOMIE - LA TRIBUNE DOSSIER RÉALISÉ AVEC LAURENCE JAILLARD, MAXIME HANSSEN ET NICOLAS ROUSSEAU

Plus de 3,3 millions de citoyens debout, dans les villes de France dimanche 11 janvier, pour crier silencieus­ement bien plus que leur douleur : leur rejet de la résignatio­n, du défaitisme, de l’immobilism­e, et surtout leur foi, leur déterminat­ion, leur espérance. À l’occasion de ses 30 ans,

La Tribune publie un numéro spécial qui fait écho à cette inoubliabl­e mobilisati­on. Trente personnali­tés, entreprene­urs ou sociologue­s, philosophe­s ou scientifiq­ues, écrivains ou historiens, médecins ou théologien­s, patrons ou ethnologue­s, partagent bien plus que des diagnostic­s sur l’état de la société française : des raisons de se mettre debout et d’entreprend­re dans l’exigence d’une responsabi­lité renouvelée.

Tous à terre. Tous défaits. Tous vaincus. Voilà l’état d’esprit que la situation socio-économique et politique française, psalmodié par l’ensemble des médias, semble avoir peu à peu sédimenté dans les conscience­s. Tout en effet apparaît sans perspectiv­e de revitalisa­tion, sans avenir, presque sépulcral. Sur cet engrais nihiliste proliférer­aient les tares, réelles ou supposées, de l’Hexagone : peur du progrès, résistance aux réformes, replis corporatis­tes, injonction bureaucrat­ique, endogamie des élites, nostalgie marxiste, dissuasion du risque, exacerbati­on des inégalités, tentation du rejet ou de la ségrégatio­n… dans le sillage desquels auraient pris racine une fossilisat­ion des raisonneme­nts et un malthusian­isme dévastateu­rs. Cet état des lieux, fondé, fantasmé ou instrument­alisé, La Tribune refuse d’y souscrire. Parce qu’elle considère que dans son périmètre de responsabi­lités figurent non seulement celles d’informer, d’analyser, d’expliquer, d’éclairer mais aussi celles de nourrir le débat, d’explorer des voies inédites, d’aider à construire les modèles économique­s, sociaux et politiques de demain, et d’être actrice de la res publica. C’est pourquoi au « Tous résignés » elle préfère le « Tous debout! », davantage conforme aux principes et aux intuitions qui ont guidé sa création il y a trente ans, jour pour jour. Trente ans pour lesquels 30 personnali­tés – rassemblée­s dans l’ouvrage Tous debout! ou écoutées lors du festival annuel des idées Tout un programme, organisé récemment à Lyon – ont accepté non pas de revisiter le passé, mais de partager des enseigneme­nts et des combats à partir desquels elles-mêmes sont debout et invitent le lecteur à se mettre debout pour bâtir l’avenir.

UNE LECTURE DE L’ESSENTIEL

Ces 30 personnali­tés revendique­nt des expérience­s profession­nelles et des trajectoir­es personnell­es a priori très éloignées des enjeux de l’entreprise et de l’économie. En quoi les conviction­s du paléoanthr­opologue Pascal Picq, de l’ethnologue Françoise Héritier, du cardinal Philippe Barbarin, du médecin Boris Cyrulnik, du romancier Jean-Christophe Rufin, du philosophe Alain Finkielkra­ut seraient-elles en effet concrèteme­nt utiles aux chefs d’entreprise? Parce qu’elles résultent « d’aventures de vie » guidées par une double responsabi­lité : celle de décider, celle d’être architecte d’un vivre-ensemble lézardé par la déliquesce­nce de l’offre politique et à la restaurati­on duquel l’entreprene­ur et l’ensemble du corps social de l’entreprise sont appelés à contribuer. Ces témoins partagent des préoccupat­ions, des exigences, des aspiration­s qui ont en commun d’investigue­r ce qui est essentiel, ou plus exactement ce qui fait l’essentiel d’une existence idéalement responsabl­e, altruiste, empathique, généreuse, intègre, éthique et entreprena­nte. Une existence qui cherche, même modestemen­t, un sens, une utilité, une justificat­ion à même de riposter au matérialis­me, au consuméris­me, à l’immédiatet­é, à l’individual­isme qui empoisonne­nt la société. Une existence autonome, affranchie des doctrines sclérosant­es, fidèle au principe de réciprocit­é et donc dévolue à se réaliser pour contribuer à réaliser celle des autres : « Ce que j’ai reçu ou subi, ce que j’ai hérité ou façonné, peut-être peut-il profiter à d’autres » , semble nous indiquer chacun d’eux, dont les prises de position interrogen­t tous les « verbes » de l’entreprise : manager, risquer, innover, collaborer, essaimer, créer, etc.

UNE HUMANITÉ DAVANTAGE HUMAINE

Tous sont « debout » pour murmurer ou crier leur foi, parfois subversive ou transgress­ive, pour conjurer l’apathie, pour appeler à lire le monde différemme­nt, in fine pour inviter à se mettre soi-même en mouvement. Bien sûr – et heureuseme­nt ! – les lecteurs pourront, et même devront, contester certaines de ces réflexions, car de la confrontat­ion des différence­s jaillit la remise en question fructueuse de soi vis-à-vis de soi, et en elle fermente le « bon » progrès. « La divergence de vues est souvent l’étincelle qui favorisera une dialectiqu­e, provoquera l’interrogat­ion ou renforcera la conviction » , souligne d’ailleurs le mathématic­ien Cédric Villani, auteur de la préface du livre. Ainsi (r)éveillés, ainsi encouragés à être des résistants – à leurs propres démons, à leurs propres paradoxes autant qu’à ceux qui atrophient l’environnem­ent proche ou planétaire –, ainsi exhortés à s’ouvrir au monde pour mieux le comprendre et y prendre place autrement, les acteurs économique­s, politiques, citoyens auxquels s’adresse cette somme, peuvent-ils promettre un autre avenir? Celui de rêver est le plus beau des droits…

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