En 2015… TOUS DEBOUT !
Plus de 3,3 millions de citoyens debout, dans les villes de France dimanche 11 janvier, pour crier silencieusement bien plus que leur douleur : leur rejet de la résignation, du défaitisme, de l’immobilisme, et surtout leur foi, leur détermination, leur espérance. À l’occasion de ses 30 ans,
La Tribune publie un numéro spécial qui fait écho à cette inoubliable mobilisation. Trente personnalités, entrepreneurs ou sociologues, philosophes ou scientifiques, écrivains ou historiens, médecins ou théologiens, patrons ou ethnologues, partagent bien plus que des diagnostics sur l’état de la société française : des raisons de se mettre debout et d’entreprendre dans l’exigence d’une responsabilité renouvelée.
Tous à terre. Tous défaits. Tous vaincus. Voilà l’état d’esprit que la situation socio-économique et politique française, psalmodié par l’ensemble des médias, semble avoir peu à peu sédimenté dans les consciences. Tout en effet apparaît sans perspective de revitalisation, sans avenir, presque sépulcral. Sur cet engrais nihiliste proliféreraient les tares, réelles ou supposées, de l’Hexagone : peur du progrès, résistance aux réformes, replis corporatistes, injonction bureaucratique, endogamie des élites, nostalgie marxiste, dissuasion du risque, exacerbation des inégalités, tentation du rejet ou de la ségrégation… dans le sillage desquels auraient pris racine une fossilisation des raisonnements et un malthusianisme dévastateurs. Cet état des lieux, fondé, fantasmé ou instrumentalisé, La Tribune refuse d’y souscrire. Parce qu’elle considère que dans son périmètre de responsabilités figurent non seulement celles d’informer, d’analyser, d’expliquer, d’éclairer mais aussi celles de nourrir le débat, d’explorer des voies inédites, d’aider à construire les modèles économiques, sociaux et politiques de demain, et d’être actrice de la res publica. C’est pourquoi au « Tous résignés » elle préfère le « Tous debout! », davantage conforme aux principes et aux intuitions qui ont guidé sa création il y a trente ans, jour pour jour. Trente ans pour lesquels 30 personnalités – rassemblées dans l’ouvrage Tous debout! ou écoutées lors du festival annuel des idées Tout un programme, organisé récemment à Lyon – ont accepté non pas de revisiter le passé, mais de partager des enseignements et des combats à partir desquels elles-mêmes sont debout et invitent le lecteur à se mettre debout pour bâtir l’avenir.
UNE LECTURE DE L’ESSENTIEL
Ces 30 personnalités revendiquent des expériences professionnelles et des trajectoires personnelles a priori très éloignées des enjeux de l’entreprise et de l’économie. En quoi les convictions du paléoanthropologue Pascal Picq, de l’ethnologue Françoise Héritier, du cardinal Philippe Barbarin, du médecin Boris Cyrulnik, du romancier Jean-Christophe Rufin, du philosophe Alain Finkielkraut seraient-elles en effet concrètement utiles aux chefs d’entreprise? Parce qu’elles résultent « d’aventures de vie » guidées par une double responsabilité : celle de décider, celle d’être architecte d’un vivre-ensemble lézardé par la déliquescence de l’offre politique et à la restauration duquel l’entrepreneur et l’ensemble du corps social de l’entreprise sont appelés à contribuer. Ces témoins partagent des préoccupations, des exigences, des aspirations qui ont en commun d’investiguer ce qui est essentiel, ou plus exactement ce qui fait l’essentiel d’une existence idéalement responsable, altruiste, empathique, généreuse, intègre, éthique et entreprenante. Une existence qui cherche, même modestement, un sens, une utilité, une justification à même de riposter au matérialisme, au consumérisme, à l’immédiateté, à l’individualisme qui empoisonnent la société. Une existence autonome, affranchie des doctrines sclérosantes, fidèle au principe de réciprocité et donc dévolue à se réaliser pour contribuer à réaliser celle des autres : « Ce que j’ai reçu ou subi, ce que j’ai hérité ou façonné, peut-être peut-il profiter à d’autres » , semble nous indiquer chacun d’eux, dont les prises de position interrogent tous les « verbes » de l’entreprise : manager, risquer, innover, collaborer, essaimer, créer, etc.
UNE HUMANITÉ DAVANTAGE HUMAINE
Tous sont « debout » pour murmurer ou crier leur foi, parfois subversive ou transgressive, pour conjurer l’apathie, pour appeler à lire le monde différemment, in fine pour inviter à se mettre soi-même en mouvement. Bien sûr – et heureusement ! – les lecteurs pourront, et même devront, contester certaines de ces réflexions, car de la confrontation des différences jaillit la remise en question fructueuse de soi vis-à-vis de soi, et en elle fermente le « bon » progrès. « La divergence de vues est souvent l’étincelle qui favorisera une dialectique, provoquera l’interrogation ou renforcera la conviction » , souligne d’ailleurs le mathématicien Cédric Villani, auteur de la préface du livre. Ainsi (r)éveillés, ainsi encouragés à être des résistants – à leurs propres démons, à leurs propres paradoxes autant qu’à ceux qui atrophient l’environnement proche ou planétaire –, ainsi exhortés à s’ouvrir au monde pour mieux le comprendre et y prendre place autrement, les acteurs économiques, politiques, citoyens auxquels s’adresse cette somme, peuvent-ils promettre un autre avenir? Celui de rêver est le plus beau des droits…