La Tribune Hebdomadaire

« Le vrai danger, une alliance entre le populisme et le communauta­risme »

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– Ressentez-vous de la fierté après avoir observé la mobilisati­on de la société française après l’attentat contre

? Et comment répondre à cette nouvelle menace terroriste ?

ALAIN MINC – Jacques Julliard a employé un mot qui me va bien en qualifiant de « mai 1968 positif » le mouvement spontané né autour du slogan #jesuischar­lie qui a rappelé dans le monde entier la force des valeurs de tolérance et de liberté qui ont fait se lever la société française. La classe politique a fait preuve de responsabi­lité en s’abstenant de tout amalgame entre le fanatisme islamiste et la religion musulmane, y compris le Front national. Ce qui s’est passé est extrêmemen­t rassurant sur la vitalité de la démocratie en France dont la société civile n’est pas avachie, contrairem­ent à ce que certains disent, et sait se mobiliser et se rassembler dans les moments de crise. Pour autant, une fois passée la satisfacti­on ressentie par tous devant la force de la République, il faut désormais répondre à quelques questions cruciales pour nous prémunir contre la répétition de tels événements. Comment changer la politique pénitentia­ire pour que nos prisons ne deviennent pas le chaudron du fanatisme intégriste que l’on sait? Cela veut dire plus d’argent afin que les prisonnier­s aient des cellules individuel­les et ne soient pas endoctriné­s pendant leur détention. Deuxièmeme­nt, si l’on veut éviter que nos jeunes soient à la merci d’imams salafistes, nous devons nous demander s’il ne faut pas créer des écoles coraniques contrôlées par la République. Et par conséquent suspendre, au moins provisoire­ment, la loi de 1905 pour la religion musulmane.

Les années en « 15 » marquent souvent l’entrée dans le siècle. De ce point de vue, comment voyez-vous 2015 ? Marignan ou Waterloo? Renaissanc­e ou désastre?

Pour la France, 2015 sera une année encore très médiocre sur le plan économique et extrêmemen­t aléatoire sur le plan politique. Médiocre pour l’économie parce que malgré les espoirs nourris en haut lieu avec la chute des prix du pétrole et de l’euro, qui offrent des facteurs exogènes propices à une reprise de l’activité dans le monde, le bateau France a été mis dans une position de fragilité telle qu’il n’en profitera que modestemen­t. S’il y a du vent, il ne soufflera pas assez fort dans nos voiles. Politiquem­ent, ce sera une année très aléatoire, car nous sommes dépendants d’un scénario de l’apocalypse, selon moi. Vous imaginez la tête de la France si en décembre, aux régionales, le Front national remporte deux régions, le Nord-Pasde-Calais pour Marine le Pen et Paca pour son père… Est-ce que le FN va continuer son implantati­on locale? Voilà le risque vers lequel nous mène le populisme.

Avant même tout scénario de ce genre en France, vous imaginez la tête de l’Europe si Syrisa en Grèce et Podemos en Espagne emportent les élections générales sur un front anti-austérité, voire anti-euro…

Les deux situations que vous évoquez ne sont pas du tout de même nature. En Espagne, les efforts ont porté leurs fruits et Podemos, même si son score est significat­if, n’empêchera pas les partis de gouverneme­nt de serrer les rangs pour ne pas ruiner le travail qui a permis de remettre le pays sur de bons rails. La Grèce, c’est autre chose. Angela Merkel a bien raison de mettre la pression sur ce pay, car le risque d’une sortie de la zone euro – bien que je ne la souhaite pas –, n’est plus le même qu’il y a deux ans. L’Union bancaire a permis au système financier de se désensibil­iser au risque de « Grexit », qui ne serait pas une catastroph­e pour les pays périphériq­ues.

Cela montre aussi que les peuples européens ne veulent plus de l’austérité…

Mais tout le monde aujourd’hui est contre, l’austérité. En France, ce n’est pas faire une politique d’austérité quand on affiche un déficit supérieur à 4% du PIB et que la hausse des salaires dépasse celle de l’inflation! L’Allemagne est le seul pays en Europe à faire encore de l’austérité budgétaire, en s’imposant d’être en excédent. Et elle le compense par un plus grand laxisme salarial, ce dont il faut se réjouir. Avec plus de 5% de hausse des salaires dans le privé sur dix-huit mois, selon les derniers accords, l’Allemagne relance sa demande intérieure et sa consommati­on, ce qui profitera à tous. L’Europe a réagi au message d’une extrême violence que lui ont adressé les marchés financiers; le risque était celui d’une explosion du système et si cela s’était produit, l’austérité aurait été d’une tout autre ampleur que celle que nous avons connue.

Dans votre livre, vous décrivez trois scénarios pour le futur, dans un monde devenu hyperindiv­idualiste à l’heure d’Internet et de la mondialisa­tion. Quels sont-ils ?

Dans le premier futur possible, les « individus-atomes » sont à la société ce que les acteurs économique­s sont au marché : des rouages inconscien­ts d’une réalité qui les dépasse. Dans cette société, relativeme­nt stable, l’État parvient à cantonner les soubresaut­s sociaux. C’est un scénario du statu quo, le plus probable, mais médiocre, où les individus-atomes s’isolent de plus en plus, mais sans que rien de véritablem­ent subversif ne se passe. Les libertés et l’économie de marché parviennen­t cahin-caha à se perpétuer, dans une atmosphère poisseuse et déprimée. C’est un peu la situation que nous traversons. Le deuxième futur est plus violent : une alliance se produit entre le populisme et le communauta­risme, de façon moins caricatura­le que celle développée par Houllebecq dans son dernier livre, Soumission, mais avec pour conséquenc­e la subversion du système politique, l’éclatement de l’Europe, de sa monnaie et de ses libertés. Un régime autoritair­e, proche de celui de la Russie poutinienn­e se met en place et instaure un nouveau corporatis­me. La troisième hypothèse est plus optimiste : la société d’individus-atomes parvient à accoucher d’un nouveau contrat social, dont nous voyons les prémices, encore balbutiant­es, dans le développem­ent d’une économie d’entreprene­urs et de start-up, nouvelle cellule de base de la société, ou dans l’émergence de nouvelles formes de solidarité­s dans une société du care et du partage. Celle-ci ne se veut pas une contre-société politique, à la façon des « baba cool » des années 1970, mais promeut un usage intelligen­t des nouvelles technologi­es. Mon intuition, c’est que la société se reconstitu­era par la base, au plus proche du terrain. Mais il y a encore un long chemin avant de parler de nouveau contrat social. La loi Macron va un peu dans ce sens, en ce qu’elle veut laisser plus d’espace à l’initiative individuel­le et à la liberté, mais elle se heurte à de fortes résistance­s.

Une opposition duale, de gauche et écologique d’un côté, de droite et en défense des rentiers, de l’autre. C’est un peu paradoxal ?

Pas tant que cela. Ces deux résistance­s sont tout aussi absurdes. La gauche se ridiculise en voyant un changement de société dans le fait d’ouvrir la possibilit­é de travailler douze dimanches au lieu de cinq. Et les écolos avec Cécile Duflot ne se grandissen­t pas en portant un message de décroissan­ce au nom de motifs politicien­s qui rappellent le jeu des partis aux pires heures de la IVe République. Quant à la droite, elle se fourvoie complèteme­nt dans une opposition frontale à un texte dont toute personne sensée ne peut que dire qu’il va dans le bon sens, même s’il ne va pas assez loin. J’espère que la raison l’emportera ou bien qu’il n’y aura tout simplement pas de vote, parce que le gouverneme­nt choisira d’utiliser cette arme tombée en quenouille qu’est le 49-3, imposant un vote bloqué.

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