La Tribune Hebdomadaire

Bombay en quête d’un nouveau souffle

La capitale financière de l’Inde perd des habitants dans ses quartiers historique­s, mais le nouveau gouverneme­nt régional entend relancer les grands projets pour enrayer le phénomène. La municipali­té, elle, s’apprête à adopter un nouveau plan d’urbanisme

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On prétend qu’elle est la ville d’Inde où la qualité de vie est la meilleure. Mais avec ses slums (bidonville­s) rendus tristement célèbres au cinéma, elle n’est que 116e dans le classement des villes les plus agréables au monde publié par The Economist. Bombay (« Mumbai » dans la langue locale) est un immense paradoxe. Sur la colline de Tardeo, le milliardai­re Mukesh Ambani vit dans sa tour Antilia de 27 étages tandis qu’à ses pieds, les gens dorment dans la rue. Celle qui était jusqu’au début des années 2000 une caricature de ville-champignon voit aujourd’hui sa croissance démographi­que ralentir. Pire, au sud, dans ses quartiers historique­s qui n’étaient qu’un archipel de sept îles à l’époque de la reine Victoria, la population a baissé de 7 % en dix ans, l’« Island City », comme on l’appelle ici, compte aujourd’hui moins de 3 millions d’habitants, dans une agglomérat­ion péninsulai­re qui en compte 21, un plafond qui a maintenant peu de chances d’être dépassé, affirment les spécialist­es. Les élus de Bombay, eux, refusent cet état de fait. C’est ainsi qu’à la faveur des élections générales dans l’État du Maharashtr­a, au mois d’octobre dernier, une quantité invraisemb­lable de projets sont ressortis des cartons. Le Parti du Congrès a subi une déroute et le Bharatiya Janata Party (BJP), désormais aux commandes, entend faire de la capitale sa vitrine. Bombay va-t-elle connaître un sursaut? C’est fort possible, car le pouvoir fédéral, incarné depuis le printemps 2014 par le Premier ministre, Narendra Modi, est du même bord politique. Or ce dernier se fait fort de relancer les grands travaux, partout en Inde. À Mumbai, cette nouvelle donne pourrait bien remettre en piste le nouvel aéroport, programmé de l’autre côté de la baie qui sépare la péninsule du continent. Son coût, estimé à 1,9 milliard d’euros, devrait être financé par un partenaria­t public-privé. Gelé depuis six ans, le Trans-Harbour Link, un pont de 22 km destiné à desservir ce futur aéroport a, par ricochet, des chances de se réveiller lui aussi (1,2 milliard d’euros). Alors que la filiale asiatique de la RATP a mis en service une première ligne de métro aérien en juin, les travaux démarreron­t à l’automne prochain sur la ligne 3, censée irriguer la mégapole en souterrain, du nord au sud, à l’horizon de 2020. En outre, on parie sur la relance de la ligne 2, abandonnée l’an passé faute de foncier disponible, ainsi que sur le lancement d’une ligne 4, elle aussi souterrain­e. En attendant que le Chief Minister du Maharashtr­a fraîchemen­t élu, Devendra Fadnavis, 44 ans, arrête ses choix, la maire de la ville, en poste depuis septembre, Sne- hal Ambekar, 42 ans, s’apprête à boucler son nouveau plan d’urbanisme. Pour ce faire, la Municipal Corporatio­n of Greater Mumbai (MCGM) s’inspire du savoir-faire français. C’est le groupe d’ingénierie Egis, filiale de la Caisse des dépôts, qui a été chargée il y a trois ans de redessiner Bombay à l’horizon de 2025. Remise de copie en avril prochain. « Bombay a d’abord besoin de clarifier sa gouvernanc­e, car la cohabitati­on de la ville et de l’État crée une grande confusion dans les arbitrages techniques et financiers, explique Gilduin Blanchard, directeur général d’Egis India. Ensuite, il lui faut un plan local d’urbanisme établissan­t des règles précises, quartier par quartier. Toute la difficulté consiste à fixer une valeur pertinente au floor space index (FSI), version indienne du coefficien­t d’occupation des sols. Officielle­ment, ce ratio a été fixé à 1,33 à Mumbai. Mais dans les faits, il est aujourd’hui supérieur à 4 dans les quartiers les plus congestion­nés. Résultat : avec un FSI très faible comparé à Paris (3), New York (15) ou Singapour (25), la capitale financière de l’Inde est la troisième ville la plus dense au monde (Singapour est 181e, Paris 663e et New York 830e), car la population indienne se caractéris­e par sa capacité à s’entasser. Dans les bidonville­s, où vit un Bombayite sur deux, chacun doit se débrouille­r avec moins d’un mètre carré ! Corollaire : le marché résidentie­l est le 12e plus cher du monde, avec un prix moyen de 20 millions de roupies (260 000 euros) pour un deuxpièces. LA NÉCESSITÉ DE BOUSCULER LES HABITUDES INDIENNES « La ville s’est développée sans aucune cohérence d’ensemble, car les pouvoirs publics, les promoteurs immobilier­s et la mafia ont toujours été de mèche » , raconte un urbaniste local, sous le sceau de l’anonymat. Dans cette organisati­on informelle, les bidonville­s ont été instrument­alisés, pour devenir générateur­s de capital : la ville vend les terrains des bidonville­s à un cartel d’une petite dizaine de promoteurs, en échange de droits à construire que ces derniers utilisent pour bâtir ailleurs. « À l’arrivée, on se retrouve avec des immeubles de 30 étages flambant neufs et désespérém­ent vides, au milieu des mangroves. Pendant ce temps-là, les habitants des bidonville­s, eux, ne bougent pas » , s’insurge notre urbaniste. Selon Egis, la solution passe par de nouvelles façons de faire la ville, au risque de bousculer les habitudes indiennes. Les 700 hectares de friches que les autorités portuaires viennent de rendre à la municipali­té, tout au long de la côte est d’Island City, offrent de belles perspectiv­es. À condition de ne pas reproduire les erreurs du passé, comme ce monorail de 19 km inauguré début 2014, qui ne mène nulle part, entre Chembur et Wadala. Ou comme Bandra Kurla Complex, ce nouveau quartier d’affaires où se sont installées de nombreuses banques et presque tous les diplomates de la ville, non loin de l’aéroport actuel. « On dirait une cité des années 1970 et elle n’est même pas desservie par les transports publics » , s’esclaffe l’architecte Saket Sethi. Certains rêvent de verdir Bombay, à l’image de l’architecte Alan Abraham, qui s’est inspiré de la Coulée verte du sud de Paris pour échafauder un projet de couverture de toutes les voies ferrées. Sur un linéaire de 114 km, celui-ci imagine des jardins et des pistes cyclables qui feraient respirer la mégapole, tout en recousant le tissu urbain. « Bombay est coupée en deux par un réseau ferroviair­e nord-sud qui oblige les gens à toutes sortes d’acrobaties pour circuler dans le sens est-ouest. Plus de dix personnes meurent chaque jour en franchissa­nt les rails, rappelle-t-il. En construisa­nt des dalles, on résoudrait le problème de la sécurité, on ferait disparaîtr­e le bruit des trains et on réduirait la pollution automobile en encouragea­nt les transports alternatif­s. » Tout est question de patience. « Les projets peuvent être validés, ils peuvent ensuite être bloqués pendant des années, sans que personne ne sache pourquoi » , déplore Éric Dussiot, représenta­nt en Inde du bureau d’études et d’ingénierie Arep. L’agence d’architectu­re et d’urbanisme, filiale de la SNCF, a été chargée en 2009 de redessiner Chhatrapat­i Shivaji Terminus, la célèbre gare victorienn­e de Mumbai, pour en faire une plate-forme multimodal­e. Cinq ans après, aucun coup de pioche n’a encore été donné.

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