La Tribune Hebdomadaire

L’après-Charlie sera-t-il européen ?

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ÀBruxelles aussi, il y a eu d’abord l’émotion. Le soir des attentats, sur la place de Luxembourg à côté du Parlement, une petite foule émue communiait silencieus­ement à la lueur de longues bougies blanches. Le peuple du quartier européen, assistants, lobbyistes, fonctionna­ires, mélangés pour l’occasion à des dessinateu­rs venus saluer les amis de Charlie. Pas d’huiles. Pas de discours. Moments suspendus qui se sont prolongés dimanche dans un Thalys plein d’anonymes venus manifester à Paris… pour le quart du tarif normal. Le lundi à Strasbourg, où siégeait le Parlement, « Charlie » figurait en tête de l’agenda. Le député français Alain Lamassoure voulait faire du 11 janvier « la date de naissance de l’Europe des peuples… unie par nos valeurs et contre la haine », tandis que la socialiste Pervenche Berès demandait que l’on décerne le Prix Sakharov à Charlie Hebdo. Que restera-t-il dans quelques mois de cette immense émotion et du désir de donner un sens européen à ces événements? Si le 11 janvier a bel et bien fait date pour tout le Continent, le 7 janvier sonne comme un défi sinon un reproche. Passée l’unanimité face à la barbarie, la complexité a repris le dessus. Faute de savoir par où reprendre le fil d’une politique cohérente, les ministres de l’intérieur qui se sont rencontrés le 11 à Paris, ont renoncé à remettre bloqué par le Parlement. À l’instar de la nouvelle réglementa­tion sur la protection des données personnell­es. Le sursaut créé par l’attentat contre le Musée juif à Bruxelles n’avait pas réussi à relancer la négociatio­n. Ce bras de fer autour de la durée maximale de détention des données, mené au nom de la défense des libertés publiques, semble dérisoire au regard de la montée des périls. À présent, le président Juncker veut élargir la focale. Il promet une « stratégie européenne sur la sécurité intérieure » sur laquelle il a demandé un rapport attendu en février… après le prochain sommet des chefs d’État. Jusqu’à présent, l’Union européenne est cantonnée d’arbitre entre liberté publique et sécurité et de vigie, à l’image Gilles de Kerchove qui tient le compte des 3000 jeunes Européens revenus du djihad en Syrie, en Libye et ailleurs. Le coordinate­ur de la lutte antiterror­iste depuis 2007 ne cesse de mettre en garde ces derniers mois contre la montée des périls. IntCent, le centre de renseignem­ent adossé au service d’action extérieure, n’a pas de capacité de renseignem­ent propre. En 2015, cependant, le programme européen d’observatio­n spatiale Copernicus devrait prendre un tour plus concret avec le lancement du premier satellite, Sentinel. Un timide début. Ce sera quoi qu’il en soit plus dans la coordinati­on que dans la centralisa­tion de l’action que l’Union européenne peut apporter la preuve de son utilité. À présent elle va également devoir administre­r la preuve que les libertés sur lesquelles elle s’est construite ne sont pas une source de danger. Comme après chaque attaque, la question du rétablisse­ment des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen est revenue sur la table, par la voix du ministre espagnol de l’intérieur. Un serpent de mer qui risque de ne pas replonger de sitôt. Mais dans les événements de ces derniers jours se joue bien autre chose que l’équilibre entre pouvoirs européen et nationaux. Sans réponse efficace au péril terroriste, Bruxelles comme les gouverneme­nts nationaux, sont exposés à une autre menace : celle du populisme. Les Français du Front national et les Britanniqu­es de UKIP s’en sont donné à coeur joie à Strasbourg, dénonçant l’Europe ouverte à tous les vents.

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