LE NUMÉRIQUE, « RÉINVENTEUR » DE LA VILLE
À la croisée d’enjeux environnementaux, sociaux, culturels, les espaces publics se réinventent aujourd’hui, aux quatre coins du monde, grâce à la puissance ubiquitaire du numérique. Ce sujet sera au coeur de la prochaine conférence Future of Places qui au
Un peu partout dans le monde, le numérique permet de repenser les espaces publics des agglomérations.
Un peu partout dans le monde, à l’heure actuelle, une prise de conscience s’opère. Les villes, qui concentrent de plus en plus de monde – une tendance qui ne va faire que s’accentuer dans les années à venir –, doivent être repensées et réaménagées pour demeurer des lieux où, avant tout, il fait bon vivre. Dans ce contexte, les espaces publics sont réinvestis comme des sphères stratégiques grâce auxquelles le visage d’une cité peut être profondément transformé. Les espaces publics sont en effet des lieux de brassage, de rencontres, d’échanges et, à ce titre, ils participent à la cohésion sociale de la ville. Ils sont aussi porteurs d’enjeux majeurs de santé publique : à l’heure du réchauffement climatique et de l’augmentation de la pollution de l’air urbain, il est crucial de mieux intégrer des espaces piétons et cyclables, des zones vertes et des plans d’eau au sein des villes. À l’approche de la COP21, c’est un défi et un enjeu majeur pour tous les acteurs de la ville, du nord au sud et de l’est à l’ouest de notre planète majoritairement urbanisée. L’épisode dramatique de la canicule à Paris lors de l’été 2003, notamment, a montré la nécessité de faire face aux îlots de chaleur urbains et de repenser la densité citadine, son paysage, ses zones vertes, ses plans d’eau et sa biodiversité. Des initiatives radicales ont déjà été mises en oeuvre dans certaines villes du monde : les voies rapides qui traversaient la ville en la défigurant, responsables d’une très forte pollution de l’air ambiant, ont été remplacées par des espaces verts, des pistes cyclables et des aires de loisirs accessibles à tous.
LA CARTOGRAPHIE À L’HEURE DE LA GÉOLOCALISATION
Outre ces enjeux écologiques, les acteurs de la ville doivent aujourd’hui s’adapter aux nouveaux usages et s’appuyer sur la puissance du numérique pour exploiter au maximum le potentiel des espaces publics ou encore améliorer leur gestion. Je pense en particulier au mobilier urbain, qui peut être rendu « intelligent » en étant investi de nouvelles fonctionnalités, comme c’est le cas pour les abribus par exemple, qui fournissent aux utilisateurs des informations sur le trafic mais aussi des nouveaux services pour participer au tissage du lien social. Les nouvelles technologies représentent un puissant levier de transformation puisqu’ils permettent de créer de nouveaux services urbains : mise en valeur du patrimoine, développement d’activités culturelles, festives ou de quartier, etc. La géolocalisation, à l’heure de l’économie collaborative, constitue également un « terreau » exceptionnel de transformation des espaces publics urbains. Avec la technologie ubiquitaire, c’est-à-dire le fait pour les habitants d’être connectés 24 h/24 en mode mobile, le rapport à l’espace qui nous entoure, ainsi que les pratiques cartographiques, ont profondément changé. De simples repères imprimés nous permettant de nous guider et de nous localiser lors d’un parcours, et les cartographies sont devenues non plus de smples outils mais des lieux d’hybridation majeurs constituant de vrais espaces de vie, de construction collaborative, d’émergence de savoirs partagés. Ils incarnent ainsi la face émergée de l’iceberg de ce nouveau monde du xxie siècle, dans lequel le numérique, présent partout de manière diffuse, façonne nos vies différemment – tandis que les usages sociaux engendrent de forts bouleversements dans nos comportements.
LA CAPACITÉ À S’ABSTRAIRE DU TERRITOIRE
Les navigateurs de toutes sortes et les systèmes d’information géographique ne sont plus de simples repères géométriques et vectoriels ni des couches de représentations iconisées, porteuses de coordonnées dans un format donné. Les ontologies, la connaissance, le savoir et son émergence collaborative constituent le point de rupture avec le paradigme territorial géométrique qui, peu à peu, s’efface devant nous. C’est finalement la capacité à s’abstraire du territoire pour l’amener au plan de la connaissance qui transforme radicalement nos perceptions aujourd’hui, incarnées dans ce que nous appelons des cartographies collaboratives : wiki territoires, wiki walks, mapping parties ou toute autre forme de savoirs partagés. Chacun crée ainsi, en se lappropriant, ses propres cartes urbaines, avec ses propres repères d’usages qui se présentent dynamiquement en fonction de ses évolutions sociotemporelles. Voyez le brevet que Amazon a déposé en janvier 2014 pour faire de la prédiction des commandes de consommation, issue de l’inférence algorithmique, afin d’anticiper la livraison sur un périmètre géographique ! Au siècle de l’ubi- quité, plus que jamais, il est donc indispensable d’oeuvrer à la convergence entre les territoires, les usages et les technologies dans une démarche d’inclusion sociale et citoyenne. Parmi différentes villes dans le monde, l’urbanisme tactique, ou acupuncture urbaine, se déploie comme une manière d’associer des initiatives citoyennes aux transformations des espaces publics, dont les rues. Cette approche de « hacker » des rues permet de construire à ciel ouvert des initiatives pionnières de transformation des usages des espaces publics, à l’heure où, par exemple, la place des voitures dans les villes est reconsidérée en profondeur dans de nombreuses agglomérations, Madrid, Tokyo, Paris, par exemple. Le site The Better Block compile et présente de nombreuses initiatives, à travers le monde, d’urbanisme tactique. Plusieurs villes à travers le monde se sont déjà emparées de cette approche, ce qui leur a permis de devenir, via une identification entre les citoyens et leur ville, des lieux plus ouverts et plus vivants. Je citerais notamment Montréal, Medellin et Sidney, déjà évoquées dans ces colonnes, mais aussi Paris, Nantes, Bordeaux, Détroit, Philadelphie, Amsterdam, Kyoto, Cape Town…
L’ESPRIT DES COMMUNAUTÉS DANS LES RUES
Le site Project for Public Spaces porte également cette vision d’une réappropriation par les habitants des espaces publics de leur ville. Le concept ? Repenser les rues, en en faisant non plus des lieux de transit mais des aires publiques dans lesquelles s’enracine l’esprit des communautés. Le site répertorie des exemples de bonnes pratiques à travers le monde : à Saragosse, en Espagne, par exemple, le projet expérimental Estonoesunsolar a permis de reconvertir des espaces urbains vides ou inutilisés en espaces publics attractifs pour les habitants. Plus de 60 associations de quartier se sont déjà mobilisées, permettant à 33 sites de renaître à la vie, soit une superficie de plus de 42000 m2. Autre exemple : le Campus Martius Park de Détroit devenu, au cours de la dernière décennie, l’une des aires publiques les plus dynamiques des ÉtatsUnis. Toute l’année, ces espaces verts au coeur de la ville réunissent les habitants des quartiers voisins pour des activités variées (yoga, patin à glace, danse, etc.). Le parc a d’ailleurs considérablement contribué à la revitalisation économique des blocks environnants. Autant d’initiatives encourageantes et stimulantes qui doivent servir de points de repère à la communauté mondiale des acteurs de la ville, mais aussi aux citoyens eux-mêmes, qui s’investissent pour changer le visage de leur ville !