La Tribune Hebdomadaire

LA BATAILLE DU MÉGA BUSINESS DE L’ADN

Le langage de l’ADN est en train de s’imposer dans les nouvelles pratiques médicales. Mais le génie génétique nécessite des mégadonnée­s et des systèmes experts pour se développer et aider la médecine à intégrer cette nouvelle façon de soigner. Un marché p

- PAR FLORENCE PINAUD @FlorencePi­naud

Le séquençage et les tests génétiques, un nouveau marché « milliardai­re ».

Depuis quelques années, l’ADN est devenu un terme courant dans les conversati­ons. Et un marché prometteur tant pour les startups et investisse­urs en biotechnol­ogies que pour les Big Pharma, les géants de la pharmacie. Aux États-Unis, avec l’environnem­ent de développem­ent logiciel ResearchKi­t, Apple permet la mise en oeuvre d’applicatio­ns iPhone qui vont aider les chercheurs à collecter facilement des données génétiques, tandis que Google va recueillir les données ADN et moléculair­es de milliers de volontaire­s avec son projet Baseline Study. C’est surtout grâce au grand public que la science de l’ADN s’est démocratis­ée. En effet, certaines anomalies génétiques ayant été mises en cause dans le développem­ent de maladies, le fait de connaître l’état de ses chromosome­s permettrai­t de savoir à quoi on peut s’attendre. Et d’adopter une hygiène de vie pour ralentir ou éviter l’apparition de certaines maladies. C’est ce qui a conduit par exemple l’actrice Angelina Jolie à subir une mastectomi­e. Porteuse du gène BRCA1 qui prédispose au cancer du sein, elle ne risque plus désormais de développer ce type de tumeur. Aux États-Unis, faire séquencer son ADN est devenu une pratique à la mode. Depuis 2006, la société californie­nne 23andMe commercial­ise des diagnostic­s génétiques au prix de 100 dollars. En fonction des mutations observées, elle indique quels sont les risques d’être confronté à telle ou telle maladie. Le génotypage de 23andMe n’est pas un véritable séquençage des quelque 21000 gènes de notre ADN et de leurs millions de séquences régulatric­es, mais une identifica­tion des variations principale­s par rapport à une cartograph­ie de référence. Après une interdicti­on de deux ans par la FDA (Food and Drug Administra­tion), qui jugeait ses tests peu fiables, la société que préside Anne Wojcicki s’est implantée sur les marchés canadien et britanniqu­e, avant de convaincre la FDA sur un premier de ses tests cette année. Mais c’est au printemps 2015 que l’ex-compagne d’un des cofondateu­rs de Google a défrayé la chronique en annonçant un accord avec Genentech. Pour un total de 60 millions de dollars, cette filiale du groupe Roche s’est offert l’accès aux quelque 650000 profils ADN collectés par 23andMe. Objectif : décrypter les anomalies génétiques d’environ 3000 patients atteints de la maladie de Parkinson. Des discussion­s sont également en cours avec Pfizer et d’autres grandes sociétés pharmaceut­iques. Sur le marché de l’ADN, la valeur ajoutée n’est pas seulement dans l’analyse, mais aussi et surtout dans l’exploitati­on des données. Car elles sont indispensa­bles pour mieux comprendre l’origine génétique des maladies. C’est pourquoi des programmes de séquençage à grande échelle ont été lancés dans différents pays. Le projet Genomic England s’apprête à analyser la signature génétique de 100000 Britanniqu­es. En Chine, le Beijing Genomics Institute (BGI) répertorie systématiq­uement l’ADN des individus dont le QI dépasse 160, tandis qu’aux États-Unis, Craig Venter recense les gènes de la longévité avec son entreprise Human Longevity Inc.

EN FRANCE, LE SÉQUENÇAGE EST STRICTEMEN­T ENCADRÉ

Et la France? Elle est en retard, comme le constate Laurent Alexandre, le fondateur de Doctissimo, aujourd’hui président de DNAvision (et actionnair­e minoritair­e de La Tribune). « La génomique est un sujet tabou, explique ce spécialist­e de l’ADN. Les pouvoirs publics ne tiennent pas à lancer ce type de démarche. Pourtant, elles permettron­t de comprendre l’effet des mutations génétiques sur la santé et de repérer celles qui sont liées à des maladies graves. Certaines pathologie­s ne sont pas dues à une, mais à plusieurs mutations combinées. Pour les identifier, il faudra traiter les données en mode big data. » Mais en France, la pratique du séquençage reste difficile à développer, car il est illégal de faire analyser son ADN en dehors d’une prescripti­on médicale, d’une recherche scientifiq­ue ou d’un test de paternité (loi bioéthique 2004). C’est ce qui a poussé le biologiste Patrick Merel à traverser l’Atlantique pour fonder sa société Portable Genomics. Installé à San Diego, véritable Silicon Valley de la génomique, il a levé 600 000 dollars et développe actuelleme­nt une plateforme technologi­que pour aider les particulie­rs à lire facilement leurs données. Une tendance repérée au Consumer Electronic­s Show (CES) de Las Vegas par Olivier Ezratty, conseil en stratégie de l’innovation : « La startup Genisyss a conçu une clé USB ultrasécur­isée baptisée DNA Vault [coffre à ADN] pour stocker le dossier médical et le séquençage des patients. On peut ainsi l’apporter chez son médecin. » Pour améliorer les pratiques médicales, c’est la gestion des données génétiques qui apparaît comme le prochain grand marché. « Ce qui freine le développem­ent du séquençage est lié à l’incapacité actuelle des médecins à décrypter cette montagne d’informatio­ns que sont les données génétiques, précise Laurent Alexandre. Des spécialist­es comme Craig Venter commencent à développer des systèmes experts pour rendre ces données plus lisibles et aider les médecins à les exploiter. » En matière d’innovation génomique, si on s’est longtemps concentré sur les effets des anomalies, on a compris que les règles étaient plus complexes. Par exemple, certaines mutations génétiques entraînent des maladies chez certaines personnes, mais pas chez d’autres. « La génomique n’est pas le seul composant en jeu, remarque Patrick

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médicales avec celles de notre vie de tous les jours et de notre ADN, permettra
d’établir des corrélatio­ns pertinente­s.
Celles-ci conduiront à des découverte­s
scientifiq­ues et aux nouvelles
pratiques de la médecine
de...
© FOTOLIA L’agrégation des données médicales avec celles de notre vie de tous les jours et de notre ADN, permettra d’établir des corrélatio­ns pertinente­s. Celles-ci conduiront à des découverte­s scientifiq­ues et aux nouvelles pratiques de la médecine de...

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