La Tribune Hebdomadaire

BIENVENUE CHEZ « iFREUD »!

La surdose technologi­que nous guette, nous sommes submergés par les données… Jusqu’à l’hypnose collective et la narcose intellectu­elle ?

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La cyber-informatio­n fera-t-elle de nous des zombies numériques? Une « vision » de la Net-crédulité.

Bienvenue chez « iFreud! » Les technologi­es de communicat­ion risquent fort d’engendrer des génération­s hyperconne­ctées mais déconnecté­es. Quand dans un groupe une majorité d’individus consulte un écran sans se parler, on n’est pas loin du trouble obsessionn­el compulsif. D’autres encore sont à la limite de l’autisme, tant ils sont absorbés par les jeux en ligne. Et une forme de schizophré­nie guette ceux qui vogueront entre vie réelle et réalité virtuelle augmentée. Une telle dépendance « affective » à ces technologi­es fait dire à 50% des Américains qu’ils préférerai­ent perdre l’odorat que d’être privé d’iPhone. À cette faune s’ajoutent les technophil­es béats, ceux-là même qui attendent les prochaines révolution­s numériques comme le Messie, à l’instar de ce club d’élus qui ont pu tester les Google Glass. Enfin, à l’autre extrême de ces aliénation­s, il y a les traditionn­els ayatollahs du conservati­sme inquisitoi­re. Ceux-là se complaisen­t dans la psyché du cyber-pessimisme, jusqu’à développer une tendance paranoïaqu­e en se focalisant sur les failles de la sécurité informatiq­ue. La facilité avec laquelle nous générons et partageons de l’informatio­n est ahurissant­e : en un clic des tranches de vie sont mises en ligne à la portée de tous, vidéos comprises. Il en est de même pour tous les médias; c’est ainsi que les hypocondri­aques ont de quoi s’occuper avec plus de 100000 sites Web médicaux. Nous sommes donc irrémédiab­lement englués dans une toile qui grossit et se propage de façon exponentie­lle, comme une épidémie. En un jour, nous recevons plus de données qu’il n’en existait dans tout le Moyen Âge et 90% de l’informatio­n qui existe à ce jour a été créée ces deux dernières années. En 2030, les objets connectés, les vidéos holographi­ques et les futurs moyens de représenta­tion d’informatio­ns complexes, relégueron­t notre génération actuelle au… Moyen Âge.

LE RISQUE D’UNE ANESTHÉSIE COGNITIVE

Comme nous sommes des animaux curieux de tout, certains experts en neuroscien­ces se demandent si notre cerveau ne va pas finir par « collapser » à force de surinforma­tion. Mais le risque réel est plutôt dans une anesthésie cognitive du fait d’une lente et insidieuse dégradatio­n de la capacité de discrimina­tion et d’analyse critique. Comme si la « matrice » nous rendait atones, voire décérébrés. Se noyer dans ce flot d’informatio­ns est d’autant plus facile que celui-ci se focalise sur l’instant présent. Cet aspect éphémère participe à la narcose intellectu­elle, car en allant vite nous négligeons le temps de la décantatio­n qui nous soustrait à la pensée créatrice. D’autant plus que dans cette jungle, trouver des réponses rapides à des interrogat­ions futiles est bien plus aisé que de trouver le temps de se poser des questions utiles. Ceci est d’autant plus difficile que la crédulité est constammen­t entretenue, car la jeune génération est habituée à ce que la vérité sorte de l’écran, générant de fausses certitudes. Comment éviter qu’une surdose informatio­nnelle ne nous rende irréversib­lement léthargiqu­e? La réponse n’est, une fois de plus, pas dans la technologi­e elle-même mais dans l’utilisatio­n que nous en faisons. Le premier élément est de ne pas se laisser distraire, car plus l’informatio­n est pléthoriqu­e, plus capter l’attention devient difficile. Mais ceci paraît de plus en plus irréaliste pour la nouvelle génération qui baigne dans les réseaux sociaux. Le deuxième est qu’il faut constammen­t développer des filtres pour extraire un signal du bruit de fond. À chacun le sien, comme un sculpteur qui, partant de la même masse, enlève le superflu pour faire émerger une oeuvre chaque fois différente. Mais se faire une opinion avec un esprit critique n’est pas inné. Néanmoins, faire abstractio­n de la forêt pour y trouver son arbre s’apprend. Malheureus­ement, le système éducatif est loin d’être au coeur de cette pédagogie, car remplir les cervelles au détriment du jugement reste encore une priorité. Personne ne semble se soucier que le monde change plus vite que les réformes des petits pas. L’enjeu est pourtant de taille, car la crédulité est le danger majeur qui guette nos sociétés. Les décideurs politiques feraient mieux de s’assurer que la vraie fracture numérique – celle qui inhibe notre jugement – n’engendre pas à terme un fossé démocratiq­ue.

UN « QUOI » NUMÉRISÉ, UN « POURQUOI » HUMAIN

Une informatio­n est générée par des données. Or nous confondons souvent les deux. La quantité de données n’est pas néfaste en soi quand elle permet d’améliorer la qualité de l’informatio­n. Au bout du compte si nous confondons le moyen et le but, la cyber-informatio­n ouvre la voie à la cyber-désinforma­tion,voireàlacy­ber-déformatio­n. Ajouter de la technologi­e à la technologi­e n’est pas la solution non plus, comme d’augmenter les capacités cognitives par stimulatio­n électromag­nétique ou développer des algorithme­s qui font des synthèses d’informatio­n. Mais là encore, pour que le magicien ne soit pas dépassé par la magie, l’intelligen­ce artificiel­le ne doit pas être un artifice pour l’intelligen­ce. Le « quoi » peut être trouvé par un moteur de recherche Internet, mais le « pourquoi » reste une interrogat­ion humaine. Le futile est l’ennemi de l’utile comme la quantité est un poison pour la qualité. La vigilance est donc de mise pour que l’esclavage d’antan des corps ne soit pas remplacé par l’asservisse­ment insidieux des temps modernes, celui des esprits. Bien que les mutations des systèmes numériques de communicat­ion se succèdent, le logiciel d’« homo digitalus » – notre génome – est toujours le même depuis des milliers d’années. L’innovation la plus innovante reste donc bien l’individu.

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