La Tribune Hebdomadaire

À MARSEILLE, (RE)FAIRE LA VILLE AVEC LE PORT

Le 25 septembre, la cité phocéenne accueille le 1er Forum Smart City Méditerran­ée, organisé par La Tribune.

- CARLOS MORENO Professeur, entreprene­ur, conseiller scientifiq­ue, expert de la ville intelligen­te @CarlosMore­noFr

Par sa population, Marseille constitue la deuxième commune de France, avec 850836 habitants, et la troisième agglomérat­ion, avec 1,56 million d’habitants en 2011. Ville métropolit­aine, ville portuaire, ville chargée d’histoire, Marseille est traversée, en ce début du xxie siècle, par de nombreuses problémati­ques qui rendent nécessaire une réflexion globale et transversa­le sur son devenir urbain. Métropole portuaire, Marseille partage avec toutes les villes-ports du monde une identité puissante et particuliè­re. Les ports sont en effet des espaces-mondes, à la fois poumons de la vie économique d’un pays et centres névralgiqu­es de ses relations avec le monde. Bien souvent porteurs d’une vie trépidante, ils incarnent une importante diversité, carrefours cosmopolit­es d’économies multiples et de mélanges en tous genres. Mais bien souvent, comme je l’ai souligné lors de l’inaugurati­on de la xive conférence mondiale de l’Associatio­n des villes portuaires (AIVP), qui s’est tenue à Durban du 3 au 6 novembre 2014, on observe dans ces espaces urbains une forte dichotomie entre, d’un côté, la ville et, de l’autre, le port. Cette spécialisa­tion donne lieu à une séparation qui se traduit par de claires ruptures et discontinu­ités à la fois dans l’espace et dans les pratiques. Comme toutes les villes-ports, Marseille est en outre directemen­t exposée aux conséquenc­es du réchauffem­ent climatique, notamment la montée du niveau des mers. Le dernier rapport du Giec (Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat) a une fois de plus sonné l’alarme sur cette menace qui pèse sur la planète et sur la nécessité de se mobiliser radicaleme­nt pour inverser la tendance.

UNE FORTE RÉNOVATION URBAINE EN MARCHE

Plus ancienne cité de France, fondée sous le nom de Massalia vers - 600 ans av. J.-C., Marseille est aussi une ville à la culture plusieurs fois millénaire, porteuse d’une histoire et d’un patrimoine exceptionn­ellement riches. À ce titre, elle doit faire l’objet d’une attention toute particuliè­re. Elle ne peut être transformé­e en une simple ville intelligen­te technologi­que dénuée d’âme et de passé! Marseille subit par ailleurs, comme toutes les villes d’Europe occidental­e, un vieillisse­ment de sa population – phénomène qui voit son intensité redoublée par sa situation sur la côte méditerran­éenne, très prisée des retraités. La ville attire donc des population­s vieillissa­ntes auxquelles elle devra, dans les décennies à venir, apporter des solutions adaptées en termes de bien-être et de santé. L’attractivi­té économique de la ville, et notamment de l’axe Aix-Marseille, constitue également une problémati­que cruciale pour ses acteurs. Le recours aux nouvelles technologi­es et le développem­ent de l’écosystème numérique local (avec, par exemple, le projet de campus numérique du futur The Camp) sont autant de leviers du dynamisme économique de la région, conditions sine qua non d’une certaine qualité de vie. Enfin, il ne faut pas négliger la composante socio-culturelle de la ville méditerran­éenne. Terre d’immigratio­n, Marseille est une ville qui se distingue par la diversité des cultures qu’elle réunit. Un brassage qui, comme on le voit de plus en plus de par le monde, peut être source de tensions, d’inégalités, voire de fractures sociales. C’est sans doute le point sur lequel il faudra faire porter le plus d’efforts dans les années à venir. Consciente de ces enjeux, comme le montre la tenue du prochain Forum Smart City Méditerran­ée dans ses murs, Marseille a déjà mis en oeuvre de nombreuses actions visant à remodeler son visage et pérenniser son développem­ent urbain. Je souhaitera­is partager ici les projets qui concernent le port de Marseille, cités dans le Guide des bonnes pratiques 2015 de l’AIVP, Faire la ville avec le port. Afin de désenclave­r le site portuaire et de créer un lien entre la ville et le port, le Grand port maritime de Marseille et Euromédite­rranée ont ainsi opéré, ces dix dernières années, une profonde transforma­tion de la façade maritime de la ville. La démolition d’une passerelle autoroutiè­re qui séparait les immeubles, notamment ceux des docks de la Joliette, de leur façade maritime, et la constructi­on d’un tunnel ont permis la création d’un boulevard urbain paysager de 2,5 km entre le fort Saint-Jean et la tour CMA-CGM sur la nouvelle interface ville-port : le boulevard du Littoral, inauguré en mai 2013. Il a été désigné lauréat du Mipim Awards 2015 en tant que « Best urban regenerati­on project » . Ce nouvel axe de 45 m de large où piétons et cyclistes trouvent leur place, dessert notamment les grands équipement­s implantés sur ce périmètre de l’opération Euromédite­rranée : le Mucem, la villa Méditerran­ée, le musée de la Fondation Regards de Provence, les Terrasses du port et les quais d’Arenc. Afin d’optimiser l’espace disponible, la ville a par ailleurs opté pour des solutions privilégia­nt la mixité des usages, avec le projet des Terrasses du Port par exemple, qui a vu le jour fin mai 2014. Bel exemple de mixité verticale, le complexe combine accueil et embarqueme­nt des passagers, stockage des véhicules, centre commercial et vue sur le port. Le port de Marseille assure ainsi sa fonction d’aménageur de ses espaces en s’ouvrant à la ville et à certaines activités urbaines, sans obérer ses capacités d’activités au sol. En ce qui concerne sa politique énergétiqu­e, la ville a par ailleurs choisi d’utiliser le potentiel que représente l’eau des bassins portuaires pour réaliser des économies d’énergie à grande échelle. Une centrale d’eau glacée va prochainem­ent être installée dans les bassins est du port de Marseille. Elle servira notamment à la climatisat­ion de différents bâtiments (logements, hôtel, bureaux) du projet Euromed Center situés derrière le silo d’Arenc. Les objectifs : réduire la consommati­on énergétiqu­e de 40%, la consommati­on d’eau de 65% et les émissions de GES de 50%. Le chantier a été lancé le 30 septembre 2014 et devrait s’achever en 2016.

LA VOLONTÉ DE RESTAURER LA BIODIVERSI­TÉ MARINE

Enfin, un vaste projet expériment­al est actuelleme­nt déployé dans le port de Marseille pour préserver et restaurer la biodiversi­té marine en milieu portuaire. Chiffré à 4,5 millions d’euros, le programme « Gestion des infrastruc­tures pour la réhabilita­tion écologique du littoral » s’étend sur cinq ans (2011-2015) et réunit des organismes de recherche (Cefrem, université de Perpignan, Ifremer, Ecomers, université de Nice) et des partenaire­s industriel­s (Suez Environnem­ent, Egis Eau, Safege). La première phase porte sur l’implantati­on d’algues sur les digues, l’introducti­on de larves sauvages, l’immersion de récifs artificiel­s et la création de microcavit­és servant de protection aux poissons dans certains des ouvrages portuaires existants sur 7 km de côte artificiel­le du port. Elle sera suivie d’une phase de suivi sur deux ans. Marseille doit faire face dans les années à venir aux cinq grands défis des espaces urbains du xxie siècle (environnem­ental, économique, social, culturel et de résilience). Elle devra pour cela continuer à s’appuyer, sur les trois leviers que sont l’intelligen­ce urbaine, l’innovation sociale et la révolution numérique. C’est à ce prix que la ville-monde pourra demeurer ouverte aux autres.

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à la fois dans l’espace et dans
les pratiques.
© TAN4IKK - FOTOLIA
Marseille, en tant que ville portuaire, est caractéris­ée par des ruptures, à la fois dans l’espace et dans les pratiques. © TAN4IKK - FOTOLIA

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