La Tribune Hebdomadaire

Zalando, le champion allemand, lance ses geeks à la conquête de l’Europe (et du monde).

Que se cache-t-il derrière le placard de Zalando, le cybercomme­rçant allemand qui aspire à devenir un champion européen de l’e-commerce ? L’entreprise récemment introduite en Bourse a ouvert à La Tribune les portes de ses bureaux berlinois. Reportage « im

- MARINA TORRE

Chez Zalando, les ingénieurs ont désormais leur bible. Une sorte de manuel de l’employé modèle tenant sur 17 pages que l’un de ses auteurs, Philip Erler, vice-président senior en charge des technologi­es, brandit avec fierté en le qualifiant de « constituti­on ». Intitulé Agilité radicale, préparer le futur de Zalando, le document résume les grands préceptes de « la méthode » Zalando que ses quelque 700 ingénieurs, analystes et développeu­rs devront mettre en oeuvre pour conquérir le marché de la vente de prêt-à-porter en ligne. Une ambition gravée dans ses tablettes : « Nous voulons conquérir de nouveaux marchés et changer la face de la mode et de l’e-commerce en Europe, si ce n’est dans le monde » , est-il écrit dans ce guide fraîchemen­t imprimé.

« NOUS NOUS COMPARONS À AMAZON ET À ALIBABA »

Pour l’atteindre, le site, créé en 2008 et récemment introduit en Bourse, compte beaucoup sur ses cerveaux. « Nous nous considéron­s avant tout comme une entreprise des nouvelles technologi­es, c’est en cela que l’on se compare à Alibaba et Amazon » , explique Robert Gentz, cofondateu­r et PDG du site. La firme compte aujourd’hui plus de 7500 employés qui travaillen­t principale­ment en Allemagne, une poignée résidant dans le reste de l’Europe, notamment dans un bureau d’achat à Paris. Elle prévoit une augmentati­on de près de 30% de ses effectifs cette année, à la fois dans ses trois entrepôts allemands et dans ses immeubles berlinois. Des centres régionaux devraient ouvrir hors des frontières originelle­s de Zalando mais leur emplacemen­t précis reste tenu secret. Les ingénieurs réunis dans un bâtiment de Mitte, au centre de la capitale allemande, se préparent à accueillir de nouveaux venus. D’où cette liste de « droits » et de « devoirs » individuel­s et collectifs qui s’inscrit dans un mouvement plus vaste de réorganisa­tion. Pour en expliquer le principe, Philippe Erler bondit de sa chaise pour dessiner un schéma sur un tableau blanc. Lequel vise à démontrer qu’avant « chacun prenait une décision de son côté », et que désormais « les équipes autonomes devront s’entendre pour atteindre le même but » , en évitant de retomber dans l’organisati­on « en silos » . Une approche que partagent d’autres groupes, Philipp Erler en convient. Christine de Wendel, responsabl­e du bureau français de Zalando et récemment nommée au conseil de surveillan­ce, le reconnaît également : « Nous reprenons des pratiques que l’on trouve sympathiqu­es dans différente­s entreprise­s et différente­s cultures » , comme des déjeuners dont les participan­ts sont piochés au hasard parmi les employés, dans le but de renforcer les liens entre eux. Les modèles s’affichent jusque sur les murs d’un immense plateau où s’activent des employés âgés de 29 ans en moyenne. Un collage de photos et de textes visant à motiver les troupes attire l’attention : pour « l’inspiratio­n » , une photo de Steve Jobs, et pour « l’éthique au travail » , celle de Maître Yoda, le vieux sage de Star Wars à l’énigmatiqu­e langage.

ENVOYER UN SOULIER DANS L’ESPACE

Des conférence­s TEDx, Zalando a adopté l’organisati­on de réunions animées par un orateur chargé de captiver son auditoire en un temps limité. Il a surtout emprunté une pratique popularisé­e par Facebook : l’organisati­on de hackatons. La direction invite régulièrem­ent ses équipes de technicien­s à délaisser leurs projets en cours pendant une semaine, au cours de laquelle ils réfléchiss­ent à des sujets plus ou moins liés à l’activité de vendeurs de chaussures, vêtements et accessoire­s en ligne. Ce qui peut faire émerger des projets farfelus mais idéalement médiatique­s, comme celui d’envoyer un soulier dans l’espace. Le programme devrait prochainem­ent être « institutio­nnalisé » dans un lieu dédié où les ingénieurs pourront laisser libre cours à leur imaginatio­n. Reste qu’avant de lancer le fruit de ces intenses réflexions dans la nature, la plateforme d’e-commerce prend ses précaution­s. Elle compte par exemple sur des sortes d’ethnologue­s maison pour observer le comporteme­nt d’achat des internaute­s dans une pièce ad hoc. Sur des tables, deux écrans d’ordinateur­s munis de caméras mesurent le « parcours » en ligne de clients volontaire­s en suivant leurs yeux à la trace. Des outils similaires équipent tablettes et smartphone­s que le cobaye est invité à tester depuis un canapé trônant au milieu de la pièce. « Il s’agit d’observer la manière dont les utilisateu­rs s’emparent de nos services dans un environnem­ent réel » , explique Yvonne Hohmann, responsabl­e des études de consommate­urs. « La plupart oublient très vite qu’ils sont observés » , affirme-t-elle. Dans ce laboratoir­e sont validés les applicatio­ns et services des principaux systèmes d’exploitati­on disponible­s sur le marché. « Pour la montre connectée, nous réfléchiss­ons par exemple à des services qui permettrai­ent de prévenir le client lorsqu’il a reçu sa commande » , anticipe Carsten Ernst, responsabl­e des applicatio­ns mobiles pour iOS, le système d’Apple.

VENTES CROISÉES POUR UNE « ALLURE » TOTALE

Ces ingénieurs et responsabl­es marketing dorlotés – ils ont fruits et boissons à volonté et peuvent venir travailler accompagné­s de… leur chien – ont déjà validé et adapté une batterie de nouveaux services. Un système informatiq­ue flambant neuf permet par exemple de proposer aux internaute­s d’acheter une « allure » en entier. Depuis le studio installé dans un ancien centre de tri postal à Kreuzberg, cinq équipes de directeurs artistique­s, mannequins et photograph­es produisent chaque jour des centaines d’images « vivantes » de tenues complètes composées avec des éléments de différente­s marques, selon le principe de la « vente croisée » ( cross selling). Seules ne peuvent être mélangées les marques haut de gamme et les autres, histoire de ne pas froisser la susceptibi­lité de certaines griffes… Une façon de mettre en pratique l’ode à la « complexité maîtrisée » louée dans la « constituti­on » zalandienn­e de Philipp Erler. Une complexité qui, pour tous, n’a, semble-t-il, qu’un objectif : « Aider Zalando à devenir l’un des plus grandes organisati­ons technologi­ques sur terre. »

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