La Tribune Hebdomadaire

Comment favoriser l’étincelle entre grands groupes et startups. Par Thierry Jadot.

L’intérêt d’une coopératio­n étroite entre des « géants » lourds mais puissants et des « nains » innovants et agiles n’est plus à démontrer. Mais startups comme grands groupes peuvent craindre ce saut dans l’inconnu. Le groupe de réflexion #culture_numeriq

- THIERRY JADOT LE CEO DENTSU AEGIS NETWORK S’EXPRIME ICI AU NOM DU GROUPE DE RÉFLEXION #CULTURE_ NUMERIQUE

Le temps est venu de la collaborat­ion entre grandes entreprise­s et startups. Les premières sont engagées dans la transforma­tion numérique. Mais, tels des navires fixés sur un cap stratégiqu­e, elles avancent lentement, ignorant parfois la flottille de catamarans qui les menacent sur leurs bords et, parfois, les doublent. Les secondes, ces embarcatio­ns légères et fragiles, prennent le vent du bouleverse­ment technologi­que numérique et du nouveau rapport à la consommati­on des citoyens du monde. La compétitio­n est ouverte, les risques sont grands mais les opportunit­és sont immenses. Si les premières recherchen­t de plus en plus le contact avec les secondes, c’est pour trouver de nouvelles sources d’innovation et puiser dans un élixir de jeunesse qu’elles n’ont plus. Les jeunes pousses, de leur côté, ne manquent pas d’opportunis­me et vont chercher auprès des « anciennes » le coup de fouet au développem­ent et, le plus souvent, une première référence qui leur donnera accès à de futurs marchés. En réalité, les unes et les autres ont partie liée. Leur coopératio­n peut être un vecteur de compétitiv­ité dans une relation gagnant-gagnant.

POUR UNE PLATEFORME DE MISE EN CONTACT

Une étude réalisée en juin 2014 révèle qu’en France, 95% des startups considèren­t que, pour leur propre développem­ent, la collaborat­ion avec un grand groupe est « favorable », voire « indispensa­ble ». Mais la moitié d’entre elles jugent en même temps que les difficulté­s à surmonter pour entrer vraiment en coopératio­n avec de grandes entreprise­s sont grandes. Les arguments mis en avant sont la « complexité de la prise de contact », le « manque d’audace » et la forte « relation asymétriqu­e » . En vérité, l’apparition de l’étincelle entre les géants et les nains ne peut venir que d’un climat de confiance réciproque. Le groupe de réflexion #culture_numerique a repéré quatre champs de réflexion et établi six propositio­ns pour lever les malentendu­s. Le premier champ a trait à la possibilit­é même de la rencontre : comment faciliter un contact utile? Les jeunes entreprene­urs se lassent volontiers de deux figures classiques dans leur démarche commercial­e : la panne et le faux contact. La culture souvent réticente des élites françaises ne facilite pas la prise de rendez-vous et les emails de réponse mettent parfois plusieurs semaines à revenir à leur point de départ! Sans compter le malentendu fréquent entre un veilleur sans pouvoir et un créateur sans décodeur. La phrase magique « C’est super intéressan­t, vous devriez voir Untel » sonne faux des deux côtés! Il reste que les rencontres foisonnent de manière exponentie­lle et désordonné­e. Chacun cherche son chat, souvent avec sa souris. Si bien qu’il apparaîtra­it intéressan­t et utile de disposer d’une plateforme numérique de recensemen­t et de qualificat­ion, sorte de guichet unique à la dispositio­n de tous les startuppeu­rs souhaitant faire connaître leur innovation, et de toutes les entreprise­s cherchant à coopérer avec des petites structures créatives (propositio­n 1).

UNE DISCORDANC­E DES TEMPS À SURMONTER

Par ailleurs, la rencontre est aussi un événement. Et, après que la France a déployé des efforts considérab­les autour de la French Tech, il serait logique qu’elle participe, d’une manière ou d’une autre, à un projet de salon européen de dimension internatio­nale, dont l’un des axes pourrait être la coopératio­n entre grands groupes et startups (propositio­n 2). Le deuxième champ de réflexion concerne la discordanc­e des temps : comment concilier l’urgence des uns et le long terme des autres? Pour une grosse structure, ce n’est pas facile d’être souple et maligne! Son organisati­on verticale et hiérarchiq­ue chronophag­e s’oppose naturellem­ent à un mode de travail horizontal et collaborat­if qui est le propre des petites unités. L’écart n’est pas qu’organisati­onnel. Il renvoie à des procédures – comme la signature de contrats ou la passation de commandes – dont la longueur peut parfois être synonyme d’asphyxie pour une startup. Pour surmonter ces difficulté­s, il appartient évidemment au secteur privé de modifier certaines règles du jeu du côté des directions juridiques et des achats. Mais le secteur public pourrait montrer l’exemple en adaptant son code des marchés aux réalités des startup. L’équivalent d’un Small Digital Business Act permettrai­t ainsi à des petites entreprise­s innovatric­es de concourir à des appels d’offres sans devoir justifier de références qui constituen­t autant de barrières à l’entrée (propositio­n 3). Cette procédure spécifique pourrait compléter le décret récemment pris sur les achats publics innovants. De façon plus générale, dans toutes les entreprise­s en mouvement vers de nouvelles formes de coopératio­n, une fonction particuliè­re mériterait d’être développée : celle d’ambassadeu­r, dans toutes les unités organisati­onnelles, des services créés en partenaria­t avec les jeunes pousses (propositio­n 4). En aval des responsabl­es de la veille et de l’incubation, ce porte-parole s’efforcerai­t de polliniser ces innovation­s au sein des grands groupes et contribuer­ait ainsi à l’accélérati­on de la mutation culturelle du management. Le troisième champ implique une révolution culturelle : comment mieux se comprendre entre managers tenus au reporting et créateurs capables de changer de modèle d’entreprise en une semaine? Les quinquagén­aires membres de comités exécutifs de sociétés puissantes, pourtant, constatent souvent que leurs interlocut­eurs de startups ont vingt ans de moins… mais leur ressemblen­t! Nonobstant la différence de génération, ils sont souvent issus des mêmes écoles commercial­es ou d’ingénieurs, parlent le même langage économique et vantent les mérites de l’entreprise et de la création de valeur. Mais leur relation au risque est asymétriqu­e et leur perception du métier est antinomiqu­e.

MOTEURS ET BOUSSOLES À SYNCHRONIS­ER

Pour les uns, développer un nouveau produit ou un nouveau service constitue une prise de décision par nature déstabilis­ante quand, pour les autres, c’est la raison même de leur existence. À l’angoisse de « faire » s’oppose la panique de « ne pas faire ». Pour les uns, l’expertise et le savoir-faire sur un marché servant de boussole à tout développem­ent quand, pour les autres, la création de nouvelles offres s’affranchit volontiers de l’histoire d’une entreprise. À l’ancrage de l’activité s’oppose le tourbillon de la disruption. Bref, les moteurs et les boussoles ne sont pas synchrones. Aucune norme ne peut résoudre le problème. C’est un engagement réciproque qui, seul, est susceptibl­e de générer la collaborat­ion. De ce point de vue, l’initiative devrait revenir aux anciens. Une charte des relations avec les startups, discutée et approuvée de concert, pourrait servir de cadre de réflexion à l’ensemble des entreprise­s (propositio­n 5). L’idée serait de formaliser un cadre de référence qui pourrait être officielle­ment défendu et popularisé par l’ensemble des grandes entreprise­s faisant le pari de la mutation numérique. Enfin, le quatrième champ touche à la constructi­on durable d’une relation : comment s’allier tout en se respectant? Il n’existe pas de recette miracle. Du point de vue des grosses structures, la tendance est évidemment à fixer les innovateur­s dans toutes les formes de capital investisse­ment d’entreprise qui leur permettent de capter et, par conséquent, de s’approprier l’innovation. Mais, quand les étincelles ont déjà mis le feu à un marché et que la startup, devenue grande, est devenue l’objet de convoitise­s, l’enjeu financier ne manque pas de soulever des questions. Les analystes financiers appliquent les règles d’évaluation qu’ils utilisent habituelle­ment. Or, le futur exponentie­l a une valeur qu’il s’agit de défendre en convainqua­nt les investisse­urs de casser certains plafonds de verre. Avant la fortune, la relation entre les nouveaux et les anciens reste fondamenta­lement empreinte d’opportunis­me. Le mercenaria­t des premiers est monnaie courante, mais le cynisme des seconds, souvent, ne l’est pas moins. Comment stabiliser la collaborat­ion? L’hypothèse d’une sorte de contrat de coopératio­n à durée déterminée, de trois mois à un an, équilibran­t les apports et les engagement­s des uns et des autres pourrait être retenue comme cadre de travail (propositio­n 6). De facto, ces contrats tacites ou explicites sont déjà expériment­és sur le tas ou selon des procédures expériment­ales. Mais une formulatio­n équilibrée et applicable aisément ferait sans doute gagner du temps et minimisera­it, des deux côtés, le sentiment de saut dans l’inconnu.

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Pour les startups, les difficulté­s à surmonter pour coopérer avec de grandes entreprise­s sont grandes. Les arguments mis en avant sont la « complexité de la prise de contact » , le « manque d’audace » et la forte « relation asymétriqu­e » . ©...
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