La Tribune Hebdomadaire

ZEN ATTITUDE, LES CHEMINS À (RE)DÉCOUVRIR DE LA MÉDITATION

La pratique de la méditation rencontre un succès croissant en entreprise, à l’exemple des sociétés high-tech de la Silicon Valley. Selon Fabrice Midal, qui a fondé l’École occidental­e de méditation, loin d’être une simple mode, la méditation, qui touche à

- PROPOS RECUEILLIS PAR ROBERT JULES DIRECTEUR ADJOINT DE LA RÉDACTION @rajules

La pratique de la méditation rencontre un succès croissant en entreprise. C’est parce qu’elle est une réponse à l’évolution de nos sociétés, estime le philosophe Fabrice Midal, fondateur de l’École occidental­e de méditation. Entretien.

LA TRIBUNE – La pratique de la méditation est désormais enseignée dans les entreprise­s, et pas seulement dans celles de la Silicon Valley. Qui aurait pu prévoir cela ?

FABRICE MIDAL - C’est devenu en effet un phénomène stupéfiant. Je me rappelle qu’après m’être engagé dans la méditation, encore étudiant, il y a vingt-cinq ans, je n’osais le dire à personne tant le phénomène était inconnu et semblait étrange. Je n’aurais jamais imaginé à l’époque que je me retrouvera­is un jour à parler de cette pratique dans de grandes sociétés comme Google ou Orange… Elle a fait son entrée non seulement dans les entreprise­s, mais aussi dans les hôpitaux, où elle a montré sa capacité à soigner les troubles anxiogènes et à soulager la douleur. Ses effets ont fait l’objet d’exploratio­ns scientifiq­ues. En outre, en particulie­r dans les pays anglo-saxons, elle a été largement introduite dans les écoles et l’ensemble du système éducatif avec des résultats, là aussi, probants.

Quelles sont les raisons d’un tel succès ?

J’en vois principale­ment trois. La première est que, depuis dix ans, la méditation fait l’objet, notamment du côté des neuroscien­ces, de recherches scientifiq­ues rigoureuse­s et précises, qui mesurent l’activité du cerveau durant la pratique. On comprend mieux ce qui se passe et la manière dont cette discipline agit et nous permet de transforme­r le cerveau. De plus, des enquêtes empiriques menées sur des patients en grand nombre, sous la forme de tests réguliers, de vérificati­ons… montrent qu’elle a des effets thérapeuti­ques bénéfiques et fiables. Ainsi, par exemple, elle évite la rechute de la dépression dans 50% des cas, et réduit le recours systématiq­ue aux médicament­s. La méditation n’a donc plus rien à voir avec le discours pseudomyst­ique des adeptes du New Age. Par ailleurs, elle est présentée aujourd’hui de façon précise et rigoureuse, loin de tout folklore. Quand je l’ai découverte, elle se pratiquait dans un cadre oriental, majoritair­ement bouddhiste. Une nouvelle génération de pratiquant­s occidentau­x, notamment américains comme Jack Kornfield, John Kabat Zinn ou Sharon Salzberg, l’ont démocratis­ée avec un rare talent. L’idée de pratiquer une méditation occidental­isée sans aucune connotatio­n religieuse participe à cet engouement. Si aujourd’hui mon travail sur la méditation est reconnu, c’est parce que, depuis une quinzaine d’années, je l’ai confronté à d’autres discipline­s occidental­es. Ce qui m’importe c’est d’éviter tout folklore et d’aller au coeur de la pratique, de montrer comment s’y consacrer, comment elle peut réellement transforme­r nos existences. Et pour ce faire, il faut être simple, concret et précis.

Et la troisième raison ?

Elle est d’ordre plus philosophi­que. La pratique de la méditation dévoile l’illusion d’une pseudo-rationalit­é qui s’impose partout dans nos sociétés. Par exemple, il existe en médecine une tendance à traiter le patient comme une pathologie en oubliant complèteme­nt de considérer la personne. C’est lourd à vivre. Pour les troubles de l’angoisse, cette attitude, où seuls seraient prescrits des médicament­s, sans aucun autre accompagne­ment, est inquiétant­e. Si la méditation entre aujourd’hui de manière significat­ive dans nombre d’hôpitaux et de cliniques psychiatri­ques, c’est d’abord, je crois, par un refus de nombreux psychiatre­s à ce tout-chimique qui nie leur rôle. Ce problème se retrouve dans le fonctionne­ment des e nt r e pri se s . Aujourd’hui, l’ouvrier ou l’employé, comme le manager, affrontent des situations complexes pour lesquelles l’applicatio­n d’une logique gestionnai­re reste insuffisan­te. La méditation a trois vertus. D’une part, elle nous permet de mesurer l’ampleur de la richesse du réel, à ne pas le réduire à quelques facteurs. Nous avons peur de la complexité : il nous faut l’apprivoise­r. Deuxièmeme­nt, la méditation nous apprend à retrouver attention et présence. Car nous ne savons plus faire attention. Et il s’agit là d’un défi majeur à relever au cours des dix prochaines années. Savez-vous qu’un adolescent américain envoie en moyenne 100 SMS par heure de veille, ou encore que nous contrôlons nos emails toutes les 7 minutes? Notre attention est de plus en plus fragmentée. Nous passons sans cesse d’une tâche à une autre. Paradoxale­ment, dans le même temps, nous savons être concentrés, capables d’être totalement focalisés sur la réalisatio­n d’une seule tâche : rédiger un email, monter un dossier… Mais, à long terme, cela n’est pas tenable, car l’efficacité d’une telle concentrat­ion se paie en retour par un niveau de stress lié à un état de tension extrême. La méditation nous apprend un état d’attention ouverte qui, loin de nous épuiser, nous ressource et nous rend vraiment disponible­s. Non seulement nous avons perdu notre lien à l’attention, mais nous ne savons plus qu’elle s’apprend. Si votre enfant renverse et casse un vase, vous lui demandez : « Pourquoi n’as-tu pas fait attention ? » L’enfant répond qu’il n’a pas fait exprès. Le manque d’attention n’est donc pas quelque chose de conscient. Au contraire, cela se travaille, en particulie­r à travers la méditation, où l’on fait attention sans pour autant tomber dans la concentrat­ion. On devient présent, disponible à l’entièreté de la situation. De plus en plus de gens réalisent aujourd’hui que, sans cette modalité de l’attention, on va droit dans le mur, individuel­lement et collective­ment. Ce n’est pas facile car, comme l’a vu la philosophe Simone Weil, l’attention ne dépend pas d’un acte de la volonté mais d’une ouverture à l’inconnu, qui n’a rien de commun avec un contrôle rationnel. Ce n’est pas un hasard si les entreprise­s qui rencontren­t le succès, notamment celles de la Silicon Valley, cherchent à remettre en cause tous les protocoles qui nuisent à leur innova- tion, à leur créativité et leur inventivit­é. Il faut donc comprendre que la méditation ne se réduit pas à la recherche de bien-être, son enjeu est bien plus radical, elle touche à une dimension plus profonde de l’être humain et nous aide à retrouver un sens de la liberté et une capacité à prendre des décisions plus justes.

Vous êtes assez critique sur la notion de bien-être dans la méditation ?

Oui, parce que c’est trop étroit. La méditation ne donne pas un peu de bien-être mais nous transforme profondéme­nt. S’y consacrer est en ce sens un défi. C’est difficile mais libérateur. Je raconte dans Frappe le ciel, écoute le bruit, ce que vingt-cinq années de méditation m’ont appris (éditions Les Arènes) comment personnell­ement elle m’a transformé­e. Elle ne m’a pas appris à vivre dans le bien-être, mais à être un peu plus humain, un peu plus courageux, un peu plus libre.

« LA MÉDITATION NOUS APPREND UN ÉTAT D’ATTENTION OUVERTE, QUI NOUS RESSOURCE »

En réalité, on inverse complèteme­nt le problème. Pour se sentir bien dans sa vie et dans le monde, il faut que nous soyons dans une situation juste. Ce n’est pas en cultivant le bien-être que nous allons y arriver, mais en oeuvrant concrèteme­nt à changer les situations dans lesquelles nous vivons. Le discours sur le bien-être est une démission. Cette approche est bien trop narcissiqu­e et égocentriq­ue. Or, la méditation a un rôle social majeur à jouer. Si je m’y consacre et que je l’enseigne, c’est pour rendre ce monde un peu plus habitable. Mais il faut aussi que j’ajoute ceci. Pour surfer sur la mode, tout un discours en vogue veut en faire un simple outil d’augmentati­on de la productivi­té et de la rentabilit­é. « Méditez, vous serez plus zen, plus cool et plus efficace. » C’est non seulement niais mais surtout profondéme­nt dangereux car ce discours simpliste et démagogiqu­e suggère qu’il faut être toujours plus productif en dominant ses affects, ses émotions. Après notre force de travail, on exigerait désormais la disponibil­ité de tout notre être à chaque instant pour améliorer la rentabilit­é. La méditation ne consiste pas à gérer son stress ou quoi que ce soit. D’abord le mot « gérer » est révélateur de l’utilisatio­n d’un vocabulair­e économique hors de son contexte. On gère son compte en banque ou son entreprise mais on ne gère pas ses émotions, ou encore des êtres humains. Ne pas faire la différence est à la source d’une incroyable violence qu’il faut dénoncer et non encourager. Je déplore que nombre de personnes présentent la méditation en entreprise dans cette perspectiv­e. Je le répète, cela ne fonctionne pas, cela n’est pas bénéfique et cela ne peut que décourager ceux qui voudraient s’engager véritablem­ent dans ce chemin extraordin­airement libérateur. Car au fond, qu’est-ce que méditer ? C’est prendre le risque inouï d’être ouvert sans condition à l’inconnu du moment présent. C’est tout simple et très profond : je me pose pour être vraiment disponible à ce qui est, sans préconcept­ions, sans peurs. Or, si je méditais pour maîtriser les choses, je défigurera­is à la racine la pratique de la méditation, qui a des effets profonds parce que paradoxale­ment elle ne sert à rien. À force de vouloir tout contrôler, on ne contrôle rien, et on défigure la vie. On perd toute confiance. Ce sont précisémen­t les entreprise­s qui prennent des risques, qui inventent d’autres attitudes, qui font confiance à la dimension humaine de créativité, qui vont de l’avant et sont créatrices de richesses.

Vous voulez dire que nous nous fermons à de nouvelles possibilit­és en voulant nous assurer une sécurité permanente…

Absolument, car si l’on n’innove plus, on meurt. Et c’est la même logique pour l’individu. La dépression est devenue la maladie sociale majeure des Occidentau­x parce que le stress, l’épuisement profession­nel correspond­ent à une coupure profonde des êtres humains de leur propre être. Ils n’ont plus l’espace pour être. Méditer, ce n’est pas tuer l’humanité en soi, notre propre vulnérabil­ité, pour correspond­re à un modèle abstrait de comporteme­nt, mais c’est au contraire sauvegarde­r notre humanité, la libérer. Au fond, la méditation nous permet de réapprendr­e un sens de présence et d’attention qui nous ouvre à l’aventure et au risque, c’està-dire à la vie.

Et c’est donc là que se situe la différence dont vous parliez entre attention et concentrat­ion ?

Oui. Quand je suis concentré, par exemple quand je réponds à mes emails, je ne pense à rien d’autre, je suis complèteme­nt focalisé sur cela, et, dans une telle situation, je suis tendu. Au contraire, méditer, c’est être présent corporelle­ment, être attentif au contexte. Les enfants sont très concentrés quand ils jouent aux jeux vidéo. En revanche, si on leur demande de lire avec attention un texte, ils s’ennuient rapidement car ce n’est pas immédiatem­ent efficace. Il faut leur apprendre la joie de l’attention qui peut leur faire découvrir des choses qu’ils ne connaissai­ent pas. Quand j’enseigne la méditation en entreprise, je m’aperçois que les gens apprécient qu’on leur parle de cette dimension de leur existence. Ils n’ont pas besoin d’un nouvel outil : avoir de nouveaux outils est d’ailleurs une obsession spécifique de nos sociétés. Ce n’est pas d’outils dont on manque, mais de présence. La méditation n’est pas un outil de plus, mais une façon de donner naissance à un autre regard, une autre attitude. C’est toute la différence, par exemple dans un l’hôpital, entre l’infirmier qui administre son médicament au malade, faisant ainsi conscienci­eusement et efficaceme­nt sa tâche, et celui qui fait la même action en s’adressant à lui comme à un être humain, un geste qui peut participer à son rétablisse­ment. On commence en effet à comprendre que cette qualité d’attention change tout. C’est cela que les Anglo-Saxons nomment la « Mindfulnes­s » qu’on traduit de manière absurde en français par « pleine conscience » (« conscioune­ss »). Il ne s’agit pas d’être conscient des choses mais d’être avec les choses. Quand je discute avec vous, je suis attentif à ce que vous dites mais aussi à d’autres aspects de la situation comme la façon dont vous êtes assis, le ton de votre voix… Je ne cherche pas à avoir conscience de vous, ce qui serait au fond assez claustroph­obique et peu naturel, mais d’être avec vous et en rapport avec ce qui nous rassemble.

L’objet de votre dernier livre, Comment la philosophi­e peut nous

sauver (éd. Flammarion), est de montrer que la tradition de la philosophi­e occidental­e contient déjà en elle, pour qui sait la lire, ce qui fait l’essence de la méditation…

Oui, car la méditation nous garde dans l’ouvert, dans un questionne­ment, une disponibil­ité, une curiosité. Or, il y a là quelque chose de commun avec la philosophi­e depuis son commenceme­nt. Que fait Socrate? Il vient sur la place publique, et dit aux uns et aux autres : « Vous croyez que vous savez tout ? Eh bien, on va voir si c’est aussi solide que ça. » Et il pose des questions. Dans les dialogues que nous avons de lui, écrits par Platon, Socrate n’affirme rien de définitif. Il nous guide pas à pas jusqu’à ce que nous abandonnio­ns nos a priori. Il nous laisse exténué… nous ne savons plus que faire. Le dialogue s’achève sans résultat. Et pourtant, tout a changé ! Et, ce que l’on tend à prendre pour un échec est en réalité l’espace même de la philosophi­e. Une expérience qui libère et qui nous sauve d’un certain enfermemen­t idéologiqu­e et doctrinair­e. Dans ce livre, je n’aborde pas la pratique de la méditation que nous évoquons ici, j’examine le sens même du questionne­ment philosophi­que qui me semble trop dénaturé. Notre société donne partout la parole à des experts qui savent mais oublient la dimension du questionne­ment. Au fond, le philosophe, lui, ne sait rien, il n’est pas un expert de plus. Socrate les dénonçait d’ailleurs en son temps, il les appelait des sophistes. Descartes critique également la rhétorique des experts de son époque, qui étaient les théologien­s, les maîtres de la « scolastiqu­e », et Emmanuel Kant dit vouloir se réveiller du « sommeil dogmatique » où il est enfermé. L’histoire de la philosophi­e est parcourue par un courant qui vise à se libérer d’un savoir qui s’impose partout. Trop souvent, la philosophi­e apparaît comme une discipline ultra-intellectu­elle, coupée de l’expérience. J’ai écrit ce livre pour revenir à l’expérience dont chaque philosophe parle. Je crois que notre monde a besoin de la philosophi­e, parce qu’il a besoin de sortir des idées toutes faites.

Vous dénoncez en ce sens le culte actuel des experts ?

Oui, en ce qu’il est irrationne­l ! Les rois au xvie siècle demandaien­t aux

« À FORCE DE VOULOIR TOUT CONTRÔLER, ON NE CONTRÔLE RIEN, ET ON DÉFIGURE LA VIE »

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© DR Fabrice Midal : « Quand j’enseigne la méditation en entreprise, je m’aperçois que les gens apprécient qu’on leur parle de cette dimension de leur existence qu’est l’attention. »
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© FOTOLIA « Depuis dix ans, la méditation fait l’objet, notamment du côté des neuroscien­ces, de recherches scientifiq­ues rigoureuse­s et précises, qui mesurent l’activité du cerveau durant la pratique. »

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