La Tribune Hebdomadaire

NEW YORK, CITÉ DES MILLIARDAI­RES

Le très haut de gamme s’envole au plus haut des gratte-ciel.

- PAR MARIE-AUDE PANOSSIAN À NEW-YORK

C’ est une tour en verre de 300 m de haut avec une vue sur Central Park à vous couper le souffle. Jusqu’au 81e étage, One57 abrite l’hôtel de luxe Park Hyatt, puis, du 82e au 90e, les appartemen­ts privés sont à l’honneur. Quatreving­t-quatorze appartemen­ts, entre 50 et 90 millions de dollars chacun et dont les trois quarts sont vendus. Mais pas vraiment habités puisque ces « home sweet homes » ne servent souvent que de pied-à-terre pour quelques grandes fortunes américaine­s ou étrangères, quand ils ne s’assimilent pas à de purs produits d’investisse­ments pour hommes d’affaires en quête de profits. Il faut dire que ce gratte-ciel flambant neuf, dessiné par l’architecte français Christian de Portzampar­c, offre de belles prestation­s de luxe. Ainsi, un simple coup de fil à l’hôtel suffit pour que le personnel remplisse le réfrigérat­eur ou s’occupe du linge sale. Le service en chambre fonctionne jour et nuit. Quant au magnifique spa, il est également accessible aux copropriét­aires. Des avantages qui manifestem­ent justifient le prix élevé de ces appartemen­ts – leur vente a rapporté 1,5 milliard de dollars aux promoteurs –, prix qui pourtant ne fait pas figure d’exception dans le paysage new-yorkais. À quelques rues de là, Daniel Loeb, patron du fonds d’investisse­ment spéculatif Third Point, se vante d’avoir déboursé 45 millions de dollars pour habiter au 15 Central Park West et pouvoir partager sa cage d’escalier avec Sting, Denzel Washington et Alex Rodriguez, la vedette de l’équipe de baseball new-yorkaise Yankees. On pourrait ainsi multiplier les exemples tant le marché de la résidence de luxe se porte bien. De mieux en mieux même aux regards des statistiqu­es. Au printemps dernier, le prix moyen d’achat dans le très haut de gamme tournait autour de 7,5 millions de dollars, soit 38% de plus que l’an passé. Le montant des transactio­ns dans le top 10, c’est-à-dire les 10% de ventes les plus chères de Manhattan, a atteint un nouveau record : 29439 dollars du mètre carré, ce qui correspond à une hausse de 36 % par rapport à la même époque en 2013. Pour profiter au maximum de cette manne, les promoteurs bâtissent à tout va : 6000 nouvelles unités vont arriver en 2015. Certes, on est encore loin des chiffres d’avant la crise – 8000 en 2007 –, mais l’augmentati­on par rapport à 2013 semble très prometteus­e : plus 151%. À cette explosion du luxe, il convient de donner plusieurs explicatio­ns. D’abord, depuis plus d’une décennie, Manhattan et plus récemment Brooklyn apparaisse­nt comme des lieux de vie désirables. À en croire le dernier classement de Forbes, Gotham est même aujourd’hui la cité où le plus grand nombre de milliardai­res se sont installés. Mecque de la finance et quasiment de la haute technologi­e, New York voit également affluer une population qui dispose non seulement des moyens nécessaire­s pour s’offrir des résidences de grande classe, mais qui en plus les réclame. Par ailleurs, force est de reconnaîtr­e que construire dans cette cité coûte cher. Sur l’île de Manhattan où la surface n’est pas extensible, le prix du terrain a doublé, puis triplé ces dernières années pour atteindre par endroits les 6 500 dollars du mètre carré. Et, comme l’affirme Neil Helman, courtier chez Avison Young, « dès lors que le terrain atteint un certain montant, on ne peut que bâtir en prenant grand soin des finitions et en posant de l’électromén­ager haut de gamme. On se retrouve alors immédiatem­ent avec des appartemen­ts très chers. »

DES BIENS QUI RESTENT RENTABLES À LONG TERME

Enfin, il semble que cette escalade n’est pas près de s’arrêter car les promoteurs délaissent actuelleme­nt la constructi­on de bureaux au profit de cette niche très lucrative, le luxe restant un excellent investisse­ment à New York. Dans la dernière décennie, selon l’indice S&P 500, ce marché a connu un taux de croissance annuel de 6,5% alors que pendant la même période, la Bourse n’augmentait que de 5,6%. Et même à la revente, ce qui constitue 91% du marché, ces biens restent très rentables puisqu’on note une hausse de 17% des tarifs entre le printemps 2013 et 2014. À en croire Jonathan Miller, président de la société de consulting Miller Samuel Real Estate, les prix ne vont pas baisser, car les appartemen­ts nouvelleme­nt fabriqués sont plus grands (+22% de surface) et donc plus onéreux que l’an passé. Face à cette situation qui fait de New York une ville devenue inabordabl­e pour les revenus moyens et bas et où le nombre de SDF augmente, les autorités tentent de réagir. Même si elles ne disposent à vrai dire que de très peu d’outils coercitifs. La municipali­té peut faire pression sur les promoteurs lorsqu’ils demandent de rendre un lot constructi­ble ou veulent le faire « rezoner », ce qui revient à changer sa destinatio­n. Dans ce cas, la mairie est en droit d’exiger que les constructi­ons disposent d’appartemen­ts dont 50% se vendent au prix du marché, 30% demeurent accessible­s aux budgets moyens et 20% aux bas salaires. Mais cette mixité forcée ne satisfait en fait personne. Ni les associatio­ns qui trouvent que l’effort n’est pas assez important pour les moins fortunés, ni, on s’en doute, les promoteurs et leurs clients fortunés. « Le coût du terrain rend difficile la constructi­on de logements pour la classe moyenne » , contre-argumente David Kramer, DG du promoteur Hudson Companies. Alors pour contourner cette exigence, certains ont trouvé la parade. Parfois, les immeubles comportent deux entrées. Une porte pour les riches et une pour les pauvres. « Les gens qui vivent dans le luxe préfèrent cette solution, justifie Donald Trump. Ce n’est un secret pour personne. Et que ce ne soit pas politiquem­ent correct ne m’intéresse pas. »

LA MAIRIE RÉFLÉCHIT À UNE « OLIGARCH TAX »

Mais si l’effet de ces mesures de rétorsion reste surtout symbolique, certains analystes commencent cependant à tirer la sonnette d’alarme. À les écouter, le marché montrerait quelques signes d’essoufflem­ent : des clients un peu moins nombreux, moins pressés de conclure l’affaire et plus regardants sur le bien. Selon l’agence de courtage en immobilier de luxe, Olshan Realty, le nombre des ventes a baissé de 8% les six premiers mois de l’année comparé à la même période en 2013. Les biens qui dépassent les 10 millions de dollars poseraient particuliè­rement problème. Et de rappeler qu’il reste encore 25% d’appartemen­ts à vendre au One57. L’arrivée de nouveaux produits, notamment à Midtown, devrait encore compliquer un peu plus la donne. Surtout si, comme le propose le sénateur démocrate Brad Hoylman, la ville instaure une « oligarch tax » qui imposerait davantage encore les résidences secondaire­s valant plus de cinq millions de dollars. Une idée aujourd’hui en débat au sénat qui est loin de faire l’unanimité. À suivre.

 ?? © REUTERS/MIKE SEGAR ?? Le gratte-ciel One57, situé au sud de Central Park, conçu par l’architecte français Christian de Portzampar­c et surnommé l’« immeuble des milliardai­res ». Outre le palace Park Hyatt, il contient un peu moins d’une centaine d’appartemen­ts de grand luxe.
© REUTERS/MIKE SEGAR Le gratte-ciel One57, situé au sud de Central Park, conçu par l’architecte français Christian de Portzampar­c et surnommé l’« immeuble des milliardai­res ». Outre le palace Park Hyatt, il contient un peu moins d’une centaine d’appartemen­ts de grand luxe.

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