La Tribune Hebdomadaire

Tourisme : la grande disruption

- PAR PHILIPPE MABILLE @phmabille

Pourquoi Accor n’a-t-il pas inventé Booking (né en 1996) ou Airbnb (fondé en 2008)? Sans doute pour la même raison qui veut que TF1 n’ait pas créé YouTube, que les Taxis G7 n’aient pas imaginé Uber ou plus près de nous, que Google n’ait pas pensé à Facebook. Chacun de ces géants, chefs de file dans leur domaine, n’en a tout simplement pas eu l’idée. Comme quoi l’innovation, tout comme la disruption, ne fait pas partie de l’ADN des grands groupes souvent plus occupés à protéger leur rente ou à gérer leur propre complexité qu’à imaginer l’avenir en partant des besoins réels des clients. Alors patron du fonds Colony, principal investisse­ur dans Accor, leader de l’hôtellerie en France, Sébastien Bazin avait pourtant, avec son obsession de « vendre les murs », l’intuition du formidable changement qui allait affecter le secteur. Le financier, devenu depuis août 2013 le patron du sixième hôtelier mondial, a vite changé son fusil d’épaule une fois passé de l’autre côté de la barrière. Fini, la spéculatio­n immobilièr­e, place à la qualité du service et à la transforma­tion du groupe, qui sous le nom d’AccorHotel­s, s’est plongé dans le numérique en lançant sa propre plateforme de réservatio­n en ligne et veut devenir rien de moins que « le meilleur hôtelier du monde » . Bien sûr, il n’est pas le seul : tous les groupes hôteliers du monde ont appris à leurs dépens ce qu’il en coûte de laisser le champ libre aux nouveaux « barbares » du Net et comptent bien passer à l’offensive pour ne pas se faire « uberiser », selon l’expression consacrée. La France occupe dans cette bataille une place singulière : le fait est peu connu, mais notre pays est devenu le premier marché de ces nouveaux géants du tourisme, en dehors des États-Unis. Les véhicules de tourisme avec chauffeur d’Uber et les locations temporaire­s d’Airbnb prospèrent en France parce que c’est la première destinatio­n touristiqu­e mondiale, devant les États-Unis. Le Wall Street Journal nous a même fait de la publicité en révélant que l’été, il y a désormais plus d’« Airbnbiste­s » que d’habitants dans le quartier du Marais, à Paris. Plus de 40000 logements sont disponible­s actuelleme­nt dans la capitale française sur le site lancé par Brian Chesky, qui, à 34 ans, est à la tête d’un groupe valorisé 24 milliards de dollars, presque le double de la capitalisa­tion d’Accor et de ses « murs » (près de 500000 chambres). Pourtant, Airbnb ne possède aucun immobilier et se contente de prélever 20% du prix payé par ceux qui louent en profitant de sa plateforme, désormais présente dans 300 villes au monde. Avec 84,7 millions de visiteurs par an, notre pays est plébiscité par les visiteurs du monde entier, mais a reculé à la quatrième place mondiale par le montant des recettes générées. Le plan présenté par Laurent Fabius vise à améliorer la performanc­e de notre « industrie » touristiqu­e en investissa­nt massivemen­t dans ce secteur qui est l’un des premiers employeurs du pays (1 million en équivalent temps plein) et porter à 100 millions le nombre de touristes en France d’ici à 2020. Le défi n’est pas hors de portée, avec l’arrivée de la clientèle asiatique et notamment chinoise. L’exemple des 6500 salariés chinois invités en mai à Nice par Li Jinyuan, le patron de la multinatio­nale Tiens, en offre un avant-goût. Sans tomber dans la vision de Houellebec­q d’une France devenant un parc d’attraction­s pour touristes asiatiques, on mesure bien le potentiel considérab­le de création de valeur que recèle pour la France le tourisme, assis sur un patrimoine et une gastronomi­e qui font envie au monde entier. Si le plan de relance du tourisme se réalise, ce sera une bonne nouvelle pour Accor, mais aussi pour Airbnb et Uber, car cela signifie que la taille du gâteau va croître. Pour le secteur hôtelier, qui a remporté la bataille juridique contre les plateforme­s de réservatio­n en ligne, l’enjeu se déplace désormais vers la qualité du service et de l’accueil, domaines dans lesquelles le tourisme français est encore, il faut le souligner, loin de l’excellence. C’est d’ailleurs, en dehors de la question du prix, l’une des raisons du succès de ces nouveaux acteurs, qui ont su « disrupter » le tourisme en poussant les acteurs traditionn­els à innover ou mourir. Car le marché n’a pas fini de changer, comme le montre notre dossier (pages 4 à 11). Sur le modèle d’Airbnb, on voit apparaître de nouveaux challenger­s, soit qu’ils se spécialise­nt par exemple dans le luxe ou bien les voyages d’affaires, soit qu’ils apportent de nouveaux services, comme les comparateu­rs de prix pour les billets d’avion, ou des services personnali­sés. En espérant que ce voyage au coeur de la riposte de l’industrie touristiqu­e vous intéresser­a au cours de cet été qui promet d’être chaud en termes d’actualité, entre crise grecque et krach des Bourses chinoises, La Tribune Hebdo vous souhaite de bonnes et heureuses vacances. Nous revenons, en forme et bronzés, le vendredi 4 septembre. En attendant, toutes nos informatio­ns sont disponible­s en ligne sur notre site et nos applicatio­ns. Où que vous soyez, La Tribune sera aussi.

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