La Tribune Hebdomadaire

Nous n’irons plus au paradis

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L’affaire #Panamapape­rs qui défraye la chronique depuis la publicatio­n simultanée dimanche 3 avril, par plus de 100 journaux du monde entier, d’une liste de détenteurs connus de comptes offshore dans des paradis fiscaux n’en finit plus de faire des vagues. Issue d’une « fuite » géante dans les archives d’un cabinet d’avocats panaméen, Mossack Fonseca, ces révélation­s ont jeté en pâture aux opinions publiques les noms d’une dizaine de chefs d’État, de milliardai­res connus, mais aussi de grands noms du sport et de célébrités qui ont eu recours à des montages extraterri­toriaux. Première « victime », Sigmundur Davíð Gunlaugsso­n, le premier ministre islandais, a démissionn­é mardi 5 avril, après des manifestat­ions monstres. Bref, c’est une bombe à fragmentat­ion qu’ont lancée sur la finance internatio­nale les quelque 300 journalist­es qui ont travaillé de concert sur les 11,5 millions de documents récupérés par le consortium internatio­nal des journalist­es d’investigat­ion. On se souvient de la phrase culte de Nicolas Sarkozy, prononcée en 2009 à l’issue du G20, en pleine crise financière internatio­nale : « Les paradis fiscaux, c’est fini ! » Pas tout à fait, en fait, et la France a décidé dès mardi 5 avril de réinscrire le Panama sur la liste des États et territoire­s non coopératif­s sur le plan des échanges d’informatio­ns fiscales, alors qu’il en avait été retiré en 2012 sous… Nicolas Sarkozy. Le ministre des Finances Michel Sapin a promis une réponse ferme, avec des enquêtes et des redresseme­nts fiscaux pour les contribuab­les français qui auraient réalisé des opérations d’évasion ou de fraude fiscale. Bref, comme l’a dit avec cynisme François Hollande, « c’est une bonne nouvelle que nous ayons connaissan­ce de ces révélation­s, parce que ça va nous faire encore des rentrées fiscales de la part de ceux qui ont fraudé » . Et il n’a pas manqué de rappeler qu’en 2015, la lutte contre la fraude fiscale avait déjà permis de récupérer 12 milliards d’euros. Pour le système financier internatio­nal, l’affaire sonne comme un électrocho­c. C’est la fin de la garantie d’opacité dont bénéficiai­ent les clients de ces sociétés offshore. Le paradis (fiscal) n’en est plus un si des lanceurs d’alertes sont ainsi en mesure, à tout moment, de révéler de façon aussi massive les noms de ceux qui y ont recours. Pour des affaires fondées sur le secret, on fait plus discret… D’un certain point de vue, ces révélation­s font penser à l’affaire Ashley Madison, lorsque des hackers ont dévoilé, en juillet 2015, 37 millions de profils piratés d’un site de rencontres extraconju­gales américain. On ne sait pas combien de divorces ont été provoqués par cette fuite massive, mais une chose est sûre, ceux qui y avaient recours vont sans doute réfléchir à deux fois avant d’utiliser ce genre de service. Bref, dans le monde actuel, il semble que tout finisse toujours par se savoir, pour ceux qui jouent avec les limites. La révélation des « Panama papers » pourrait ainsi servir de dissuasion et d’avertissem­ent pour tous ceux qui veulent dissimuler leur fortune. Un coup terrible pour la réputation de discrétion des paradis fiscaux, bien plus mortel que toutes les réunions internatio­nales qui ont tenté, sans grand succès, de les éradiquer depuis dix ans. Pour autant, il serait naïf de penser que c’en est fini de ces eldorados de la fiscalité (très) douce. Mais avec la menace de voir leur nom divulgué, ceux qui les utilisent vont devoir faire preuve de beaucoup plus de précaution, et donc la pratique sera à l’avenir plus complexe et plus coûteuse qu’auparavant. Si tous les clients de la société panaméenne ne sont pas forcément des fraudeurs ou des criminels – les sociétés écrans qu’ils détiennent pouvant avoir été déclarées et servir à des opérations légales, par exemple acquérir un bien ou réaliser une opération financière –, il n’en reste pas moins que la plupart de ces montages ont bien pour objectif d’échapper à l’impôt. Fraude ou évasion fiscale«? Il appartiend­ra aux fiscs des 200 pays concernés par les 214«000 entités extraterri­toriales qui figurent dans les « Panama papers » de faire le tri et d’engager les poursuites. Le fait que de nombreux proches de chefs d’État, voire des chefs d’État euxmêmes, figurent dans la liste en dit néanmoins long sur le degré de corruption et de pillage économique dont sont victimes un grand nombre de pays autoritair­es. Quant à savoir si, oui ou non, comme en Islande, ces révélation­s auront des conséquenc­es politiques, cela reste à confirmer.

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PAR PHILIPPE MABILLE@phmabille

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