La Tribune Hebdomadaire

Qui sont vraiment les enfants du millénaire ?

« Enfants de la crise », biberonnés au digital, les 20-30 ans d’aujourd’hui seraient une catégorie à part, estampillé­e « Millennial­s » ou « Y ». Réalité sociologiq­ue ou fiction marketing ? Retour sur la longue histoire d’une génération sur le point d’être

-

Infidèles, narcissiqu­es, égocentriq­ues, pressés, mais exigeants, partageurs, impliqués, engagés… Sur les « Millennial­s », tant de qualificat­ifs contradict­oires émergent de centaines d’enquêtes, de sondages, d’études marketing et comporteme­ntales s’efforçant de leur tirer le portrait, que celui-ci ne ressemble plus à rien. Ici, ils sont nés entre 1977 et 1997. Là, entre 1980 et 2000. Ailleurs, entre 1980 et 1992. Pour d’autres, ils sont ceux « qui n’ont connu que des crises économique­s » ou bien ont « grandi avec l’essor d’Internet » . Parfois nommée « Y », « Digital Native » , ou affublée du préfixe « Me » ou « Ego », cette génération aux contours décidément flous fait gloser depuis déjà… plus de vingt ans. Le terme désignant la population née avant le tournant du millénaire apparaît dans une série d’ouvrages parus à partir de 1991. Les chercheurs américains William Strauss et Neil Howe y théorisent un découpage de l’histoire en tranches d’une vingtaine d’années et attribuent aux cohortes nées à ces époques valeurs et comporteme­nts archétypau­x. Après celle du « baby-boom », puis celle des « X », terme également popularisé par l’auteur canadien Douglas Coupland dans un roman de 1991 baptisé Generation X, intervient celle des « Y » ou « Millennial­s ». En 2000, Strauss et Howes qualifient cette dernière de « prochaine grande génération » , car elle serait susceptibl­e de renouer avec les conduites « héroïques » attribuées à leurs aïeux ayant vu le jour entre la Belle Époque et les Années Folles. plus attachés aux mails et à Facebook » , expliquet-il, marquant une différence entre les « Y » et leurs cadets – les « Z »! – qui prendront bientôt leur suite dans le coeur des « marketeurs ». Chasseuse de tendances au sein du cabinet de prospectiv­e NellyRodi, Alexandra Jubé dit utiliser ce dernier terme depuis « un an et demi » et « Millennial­s » depuis cinq ou six ans. « Ce n’est pas toute une génération bien sûr, mais la plus grande partie qui se reconnaît dans certains traits. Être Millennial, c’est moins une question d’âge que de posture. On peut l’être à 69 ans et être très conservate­ur à 17 ans », estime-t-elle. Brumeuse et imprécise, la catégorie renvoie moins à un groupe social réel qu’à une communauté imaginaire dotée de comporteme­nts et de valeurs auxquelles une partie des membres d’une génération s’identifie. Ou du moins à laquelle annonceurs et employeurs s’emploient à « parler » en lui renvoyant une image suffisamme­nt floue pour que n’importe quel être humain aspirant à la « modernité » rêve de lui appartenir. Mais comment se voient ceux qui sont ainsi désignés? En France, plutôt mal! Pour une majorité de jeunes interrogés par France Télévision­s sur un site lancé en 2013, s’il fallait qualifier cette génération, elle serait d’abord « sacrifiée » puis « perdue » et « Internet » . « Perdue » , c’était aussi le qualificat­if qu’avait donné Hemingway (né en 1899) à la sienne, ou plus précisémen­t celle de son groupe d’auteurs américains perdus dans le Paris de l’entre-deux-guerres. Ce Paris est une fête souvent relu et regretté à la suite des attentats du 13 novembre. Lorsque pendant quelques semaines, ceux des terrasses parisienne­s, ceux des concerts, ceux d’un peu partout, de tous les âges et de toutes les classes sociales ont parfois pris le nom de « Génération Bataclan » . Dans ce contexte, est-il franchemen­t judicieux de parler de « Millennial­s » ? Cette étiquette a-t-elle un sens? À en croire les sociologue­s et les RH, qui ont été les premiers, en France, à adopter le terme, cette tranche d’âge peut a minima se définir par un socle commun. Primo, cette génération baigne depuis toujours dans un monde profondéme­nt digital. « Elle est entrée dans l’univers de la connaissan­ce, de la culture, de la communicat­ion [permanente, Ndlr] » , constate la sociologue Monique Dagnaud, à L’Usine digitale. Secundo, elle vit depuis le berceau dans un univers très mondialisé. « Aujourd’hui, il y a sans doute plus de points communs entre un Français et un Japonais de 25 ans, qu’entre un Français de 25 ans et un autre de 50 ans », relève Marianne Urmès, du cabinet de conseil The Boson Project (lire page ci-contre). Et tertio, ces « Millennial­s » , quelle que soit leur origine, évoluent depuis toujours dans un climat de crise et de chômage élevé. PRÉSENTIST­ES ET ÉCOLOS-BOBOS Pour beaucoup, ces marqueurs caractéris­tiques auraient accouché de comporteme­nts singuliers. Selon Monique Dagnaud,

Newspapers in French

Newspapers from France