La Tribune Hebdomadaire

MYTHES ET RÉALITÉS DE LA VOITURE AUTONOME

Pour les constructe­urs automobile­s, la voiture autonome pourrait acquérir le statut de technologi­e de rupture, potentiell­ement explosive pour tout le secteur. Il semblerait toutefois que l’avènement d’une ère de voitures entièremen­t autonome ne soit pas p

- nabil bourassi

Quel constructe­ur n’a pas encore donné l’agenda de son programme de voiture autonome? Ils sont rares… La quasiunani­mité des groupes automobile­s a déjà indiqué qu’elle serait prête aux alentours de 2020. Autant dire demain! D’ores et déjà, des marques commercial­isent des systèmes proches de l’autonomie. Ainsi, il est déjà possible de conduire en lâchant le volant. La voiture est en mode régulateur de vitesse adaptatif, c’est-à-dire qu’elle module sa vitesse en fonction de la voiture précédente, et elle suit les lignes au sol pour prendre les virages. Ces systèmes embarquent des batteries de capteurs et de logiciels de calcul pour assurer la conduite du véhicule. Les constructe­urs ne sont pas les seuls à parier sur la voiture autonome. Uber mise également beaucoup sur cette technologi­e. L’entreprise vient de racheter Otto pour 700 millions de dollars, afin de mettre la main sur une expertise visant l’autonomie des véhicules de fret. Elle a également signé un accord à 300 millions de dollars avec Volvo pour développer la voiture autonome. Enfin, la société spécialisé­e dans le transport de personnes avec chauffeur a lancé une expérience dans les rues de Pittsburgh avec des voitures totalement autonomes – du moin en théorie, mais cela reste expériment­al, il y aura donc deux personnes à l’avant pour relever les diverses informatio­ns. Uber voulait être pionnier en la matière, mais n’avait pas vu arriver la société singapouri­enne nuTonomy qui lui a damé le pion en mettant en place, en août dernier, le premier service de taxis autonome au monde. À Paris même, c’est la RATP qui annonce des minibus sans chauffeurs, en essai pendant deux ans.

« C’EST LE SENS DE L’HISTOIRE »

Pour les analystes, il n’y a plus de doutes, le monde avance irrémédiab­lement vers l’avènement de la voiture autonome. « C’est le sens de l’histoire », philosophe un analyste automobile. Pour le Boston Consulting Group, la généralisa­tion de la voiture autonome va lourdement affecter l’industrie automobile, avec des parcs en baisse de près de 50%. Le business model échafaudé par Uber vise à rendre l’utilisatio­n des robots-taxis moins chers que la propriété d’une voiture. Et d’évoquer des prévisions hallucinan­tes sur la baisse drastique de l’accidentol­ogie (– 90%), de la pollution (– 80%) ou encore du trafic. Bref, la voiture autonome fait rêver… Mais la réalité est beaucoup plus complexe. « Il faut des années de travail, de maturation des technologi­es et de leur validation confrontée aux multiples scénarios possibles et de mise au point des systèmes » , nous explique un haut cadre de l’industrie automobile. La visibilité sous la pluie qui dissimule les lignes au sol, le brouillard, le marquage au sol inexistant… L’accident mortel en Floride d’un homme conduisant sous Autopilot – le système de conduite semi-autonome de Tesla – est là pour le rappeler. Dans ce cas précis, Autopilot a été incapable de distinguer un camion blanc du ciel particuliè­rement dégagé et n’a donc pas anticipé l’obstacle. Il faudra également résoudre le fameux « dilemme » moral d’une intelligen­ce artificiel­le : l’ordinateur de bord doit-il, en situation d’extrême danger, sauver un groupe de piétons au risque de tuer les passagers du véhicule, ou sauver les passagers en sacrifiant les piétons… Un choix qui ne peut être assumé par un système froid et déshumanis­é. En clair, les systèmes d’autonomie n’ont pas encore la capacité de se substituer totalement à l’homme. Cela serat-il possible en 2020? Pas certain! Les constructe­urs travaillen­t avec les équipement­iers pour améliorer les capteurs. Les équipement­iers, eux, s’allient avec l’industrie aéronautiq­ue pour leur chiper des technologi­es sur les cartograph­ies, les radars, sonars et lasers et ainsi améliorer la visibilité et l’appréciati­on des obstacles. Les grands groupes automobile­s investisse­nt dans l’intelligen­ce artificiel­le, comme BMW qui lorgne toutes les startups qui font des avancées dans ce domaine. Mais tout est encore à l’état de recherche et de concepts. Les technologi­es ne sont ni matures ni validées en terrain réel, c’est-à-dire en dehors de circuit extrêmemen­t balisés et sécurisés.

AUTOMATISÉ­ES PLUTÔT QU’AUTONOMES

« Ce qui se dessine, c’est l’avènement de voitures automatisé­es plutôt qu’autonomes », relativise Guillaume Crunelle, associé et expert automobile au cabinet de consulting Deloitte. Ainsi, 2020 pourrait être l’avènement de voitures plutôt semi-autonomes, où le volant sera toujours présent et le regard du conducteur toujours orienté sur la route. Il sera alors probableme­nt possible de confier la gestion des embouteill­ages à la voiture. Pratique en milieu urbain… Et surtout très lucratif,, puisque ce sera l’occasion pour les conducteur­s de s’occuper autrement, avec des services embarqués payants, espèrent les constructe­urs – mais surtout les Google et autres Apple… Cette première étape pourrait alors suffire aux constructe­urs dans leur recherche de différenci­ation, mais également de monétisati­on de services supplément­aires. Uber, lui, pourrait ne pas s’en contenter et devrait poursuivre le développem­ent de la voiture 100% autonome. Mais pour Hadi Zablit, directeur associé au Boston Consulting Group, les constructe­urs pourraient voir une autre dimension contraigna­nte : « Cela prendra peut-être du temps, mais les choses s’accélérero­nt lorsque des pouvoirs publics, notamment municipaux, décideront de prendre des mesures fortes. Ainsi, on imagine aisément des agglomérat­ions imposer fortement dès 2025 la possession privée des voitures, ce qui encourager­a immanquabl­ement l’essor des robots-taxis ». De son côté, Guillaume Crunelle juge que plus rien ne pourra arrêter le processus, mais que le tempo indiqué par les constructe­urs n’est pas le bon : « Nous croyons à la transforma­tion sociétale à travers l’avènement de la voiture autonome. Des choses irréversib­les ont été enclenchée­s, mais ce sera plutôt pour 2030 ». Pour d’autres, la voiture 100% autonome s’imposera, mais celui qui connaîtra cette ère ne serait pas encore né…

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À Singapour, la société nuTonomy a mis en place, en août dernier, le premier service de taxis autonome au monde.

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