La Tribune Hebdomadaire

ENEDIS ENTRETIEN AVEC PHILIPPE MONLOUBOU

Face à des métropoles aux prérogativ­es élargies, l’ex-ERDF, récemment rebaptisée Enedis, voit son rôle de distribute­ur d’électricit­é évoluer vers celui de gestionnai­re d’infrastruc­tures. Son président du directoire détaille ses missions de « service publi

- Propos recueillis par dominique pialot

LA TRIBUNE – Comment voyez-vous évoluer votre rôle de gestionnai­re de réseau ?

PHILIPPE MONLOUBOU – Dans les villes comme dans l’ensemble des territoire­s, les réseaux rassemblen­t. Enedis a vocation à créer un maillage, une connexion entre tous les Français, en toutes circonstan­ces, y compris dans les cas d’événements météorolog­iques extrêmes. Nous sommes au service de tous les citoyens, mais aussi de l’industrie française. Notre mission historique de service public est de garantir sur l’ensemble du territoire une alimentati­on électrique de qualité et nous sommes aujourd’hui entrés dans une ère de « service public de nouvelle génération » intégrant les technologi­es numériques et digitales. Cette modernisat­ion se reflète d’ailleurs dans notre changement de nom. Notre socle de missions traditionn­elles à dimension plus industriel­le demeure, mais nous devons l’adapter à la dimension numérique et digitale, fondamenta­le pour notre entreprise. Les réseaux occupent par ailleurs une place centrale dans la transition énergétiqu­e, car ils ont la capacité à créer les conditions pour intégrer des énergies renouvelab­les délocalisé­es et des initiative­s en matière d’efficacité énergétiqu­e conformes aux ambitions de la loi de transition énergétiqu­e. Aujourd’hui, nous développon­s de nouveaux rapports aux territoire­s. De distribute­ur d’électricit­é, dans un monde de plus en plus interconne­cté, nous devenons gestionnai­re d’infrastruc­tures.

Quelles relations entretenez-vous avec les métropoles ?

Par essence, nous avons toujours eu vocation à être un intégrateu­r entre les mailles nationale et très locales, tant sur les plans économique que social et technique. On assiste ces dernières années à l’émergence de régions et de métropoles aux prérogativ­es élargies. Leurs schémas, notamment en matière d’énergie, deviennent prescripti­fs, conforméme­nt à la loi de transition énergétiqu­e. Les métropoles et leurs villes jouent un rôle de locomotive de plus en plus important sur les territoire­s, notamment en termes de développem­ent économique. Dans ce contexte, Enedis adapte sa gestion des investisse­ments et des projets à cette évolution et poursuit son rôle d’intégrateu­r. En parallèle, nous assistons à un phénomène de concentrat­ion en mode urbain qui nous oblige à étudier tout particuliè­rement la résilience de nos ouvrages en ville. Il devient en effet de plus en plus difficile de réaliser des travaux susceptibl­es de générer de l’encombreme­nt. L’exigence des riverains et des municipali­tés a beaucoup augmenté à notre égard en matière d’acceptabil­ité des travaux. De ce point de vue, les progrès que nous avons réalisés en matière de maintenanc­e prédictive, notamment sur les gros ouvrages, sont très précieux. Les technologi­es d’informatio­n liées au numérique nous permettent de communique­r en temps réel avec les riverains, de nous interconne­cter au plus près des citoyens et de créer ce lien que le grand public attend. Mais la croissance de la consommati­on n’est pas inéluctabl­e, comme on le constate depuis quelques années sous le double effet du contexte économique et des progrès de l’efficacité énergétiqu­e. Par ailleurs, les villes disposent aujourd’hui de nouveaux outils qui leur permettent d’opter pour des solutions qui évitent le redimensio­nnement des réseaux, que ce soit en termes de coûts, de délais ou d’impact sur la population environnan­te. Nos propres programmes d’investisse­ment, notamment sur les grands postes de transforma­tion, intègrent l’évolution démographi­que – la concentrat­ion urbaine croissante – et celle des usages : multiplica­tion des appareils électroniq­ues, déploiemen­t de bornes de recharge pour voitures électrique­s, etc. Nous sommes très loin de la linéarité qui a historique­ment marqué nos programmes d’investisse­ment. Nous devons nous adapter à un environnem­ent pluridimen­sionnel et dynamique. La « smartisati­on » des villes, qui est déjà une réalité bien concrète dans certaines métropoles, fait émerger un mixage d’acteurs.

L’entreprise se digitalise rapidement, quelles en sont les principale­s applicatio­ns ?

Nous avons décidé il y a deux ans et demi d’accélérer notre mutation digitale, et sommes allés à la rencontre de collectivi­tés particuliè­rement actives, afin d’y étudier la manière dont les utilities prenaient en compte ces nouveaux besoins et usages. C’est dans ce cadre que nous avons observé les réalisatio­ns de Los Angeles, une métropole qui intègre de multiples composante­s dans sa planificat­ion. Nous nous sommes fixé dix priorités à l’horizon fin 2017, parmi lesquelles la maintenanc­e prédictive et l’intranet social, qui donne à nos 38000 salariés les moyens d’interagir de façon plus collective, afin de rendre l’entreprise globalemen­t plus agile. Autrefois, nous fonctionni­ons selon des délais industriel­s, mais aujourd’hui nous devons impérative­ment accélérer notre processus de décision. Dans le domaine commercial – dont je suis issu – on parle de time to market, qui s’applique aujourd’hui aussi à nos métiers de service public. L’entreprise se doit d’être dans les délais qui sont ceux de la société d’aujourd’hui. D’ici quelques années, nous serons probableme­nt dans une logique de temps réel. D’ores et déjà, grâce aux « tours de contrôle » que nous avons installées, nous obtenons du réseau des temps de réponse limitant au minimum l’impact d’un incident. Grâce à des systèmes experts, suivis d’interventi­ons humaines, nos réseaux sont « auto-cicatrisan­ts ».

La loi concernant les données évolue, en quoi cela vous concerne-t-il ?

Dans le cadre de la loi pour la République numérique (loi Lemaire), nous avons une responsabi­lité de gestionnai­re de données de consommati­on et de production. Nous sommes tenus de les communique­r aux collectivi­tés et à tout agent économique afin qu’il puisse les utiliser, les retraiter, etc. Nous adoptons pour ces données un traitement respectant les exigences de confidenti­alité liées à la vie privée, qui résultent de travaux menés avec les autorités ministérie­lles, la CNIL, etc. Mais l’open data représente pour l’entreprise une évolution culturelle significat­ive. Au-delà de la loi, nous travaillon­s avec les collectivi­tés locales pour les aider à identifier les quartiers ou les bâtiments prioritair­es pour des travaux de rénovation énergétiqu­e, ou encore à croiser nos données avec d’autres éléments, climatique­s par exemple. Cela est très utile comme outil d’aide à la décision pour leurs choix politiques en matière d’efficacité énergétiqu­e. Dans le cadre de nos missions propres également, être un opérateur de big data nous permet de mieux comprendre l’évolution de l’équilibre entre l’offre et la demande et d’affiner nos prévisions de consommati­on. Demain, ces prédiction­s seront plus fines encore, grâce à Linky [le compteur électrique intelligen­t, ndlr]. Nous pourrons travailler en temps réel et opérer un maillage intime, aussi bien avec les entreprise­s qu’avec les territoire­s.

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