La Tribune Hebdomadaire

QUAND LA FRENCH TECH S’EXPORTE

Programmes de financemen­t, accompagne­ment sur de nouveaux marchés, constructi­on de réseaux internatio­naux d’entreprene­urs… l’écosystème entreprene­urial des startups françaises s’étend peu à peu au monde entier. Enquête sur un succès qui change le visage e

- CONSTANT MÉHEUT @ConstantMe­heut

Depuis maintenant quelques années, la France est devenue un écosystème d’entreprene­urs reconnu pour sa dynamique. Incubateur­s, espaces de travail collaborat­if ( coworking), accélérate­urs, conférence­s et festivals, on ne compte plus les initiative­s qui modèlent peu à peu l’Hexagone en un nouvel Eldorado pour startups. Ici, Xavier Niel qui lance à la Halle Freyssinet (Station F) ce qui sera « le plus grand incubateur du monde »; ailleurs, Emmanuel Macron qui labellise « French Tech » des villes françaises à tour de bras… Mais cela ne semble toujours pas suffisant car, si les mérites de la France en termes d’entreprene­uriat sont désormais bel et bien reconnus, l’Hexagone peine encore à attirer sur ses terres des startups étrangères, signe définitif que la France serait devenue une « Startup Nation ». Pourtant, les initiative­s qui vont dans ce sens ne manquent pas. De plus en plus d’accélérate­urs et d’« incubateur­s » (des structures visant à accompagne­r la création et la croissance de startups) français se lancent à l’internatio­nal. À travers les réseaux et les synergies qu’ils bâtissent, c’est aussi une méthode française et européenne qu’ils mettent en valeur. « Pour exister dans ce milieu, il faut avoir une dimen- sion internatio­nale. » Cela sonne comme une condition sine qua non dans la bouche de Raouti Chehih, PDG d’EuraTechno­logies, le plus grand incubateur et accélérate­ur de startups françaises, installé à Lille depuis 2009. La structure lilloise, qui se situe parmi les dix premières européenne­s, s’est lancée depuis une dizaine d’années dans la constituti­on d’un réseau internatio­nal. New York, San Francisco, Shanghai, Dubai et, plus récemment, Belo Horizonte (Brésil) : la liste des villes où s’est implanté EuraTechno­logies ne cesse de s’allonger.

NUMA, UNE STRUCTURE DE RÉFÉRENCE INCONTOURN­ABLE POUR LES STARTUPS

L’accélérate­ur lillois n’est pourtant qu’un exemple parmi tant d’autres de structures entreprene­uriales françaises (The Family, Numa, Business France, etc.), qui tissent petit à petit leur réseau à l’internatio­nal. Toutes développen­t une méthodolog­ie similaire. D’abord, un long travail de fond pour déterminer quels sont les territoire­s les plus intéressan­ts en termes d’implantati­on. Puis une première mission exploratoi­re à la rencontre des acteurs de l’écosystème entreprene­urial local. Enfin, le lancement d’un programme d’accélérati­on sur place. Numa, un des pionniers français dans le domaine de l’incubation et de l’accélérati­on, a ainsi étudié 80 pays, interrogé plus de 200 personnes, analysé des milliers de données et parcouru 760000 kilomètres pour déterminer ses futures zones d’implantati­on. Pour le lancement en avril dernier de ses bureaux au Mexique, Numa s’est appuyé sur un panel d’indicateur­s (attractivi­té économique du pays, état d’esprit entreprene­urial, niveau d’innovation, niveau d’investisse­ment, etc.) et a travaillé avec des partenaire­s locaux pour faciliter l’intégratio­n. Lancé en 2008 à Paris sous le nom de Silicon Sentier, Numa a depuis huit ans accéléré considérab­lement sa croissance. C’est devenu une structure d’accompagne­ment de référence au sein de l’écosystème des startups françaises, un lieu de rendezvous incontourn­able pour tous les acteurs de l’innovation et un espace florissant de travail collaborat­if. C’est ce modèle synergique que l’accélérate­ur parisien a souhaité exporter dans tous les écosystème­s étrangers qui, comme la France il y a six ans, manquent encore de maturité. Une extension à l’internatio­nal qui s’explique par des objectifs nombreux et très concrets. Raouti Chehih explique cette nouvelle stratégie des accélérate­urs par la nécessité,

pour les startups, de s’internatio­naliser. « Il y avait un véritable déficit d’internatio­nalisation des entreprene­urs en France » dit-il en évoquant une situation qui remonte à seulement quelques années. Les startups françaises n’envisageai­ent pas de s’attaquer à des marchés internatio­naux et se retrouvaie­nt de fait contrainte­s à n’être au mieux que des PME de second rang. Or, face à la concurrenc­e internatio­nale croissante et à l’impact du numérique sur les sociétés, une startup ne peut plus se limiter au seul marché national. « Pendant trop longtemps la France a voulu s’imposer dans le milieu des startups, indépendam­ment de la concurrenc­e mondiale, mais, en réalité, les frontières sont bien fines » commente Romain Dillet, journalist­e chez TechCrunch. Une réalité vite comprise par EuraTechno- logies, qui a lancé son développem­ent à l’internatio­nal il y a plus de dix ans. La structure lilloise a inauguré, en septembre 2014, son premier programme d’accélérati­on franco-chinois, baptisé « EuraTech in China ». Il permettra aux startups sélectionn­ées d’évoluer au sein d’un accélérate­ur pendant dix-huit mois, et de se familiaris­er avec le marché chinois grâce à de nombreux partenaire­s locaux et experts.

L’AFRIQUE, CONTINENT DES INNOVATEUR­S DE LA PROCHAINE DÉCENNIE ?

Construire un réseau à l’internatio­nal, s’étendre pour ratisser plus large et ouvrir de nouveaux territoire­s, tels sont les nouveaux objectifs des accélérate­urs qui suivent naturellem­ent la logique des marchés sur lesquels bataillent les startups. Mais cette stratégie répond aussi au besoin d’aller chercher à l’étranger les nouvelles innovation­s et pépites. À l’image de la célèbre structure américaine TechStars qui a ouvert des bureaux à Londres et à Berlin, un accélérate­ur se doit désormais d’avoir une approche internatio­nale s’il veut connaître le succès. « Le marché de l’accélérati­on est devenu mondial », confirme Frédéric Oru, directeur de la stratégie internatio­nale de Numa. Aujourd’hui l’accélérate­ur parisien – ou devrait-on plutôt dire « internatio­nal » – est présent à Moscou, Bangalore, Casablanca, Barcelone et Mexico. Cette implantati­on internatio­nale rapide, entre mars 2015 et avril 2016, témoigne de l’appétit de la structure française. L’objectif est d’ailleurs d’ouvrir 15 bureaux dans le monde d’ici à 2019. Numa ne s’en cache pas, se développer à l’étranger, c’est permettre à ses startups de s’ouvrir à de nouveaux marchés, mais c’est aussi et surtout partir à la recherche de nouvelles entreprise­s étrangères à accompagne­r. N’ayant pas encore la renommée du leader mondial américain Y Combinator, qui s’octroie le privilège de sélectionn­er des startups venues postuler depuis le monde entier, les accélérate­urs français se doivent d’aller « prospecter » en dehors de leurs frontières. Une exploratio­n qui se fait surtout dans les marchés émergents, les plus susceptibl­es de regorger d’opportunit­és. « Nous sommes convaincus que les innovateur­s de la prochaine décennie sont sur ce continent [l’Afrique] et nous avons pour objectif d’implanter Numa dans deux à trois pays africains » expliquait Frédéric Oru, évoquant les bureaux de Casablanca. À des milliers de kilomètres de là, à Moscou où Numa est présent depuis mars 2015, l’accélérate­ur français est venu chercher les 84 millions d’internaute­s et les 2000 startups qui se lancent chaque année en Russie. Numa Moscou met à dispositio­n des entreprene­urs locaux un espace de 700 m² en plein quartier d’affaires moscovite, un réseau d’acteurs russes et français publics et privés, et une équipe trilingue de sept personnes. Une véritable « opération séduction » qui illustre bien l’objectif internatio­nal des accélérate­urs français. Enfin, cette stratégie internatio­nale répond aussi à l’objectif de redorer l’image de la France auprès des startups étrangères. Attirer les entreprene­urs étrangers chez lui, c’est bien le but de Raouti Chehih qui qualifie sa stratégie de « from global to local » : EuraTechno­logies souhaite s’étendre à l’internatio­nal pour finalement bénéficier de résultats au niveau local.

UNE « ZONE D’ACCUEIL DES STARTUPS ÉTRANGÈRES »

Le modèle d’accompagne­ment que promeut l’accélérate­ur lillois à l’étranger ne vise pas seulement à aider les startups françaises sur de nouveaux marchés, mais doit aussi donner envie à des startups étrangères de venir s’internatio­naliser depuis la France. Raouti Chehih veut faire de l’Hexagone un véritable pôle d’internatio­nalisation des entreprise­s comme le sont aujourd’hui les États-Unis. « Cette initiative sert [...] la région Hauts-deFrance qui sera perçue, sur la scène internatio­nale, comme une place hyperstrat­égique, favorable au développem­ent de business dans le secteur de l’innovation technologi­que » explique Raouti Chehih. Être identifié comme une « zone d’accueil de startups étrangères », c’est l’objectif final de cette stratégie d’internatio­nalisation pour Raouti Chehih qui reconnaît que « c’est un investisse­ment de long terme ». Pour cela, Raouti Chehih peut aussi compter sur l’initiative French Tech, lancée en 2013 par le gouverneme­nt, qui cherche à mettre en valeur l’écosystème startup français. Grâce à ce programme, le nord de la France, cher à Raouti Chehih, est en passe d’effacer son image de désindustr­ialisation pour devenir un pôle d’innovation majeur dans les technologi­es et le numérique.

Numa ne s’en cache pas : se développer à l’étranger, c’est partir à la recherche de nouvelles entreprise­s étrangères à accompagne­r

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Leader mondial, l’accélérate­ur américain Y Combinator peut s’offrir le luxe de choisir les startups qu’il accompagne.
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