La Tribune Hebdomadaire

Les primaires, ou comment s’en débarasser

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

10% des électeurs de la primaire de la droite, les 20 et 27 novembre prochains, pourraient être des électeurs de la gauche, selon une enquête récente du Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po. Ces invités surprise à la « primaire ouverte » appelée de ses voeux par Alain Juppé devraient massivemen­t porter leur suffrage sur… Alain Juppé. De sorte que, face à une gauche au pouvoir impopulair­e, avec un président sortant au plus bas, la primaire de la droite pourrait bien se transforme­r en premier tour de l’élection présidenti­elle. Voire s’y substituer totalement, conforméme­nt à un scénario annoncé où Marine Le Pen serait qualifiée d’office au second tour au printemps 2017. Alain Juppé serait alors élu président de la République dès la fin novembre… Cette volonté d’une partie de l’électorat de la gauche, mais aussi du centre, de faire de cette primaire un tour de barrage contre l’ancien président Nicolas Sarkozy change évidemment complèteme­nt la nature de l’exercice. En 2011, il y avait bien eu sans doute quelques électeurs de droite pour participer à la primaire de la gauche, mais l’effet sur le scrutin n’avait pas été significat­if, avec un Manuel Valls, le plus « droitier » des socialiste­s, cantonné à 6% des voix. La situation est totalement différente pour la primaire de la droite à venir, alors qu’Alain Juppé a appelé sans états d’âme les « déçus du hollandism­e » à se mobiliser en sa faveur. L’un de ses soutiens, Jean-Pierre Raffarin, l’a dit dans Libération : « On n’a pas affaire à des électeurs de gauche, mais à des électeurs déçus », nuance... Cette stratégie inquiète le camp Sarkozy, qui a lancé fin septembre une pétition, « Non au vol de la primaire par la gauche » . N’en déplaise à Nicolas Sarkozy, le résultat de la primaire à droite pourrait toutefois être « équilibré », si l’on peut dire, en sa faveur par un autre phénomène prévisible, celui d’une participat­ion massive des électeurs du Front national. Ceux-ci pourraient apporter leurs suffrages à l’ancien président, qui ne cesse de s’adresser à eux en orientant sa campagne sur le thème quasi unique de l’identité. Cette tentation a sa cohérence : pour un électeur du Front national, Alain Juppé est le candidat le plus dangereux, puisque le seul susceptibl­e d’éliminer Marine Le Pen au second tour dans tous les cas de figure. Alors que l’hypothèse d’un match Sarkozy/Le Pen embarrasse­rait les électeurs de la gauche et du centre, et conduirait probableme­nt à un scrutin plus serré en faveur de la candidate frontiste. Voire, pourrait permettre à Marine Le Pen de l’emporter… À vouloir à tout prix éliminer Nicolas Sarkozy, les électeurs de la gauche tentés par le vote aux primaires de la droite font toutefois peut-être un mauvais calcul, en privant François Hollande de sa seule chance de l’emporter. Le chef de l’État a, à plusieurs reprises, désigné en Nicolas Sarkozy – qu’il avait déjà battu en 2012 –, son adversaire préféré. Encore faut-il qu’il accède lui-même à la possibilit­é de se présenter. La courbe de l’inversion du chômage ne plaide pas en ce sens, mais il reste encore quelques mois à François Hollande pour changer la donne. La primaire de la gauche, fin janvier, est faite pour lui offrir un marchepied vers un second mandat, alors que peu de ses compétiteu­rs pressentis ne semblent en mesure de le battre. Il a donc toutes les chances de s’y qualifier… sauf à ce que les électeurs de droite décident d’y participer à leur tour, pour éliminer François Hollande! On assisterai­t alors à un scénario totalement inédit où les électeurs de chaque camp participer­aient à la primaire de l’autre camp pour participer au « casting » de la vraie élection. Hypothèse pas si absurde dans la mesure où une majorité de Français ne veut pas d’un match retour de la présidenti­elle de 2012. La popularité d’Emmanuel Macron, qui surfe sur le brouillage des lignes traditionn­elles entre la gauche et la droite, traduit bien cette attente d’un renouveau. C’est aussi un symptôme de la mauvaise santé de notre système démocratiq­ue. Il n’y a qu’en France qu’un ancien président battu et un président sortant crédité de seulement 15 points de popularité peuvent encore espérer se présenter aux suffrages des électeurs. Dans tout autre pays, ils seraient éliminés d’office, et chaque camp pourrait ainsi soutenir son propre champion. Ou le rechercher dans le cadre de vraies primaires, au lieu du spectacle pitoyable offert par le jeu pervers de ce simulacre de démocratie d’appareils.

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