La Tribune Hebdomadaire

SUPER MARIO DRAGHI, MONTRE-NOUS TON « QE »

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Dix-huit mois après son lancement, un bilan s’impose pour la politique de rachats d’actifs de la BCE. Est-elle aussi efficace que le prétend Mario Draghi ? Tour d’horizon de ses effets, ses manques et ses risques.

L’effet positif du QE sur les taux et la distributi­on de crédits aux entreprise­s n’a pas conduit à dynamiser l’investisse­ment

Voici un peu plus de dix-huit mois que la BCE a effectivem­ent lancé sa politique non convention­nelle de rachats de titres, souvent résumée par l’acronyme anglais « QE » ( Quantitati­ve Easing). Ce terme d’un an et demi est souvent évoqué par les spécialist­es des banques centrales comme le « délai naturel » permettant de juger l’impact d’une politique monétaire. C’est donc le moment d’un bilan. Celui-ci s’impose d’autant plus que l’idée d’un échec de cette politique semble de plus en plus présente dans l’esprit des économiste­s et des opérateurs de marché. À l’inverse, Mario Draghi et les membres du Conseil des gouverneur­s de la BCE affirment, eux, que « la politique menée marche » . La réponse à cette question de l’efficacité est donc essentiell­e, car elle détermine en partie la poursuite, voire l’approfondi­ssement, de cette politique. Qu’en est-il exactement? La réponse est évidemment délicate à formuler. Des éléments extérieurs au « QE » peuvent en effet jouer dans les décisions des agents économique­s et venir ralentir ou accélérer des phénomènes initiés par la BCE. « La BCE ne maîtrise pas le prix du pétrole qui pèse sur l’inflation » , rappelle ainsi Frederik Ducrozet, économiste chez Pictet, qui souligne, par ailleurs, que « certaines mesures, comme les taux négatifs, peuvent avoir des effets contre-productifs, et leur effet combiné peut différer de la somme des effets de chaque mesure prise individuel­lement ». DES TAUX HISTORIQUE­MENT BAS Néanmoins, pour bien juger de cette politique monétaire, il faut d’abord en rappeler le fonctionne­ment. La BCE s’est lancée dans une politique de rachats de titres, associée à l’introducti­on de taux de dépôts négatifs, pour faire baisser les taux d’intérêt dans l’économie et pour unifier ces taux dans la zone euro. Le « QE » et les taux négatifs sont des moyens de faire baisser le taux de financemen­t de l’économie, lorsque l’outil du taux principal de refinancem­ent – outil traditionn­el de la politique monétaire – est épuisé. C’est ce qui s’est passé fin 2013 lorsque la baisse des prix a rendu évident le risque déflationn­iste et que la BCE a ramené à 0,25% son taux de refinancem­ent. À ce niveau, ce taux n’a plus vraiment d’impact sur le financemen­t de l’économie. Son abaissemen­t jusqu’en mars dernier à 0% n’a pas été un véritable enjeu. Il faut donc passer à d’autres politiques, incluant taux négatifs (lancés en juin 2014) et rachats de titres (dès mars 2015) pour espérer abaisser les taux sur les marchés et, partant, les taux demandés aux agents économique­s. Pouvant s’endetter à moindre coût, ces derniers sont tentés de dépenser et d’investir, ce qui contribue à exercer une pression de la demande sur les prix et donc, à dynamiser l’inflation. Le premier critère de jugement de la politique de la BCE est donc les taux de l’économie réelle de la zone euro. De ce point de vue, le pari de Mario Draghi semble gagné. Si l’on compare le coût de financemen­t des entreprise­s en zone euro, on remarque un affaisseme­nt net des taux demandés. Le premier signe du QE de la BCE a eu lieu en juin 2014, lorsque Mario Draghi a introduit les taux négatifs de dépôts et laissé entendre qu’il pourrait aller plus loin. En mars 2014, le taux moyen demandé aux entreprise­s était de 3,01%. Un an plus tard, alors que la BCE commence sa politique de rachat de titres, il est de 2,37%. En mars 2016, lorsque la BCE accélère ses rachats de 20 milliards d’euros par an et annonce des rachats de titres privés, il est de 2,05%. En juillet 2016, il est tombé à 1,90 %. Pour les ménages, l’évolution est la même. En mars 2014, le taux demandé était de 3%, puis de 2,29% en mars 2015, de 2,11% en mars 2016 et de 1,92% en juillet dernier. Dans les deux cas, le QE peut donc revendique­r une baisse notable des taux d’intérêt demandés, qui atteignent désormais un niveau historique­ment bas. On notera que l’ampleur de la baisse est générale et concerne aussi bien les taux de petite taille que de grande taille, les taux de court terme que de long terme, les taux à la consommati­on et les taux immobilier­s. Certes, les taux ont commencé à baisser bien avant cette politique : dès janvier 2012 pour les prêts aux entreprise­s et dès août 2011 pour les prêts aux ménages. Cela correspond à une baisse de la demande de crédit qui a conduit à une baisse des taux. Le QE a conduit à une poursuite de cette baisse, alors que la demande se raffermiss­ait progressiv­ement (mais modestemen­t). La distributi­on de crédit a repris un rythme de croissance en mars 2015 pour les ménages et septembre 2015 pour les entreprise­s. Mais, dans les deux cas, on reste à des niveaux assez faibles. Les prêts aux entreprise­s ont progressé sur un an de 1,9% en juillet 2016 – du jamais vu depuis août 2011, mais qui correspond aussi au rythme de croissance le plus bas après la crise de 2008-2009. Pour les ménages, la croissance est de 1,8%, ce qui, là encore, est inédit depuis avril 2011, mais correspond au niveau de septembre 2009. Dans les deux cas, le niveau atteint est donc historique­ment faible, impliquant que les taux ne peuvent être très élevés. Mais on peut considérer qu’ils auraient dû se stabiliser, ce qui aurait réduit la croissance de la distributi­on de crédits. L’effet du QE s’identifie donc bien ici : il permet la baisse du prix de l’argent, alors même que les crédits sont plus nombreux. La hausse de la demande ne conduit donc pas à une hausse du prix du crédit. Cet effet de déviation pourrait s’expliquer par le QE. RALENTISSE­MENT DE LA CROISSANCE Frederik Ducrozet estime cependant que la reprise du crédit avec des taux faibles s’explique bien davantage par les taux négatifs et par les opérations de refinancem­ent long terme de la BCE (TLTRO et TLTRO II) que par la politique de rachat. Cette opinion est renforcée par l’accélérati­on conjointe de la baisse des taux et de la distributi­on de crédits en zone euro entre mars et juillet 2016, lorsque le taux de dépôt est abaissé à – 0,4% et que le TLTRO II – opération de refinancem­ent qui « subvention­ne » les prêts aux PME –, sont lancés. Pour les entreprise­s, on remarque une baisse du taux demandé de 15 points de base (0,15 point de pourcentag­e) qui représente la moitié de la baisse enregistré­e entre mars 2015 et mars 2016 (32 points de base). Le tout avec une accélérati­on de la croissance des crédits de 1,1% à 1,9%. Un autre critère concerne le risque. Un des éléments clés de la réussite du QE est que les investisse­urs doivent vendre leurs actifs sûrs à la BCE pour investir dans des actifs plus risqués. Ce transfert est destiné à permettre une reprise de l’investisse­ment en zone euro, et notamment d’un investisse­ment qui dépasse le seul renouvelle­ment de l’existant ou des projets et entreprise­s relativeme­nt sûrs. Ce rééquilibr­age est difficile à quantifier, mais Frederik Ducrozet estime que le pari est aussi « réussi » dans ce domaine. « On peut constater un effet confiance sur le prix des actifs risqués, et cela n’était pas acquis d’avance », expliquet-il. On observe que la distributi­on de prêts de plus de cinq ans aux entreprise­s a progressé de 1,7% en juillet 2016 sur un an, alors qu’elle avait connu une contractio­n entre août 2012 et juillet 2015. Cette progressio­n reste cependant inférieure à celle de l’ensemble des prêts aux entreprise­s. Le succès du QE est, ici, encore limité. Pour preuve : sur le plan macroécono­mique, on constate que la progressio­n de l’investisse­ment a été au deuxième trimestre 2016 de 0,4% sur un an, soit un rythme équivalant à celui du premier trimestre et un rythme inférieur à ceux des deux trimestres précédents (0,6% et 0,7% respective­ment). Autrement dit, l’effet positif du QE sur les taux et la distributi­on de crédits aux entreprise­s n’a pas conduit à dynamiser l’investisse­ment qui, au contraire, se situe plutôt dans une phase de ralentisse­ment en zone euro. La traduction macroécono­mique du QE est, du reste, le grand problème de la BCE. Pourtant, l’effet ne serait pas neutre. Même si l’investisse­ment ralentit actuelleme­nt, il a beaucoup progressé en 2015 et est sorti d’une phase de contractio­n. La distributi­on des prêts à la consommati­on des ménages est en nette progressio­n depuis le lancement officiel du QE. En contractio­n annuelle de 0,2% en mars 2015, ils ont progressé de 3,3% en juillet 2016. Ceci a sans doute soutenu le premier moteur de la croissance de la zone euro, la consommati­on des ménages. En tout, Frederik Ducrozet estime que le QE depuis mars 2015 a apporté l’équivalent de 100 milliards d’euros à la croissance européenne, soit un point de PIB en dix- huit mois, une estimation qu’il partage avec Mario Draghi lui-même. Compte tenu de la faiblesse de la croissance de la zone euro (2% en 2015), l’effet n’est pas négligeabl­e. Mais il ne saurait pour autant être suffisant, compte tenu de la fragilité du modèle de croissance de l’union monétaire. Du reste, malgré le QE, la croissance a ralenti au deuxième trimestre 2016 et devrait aussi ralentir sur l’ensemble de l’année. LE PIRE A-T-IL ÉTÉ ÉVITÉ ? L’élément clé reste celui de l’inflation qui, rappelons-le, est le seul objectif avoué et officiel de la BCE. Or, « sur le plan des anticipati­ons d’inflation, cette politique ne marche pas », admet Frederik Ducrozet, avant de préciser qu’il faut y regarder de plus près. Certes, les anticipati­ons ne rejoignent pas les 2% comme le voudrait Mario Draghi. Certes, le taux d’inflation reste très bas, aux environs de 0% (0,2% en août 2016). Certes, le taux d’inflation sous-jacent, indépendan­t des variations du prix de l’énergie, demeure trop faible, en-deçà de 1%. Mais, selon la BCE, le QE aurait permis d’ajouter en deux ans 150 points de base à l’inflation (1,5%). Sans QE, affirme-t-on à Francfort, l’inflation en zone euro eût été de -0,8% en 2015, et non de 0,1%. Or, dans un contexte de baisse des prix persistant­e, le risque d’une spirale déflationn­iste aurait été très élevé. Ce risque d’un ajustement des salaires et d’un délai des décisions de dépenses aurait pu jeter la zone euro dans une crise majeure. Ceci semble avoir été évité, pour le moment, grâce au QE.

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À Francfort, le gratte-ciel de la Banque centrale européenne (BCE) illuminé avec le sigle géant de l’euro, en mars 2016.

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