La Tribune Hebdomadaire

LES BANQUES FACE AU DÉFI DIGITAL

Selon Marie-Anne Barbat-Layani, le modèle de la banque avec un réseau dense d’agences n’est pas remis en cause par le passage au digital. Mais la défense de l’égalité de traitement entre les opérateurs est une nécessité.

- PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE CUNY ET PHILIPPE MABILLE @DelphineCu­ny @phmabille

La solution du guichet unique en cas de fraude est inéquitabl­e

MARIE-ANNE BARBAT-LAYANI DIRECTRICE GÉNÉRALE DE LA FÉDÉRATION BANCAIRE FRANÇAISE (FBF)

LA TRIBUNE – On observe une explosion des usages bancaires en ligne et un foisonneme­nt de nouvelles offres purement numériques. N’est-ce pas la fin annoncée du conseiller ou de l’agence ?

MARIE-ANNE BARBAT-LAYANI – C’est vrai que les usages numériques explosent : selon notre dernier baromètre sur l’image de la banque, 79% des personnes interrogée­s consultent leurs comptes sur Internet et 67% effectuent des paiements en ligne. Dans le même temps, la fréquentat­ion des agences diminue : en 2010, plus de 50% des clients s’y rendaient plusieurs fois par mois, c’est 20% aujourd’hui, avec une forte segmentati­on par l’âge. Mais cela ne remet en cause ni le conseiller, ni l’agence. Ce baromètre montre aussi que l’image de la banque est au plus haut depuis dix ans, avec 68% de bonnes opinions, et que le modèle plébiscité par les Français est celui d’un conseiller attitré, complété d’un bon service numérique. Plus d’un client sur deux souhaite disposer d’un conseiller attitré qui le suit personnell­ement. Le numérique vient donc renouveler la proximité : certains clients sont en relation plus fréquemmen­t avec leur banque et leur conseiller, auquel ils envoient des mails ou des SMS. Une partie des clients, environ 10%, déclarent pouvoir se contenter d’une banque sans agence. La présence physique reste un atout très important.

Ne peut-on prédire qu’il n’y aura plus 37 000 agences dans dix ans ?

En France, la présence bancaire reste très forte, avec une densité élevée d’agences. C’est un des effets de la concurrenc­e. Mais depuis trois ans, les banques ne sont plus créatrices nettes d’emploi. Les effectifs baissent de 1% à 2% par an. Le nombre d’agences a diminué de 1,8% entre 2009 et 2014, par regroupeme­nt le plus souvent. On n’observe pas de baisse de la présence bancaire territoria­le, comme cela s’est produit aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, où beaucoup d’agences ont fermé en dix ans. Les clients britanniqu­es peuvent désormais réaliser les opérations basiques aux guichets postaux, quelle que soit leur banque, ce qui a permis de compenser le problème de désertific­ation bancaire.

Les banques sont attaquées sur tous les fronts, des robots conseiller­s au paiement en ligne ou mobile, où les Gafa s’engouffren­t. Vous sentez-vous comme une forteresse assiégée ?

Il y a deux types de nouveaux entrants non bancaires : d’un côté, les startups de la fintech, et, de l’autre, de très grands acteurs mondiaux du numérique, parfois plus gros que les banques [ en capitalisa­tion boursière, ndlr]. Mais ces derniers ont-ils envie d’assumer la réglementa­tion bancaire? Elle est très lourde et très coûteuse – la moitié des projets informatiq­ues des banques y est consacrée, de la lutte contre le blanchimen­t à la mobilité bancaire automatiqu­e – et la rentabilit­é de l’activité bancaire relativeme­nt faible par rapport à celle des géants de l’Internet. Les 15% de ROE [rentabilit­é des capitaux propres] que l’on a connus avant la crise sont un souvenir lointain : aujourd’hui, c’est 6,5 % en moyenne en France. Face à l’arrivée de ces nouveaux acteurs non bancaires, chaque banque a sa stratégie. Et les banques sont déjà des acteurs du digital. Elles ont beaucoup travaillé sur le parcours client pour qu’il devienne vraiment « multicanal », de l’appel téléphoniq­ue à la plateforme à l’applicatio­n mobile, en passant par l’agence. Chacun se bat pour avoir la meilleure applicatio­n, la plus fluide, et la mieux sécurisée. À court terme, notre souci se porte sur la sécurité globale des systèmes, en particulie­r celle des paiements. La Commission européenne a créé avec la directive sur les services de paiement de nouveaux maillons dans la chaîne des paiements, qui ne doivent pas être des maillons faibles. La solution du guichet unique en cas de fraude est inéquitabl­e : c’est à la banque de se retourner vers les responsabl­es de l’incident, alors que les nouveaux entrants risquent d’avoir très peu de surface financière pour faire face à une éventuelle défaillanc­e. Le vrai problème est l’impact global sur la confiance dans les systèmes de paiement : le niveau de sécurité doit être élevé, et doit être le même pour tous. C’est tout l’enjeu des standards techniques que l’Autorité bancaire européenne prépare. Il en va de la confiance dans l’ensemble du système.

Que pensez-vous de la relative sympathie réglementa­ire dont bénéficien­t les fintech ?

Il y a manifestem­ent une volonté forte en France de favoriser l’émergence d’entreprise­s de la fintech, que nous soutenons, notamment au travers du pôle de compétitiv­ité Finance Innovation, dont la FBF est partenaire. Les banques ont des relations très fortes avec les fintech : elles ont développé des incubateur­s, et nombre de fintech ont des partenaria­ts, voire des relations capitalist­iques avec des banques. Nous sommes en revanche très vigilants sur la sécurité globale du système et l’égalité de concurrenc­e. Il ne s’agit pas d’infliger toute la réglementa­tion de Bâle à un petit acteur spécialisé. Mais entre ça et rien du tout, il y a un équilibre à trouver. D’ailleurs, la France a créé un cadre réglementa­ire spécifique pour le crowdfundi­ng [ le financemen­t participat­if, ndlr), avec des limites, des obligation­s : c’est un bon exemple. Il faut protéger les épargnants et les investisse­urs.

Le numérique apparaît-il plutôt comme un risque pour le monde bancaire ?

Le numérique est un des trois grands défis du secteur bancaire, avec la réglementa­tion et le contexte de taux. Le numérique constitue également une opportunit­é d’améliorati­on de la relation client et d’innovation, mais aussi de réduction de coûts, qui peut être une réponse dans le contexte de taux ultra-bas. Il pose aussi la question du traitement des données personnell­es, que les banques protègent très attentivem­ent. Et il y a bien sûr l’immense sujet de la technologi­e de stockage blockchain, qui suscite beaucoup de fantasmes, mais ouvre aussi des potentiali­tés.

La blockchain pourrait-elle supprimer tout le back-office des banques ?

C’est une technologi­e émergente. La Caisse des dépôts a lancé une réflexion de place sur la blockchain pour identifier les cas d’usages, et toutes les banques y travaillen­t. On en est au tout début.

On vous sent sur la défensive par rapport à toutes ces ruptures…

Les banques n’ont pas d’inquiétude : elles soutiennen­t cet écosystème créatif, puissant et dynamique. Et elles y sont très actives, financent des incubateur­s, soutiennen­t de nombreuses startups et des initiative­s de place. Elles sont à l’affût de toutes les innovation­s pour offrir le meilleur service. C’est vrai en interne mais aussi dans la relation avec les fintech.

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