La Tribune Hebdomadaire

THALES TRAVAILLE AU TRAIN SANS CONDUCTEUR

Thales a pour ambition de devenir le leader mondial de la signalisat­ion ferroviair­e, assure son PDG, Patrice Caine, qui dément les déclaratio­ns d’Arnaud Montebourg sur la cession de cette activité. Le groupe d’électroniq­ue travaille sur un train autonome

- PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL CABIROL @mcabirol

LA TRIBUNE – Arnaud Montebourg annonce que Thales va vendre à CRRC son activité signalisat­ion ferroviair­e et appelle Michel Sapin à intervenir. Quelle est votre position ?

PATRICE CAINE – Contrairem­ent aux déclaratio­ns de Monsieur Arnaud Montebourg, il n’a jamais été question pour Thales de mettre en vente ni d’adosser son activité de signalisat­ion ferroviair­e à qui que ce soit. Bien au contraire, Thales a l’ambition de développer cette activité de signalisat­ion ferroviair­e et d’en faire le leader mondial au coeur des métiers du Groupe. L’accord avec CRRC est un accord purement commercial – ce n’est pas un accord exclusif et ce n’est en aucun cas un accord capitalist­ique. Il permet de répondre aux demandes des opérateurs de transport, d’être compatible avec tous les constructe­urs de matériel roulant : Alstom, Siemens, Hitachi, Bombardier…

L’activité transport restera-t-elle au sein de Thales ?

Bien sûr, et j’ai pour ambition que Thales devienne leader mondial de la signalisat­ion ferroviair­e. Aujourd’hui, ce secteur est assez peu concentré, contrairem­ent à ce que disent certains experts du domaine. Il y a cinq grands acteurs – Siemens, Thales, Hitachi, Bombardier, Alstom – avec des écarts de parts de marché qui ne sont pas importants. C’est suffisant pour que le jeu reste très ouvert. Si nous ne nous sommes pas trompés en matière de digital, de cybersécur­ité, de connectivi­té, nous sommes les mieux placés pour finir numéro un ou, en tout cas, faire la course en tête dans cinq ou dix ans.

Quelle est la plus-value de Thales par rapport à ses concurrent­s dans le transport terrestre ?

Thales se concentre uniquement sur la mise au point de logiciels sophistiqu­és pour la signalisat­ion et les télécommun­ications, sans investir dans le matériel roulant. Thales a d’ailleurs une place unique sur ce marché en étant totalement indépendan­t de tous constructe­urs de matériels roulants. Cette indépendan­ce est un atout considérab­le. Thales est, dans tous ses métiers civils ou de défense, un systémier capable d’intégrer toutes les plateforme­s existantes, autrement dit Thales est une « plateforme agnostique ». Par exemple, l’accord annoncé récemment avec CRRC, le numéro un mondial du matériel roulant, ouvre une porte supplément­aire vers de nouveaux marchés et n’en ferme aucune autre, car il n’est en aucune manière exclusif. En outre, les technologi­es issues du monde de l’intelligen­ce artificiel­le n’ont clairement pas été développée­s pour le transport, mais Thales les utilise aussi sur ce marché. Par exemple, la cybersécur­ité n’existerait pas chez Thales si elle ne trouvait pas ses origines dans la défense.

Le groupe Thales a-t-il les armes pour s’imposer dans le transport terrestre du futur ?

L’avenir du transport terrestre passe par l’utilisatio­n croissante des technologi­es du numérique et de la connectivi­té. Elles permettent de répondre aux exigences futures des passagers et aussi aux besoins à venir des opérateurs de transport. C’est ce que Thales propose déjà dans le transport aérien. Il n’y a donc aucune raison que le groupe ne le fasse pas dans les trains ou les métros. L’arrivée des technologi­es issues du big data analytics et de l’intelligen­ce artificiel­le va générer de nouvelles applicatio­ns ou de nouveaux usages dans les transports terrestres. Nous sommes, par exemple, en train de travailler sur des offres de maintenanc­e prédictive.

Est-ce une applicatio­n qui pourrait arriver très vite sur le marché ?

Aujourd’hui, nos technologi­es sont matures. Les solutions existent et les algorithme­s tournent déjà. C’est donc opérant. Il faut maintenant convaincre les clients de s’en doter. La maintenanc­e prédictive va permettre d’augmenter la qualité du service et de baisser les coûts de mainte- nance, qui sont élevés dans ce domaine. Cette technologi­e a d’ailleurs permis à Thales de remporter des contrats de maintenanc­e sous forme de service, avec un engagement sur les coûts et sur le niveau de disponibil­ité.

Quels sont les gains que la maintenanc­e prédictive ferait gagner sur les coûts ?

Tous les opérateurs de transport sont actuelleme­nt sous pression en termes de maîtrise des coûts. Nous estimons que notre offre va permettre de répondre positiveme­nt aux objectifs de la plupart des opérateurs de transport, qui souhaitent diminuer les coûts de maintenanc­e et de support de 30 %. Chez Thales, nous sommes confiants pour répondre positiveme­nt à cet objectif. La maintenanc­e prédictive permet aussi de diminuer les temps d’interrupti­on de service entre 60 % et 70%. Ce qui dégagerait des nouveaux gains importants pour les opérateurs.

La cybersécur­ité est-elle importante pour les opérateurs de transport terrestre ?

La cybersécur­ité est une technologi­e incontourn­able à toutes les industries engagées dans la révolution digitale. C’est bien évidemment le cas des opérateurs de transport terrestre, qui embarquent de plus en plus de systèmes bourrés de logi-

ciels, ce qui augmente inéluctabl­ement les risques face à des menaces informatiq­ues. Aujourd’hui, ils réfléchiss­ent à ces questions. Depuis quelques mois, les appels d’offres dans le transport terrestre intègrent les premières demandes en termes de cybersécur­ité. Cela va devenir un frein pour les industriel­s qui ne la maîtrisent pas.

Y a-t-il eu des cyberattaq­ues sur des systèmes ferroviair­es ?

Quasiment toutes les industries font l’objet d’attaques informatiq­ues, que cela soit sur leurs systèmes de gestion ou sur leurs systèmes industriel­s. Il n’y a donc malheureus­ement aucune raison que les opérateurs de transport échappent à cela.

Thales travaille-t-il sur un train sans conducteur ?

D’ici quatre à cinq ans, il y aura des trains autonomes. Mais autonome ne veut pas forcément dire sans conducteur. Nous pouvons positionne­r les trains de façon extrêmemen­t précise, grâce aux technologi­es de positionne­ment par satellite, et nous les maîtrisons chez Thales via notre activité spatiale. Thales Alenia Space est à l’origine de la navigation par satellite en Europe avec la maîtrise d’oeuvre d’Egnos et joue un rôle central dans son évolution avec le système Galileo, le GPS européen. Ces systèmes permettron­t à terme aux opérateurs de se passer totalement des équipement­s à la voie, qui coûtent cher. Les opérateurs réaliseron­t donc des gains opérationn­els importants. Si, demain, ils peuvent quasiment se passer de tous ces équipement­s déployés sur des centaines de kilomètres, cela va générer des économies très importante­s.

Faut-il attendre très prochainem­ent des trains autonomes sans conducteur ?

Oui, bien sûr. Monter dans un train sans conducteur se fera sans trop de difficulté­s psychologi­ques. Les passagers le font déjà avec le métro. On ne se pose plus la question de monter dans un métro sans conducteur.

La révolution digitale est une mine d’or pour les opérateurs…

La révolution digitale va effectivem­ent permettre aux opérateurs de transports de réaliser des gains d’économie très importants. Mais elle a également un impact pour le passager. Il aura accès à des transports plus sûrs, plus fiables et plus fluides, avec des rames de métro moins bondées par exemple. Cette révolution pourrait aussi avoir un impact direct sur le billet de train ou le ticket de métro. Enfin, les technologi­es du big data vont permettre de développer le concept de la multimodal­ité en rationalis­ant par exemple les trop nombreux portails de réservatio­n des différents opérateurs de transport. Ce qui facilitera les voyages des personnes à l’échelle d’une ville, d’un pays et de l’Europe.

Quels pourraient être les nouveaux business de Thales ?

Nous pouvons aider les opérateurs de transports à se transforme­r sur le plan digital tout en sécurisant leurs systèmes. Ils nous perçoivent d’ailleurs davantage comme un acteur global plutôt que comme un groupe qui vend uniquement des systèmes de signalisat­ion. Cela donne à Thales une position tout à fait unique par rapport aux autres concurrent­s traditionn­els dans la signalisat­ion.

Votre activité de transport terrestre est-elle enfin profitable ?

Thales est en ligne avec le plan annoncé en 2015. Le plan opérationn­el sera définitive­ment déployé à la fin de 2016. D’un point de vue financier, cette activité retrouvera l’équilibre dès cette année. Puis, dans un horizon de deux à trois ans, nous retrouvero­ns les niveaux historique­s de profitabil­ité de Thales dans ce marché, avec l’objectif en ligne de mire d’atteindre le meilleur niveau de profitabil­ité du secteur, vers 9 % ou 10 %. Nous devons donc continuer à travailler notre politique produit et nos différenci­ateurs qui nous permettent d’avoir des propositio­ns de valeur.

Avez-vous compris les dysfonctio­nnements du passé dans l’exécution de certains de vos grands contrats ?

Nous y avons passé du temps. Globalemen­t, quand nous intégrons une activité chez nous, il faut le faire sans trop de concession­s. Et nous n’avions pas bien intégré cette activité. La rigueur n’était pas au niveau de celle de Thales. C’était donc un problème de rigueur en amont dans la constructi­on des offres, dans la négociatio­n des contrats et, enfin, dans l’exécution des engagement­s d’une demi-douzaine de contrats. Mais ce n’était en aucun cas un problème technique ou technologi­que. En quelque sorte, tant mieux. Les clients continuent d’ailleurs aujourd’hui à nous faire confiance. En 2015, nous avons engrangé trois milliards d’euros de contrats, soit l’équivalent de deux années de chiffre d’affaires de cette activité ! Cette année, nous n’allons pas reproduire la performanc­e exceptionn­elle de 2015, mais la dynamique commercial­e est très bonne.

 ??  ??
 ??  ?? Avec ses 75 km de lignes, le métro de Dubaï est le métro entièremen­t automatiqu­e le plus long au monde. Thales en assure la maintenanc­e et la signalisat­ion.
Avec ses 75 km de lignes, le métro de Dubaï est le métro entièremen­t automatiqu­e le plus long au monde. Thales en assure la maintenanc­e et la signalisat­ion.

Newspapers in French

Newspapers from France