La Tribune Hebdomadaire

NETFLIX À LA PEINE POUR TROUVER DES RELAIS DE CROISSANCE

Pour conserver sa position de leader mondial sur le marché de la vidéo à la demande sur abonnement (SVoD), Netflix a fait le choix d’investir tous azimuts dans les contenus originaux et de les proposer partout dans le monde. Si cette stratégie lui permet

- SYLVAIN ROLLAND @SylvRollan­d

Grâce à d’excellents résultats trimestrie­ls, largement supérieurs à ses propres estimation­s et à celles des analystes, Netflix, le leader mondial de la vidéo à la demande sur abonnement (SVoD) a enfin réussi à rassurer ses actionnair­es. Le jour de l’annonce, lundi 17 octobre, la valeur de son action en Bourse a même bondi de 18,39 % dans les échanges post-clôture, redonnant quelques couleurs à un titre malmené depuis le début de l’année. Il faut dire qu’après deux trimestres décevants, qui avaient poussé les investisse­urs à remettre en question la capacité de Netflix à se transforme­r en un acteur global, la plateforme dirigée par Reed Hastings a apporté de solides gages de succès. En trois mois, Netflix a gagné 3,57 millions de nouveaux abonnés, dont la quasi-totalité (3,2 millions) hors des États-Unis. Son chiffre d’affaires a grimpé de 32%, à 2,3 milliards de dollars, tandis que le bénéfice net a bondi de 75%, à 52 millions de dollars. Cerise sur le gâteau, le bénéfice par action, très regardé à Wall Street, s’élève désormais à 12 cents, le double de ce qu’espéraient les analystes, en progressio­n de 120% sur un an. À ce tableau idyllique s’ajoutent des perspectiv­es radieuses pour la fin de l’année, avec un gain estimé de 5,2 millions de nouveaux abonnés au quatrième trimestre, dont 3,75 millions à l’internatio­nal. Si les marchés ont aussi bien réagi, c’est parce que réussir à l’internatio­nal est une nécessité absolue pour Netflix, qui commence à se sentir à l’étroit au pays de l’oncle Sam. « Les États-Unis sont un marché mature pour Netflix, sa marge de progressio­n y est faible », explique Vincent Teulade, analyste chez PwC. Bien sûr, le pays reste une puissante locomotive. Netflix y est rentable (avec une marge d’exploitati­on de 36,4%) et y revendique 47,5 millions d’abonnés, soit plus de la moitié de ses utilisateu­rs dans le monde (86,7 millions au total). Mais le leader mondial est déjà présent dans près d’un foyer sur trois et ne progresse plus énormément à domicile. En un an, Netflix n’y a gagné que 4,3 millions de nouveaux abonnés, contre 13,3 millions à l’internatio­nal. Sans compter qu’il doit aussi faire face à l’explosion de la concurrenc­e, d’Amazon Prime Video au prometteur Hulu, en passant par Crackle, YouTube ou CBS All Access, qui tous vont accélérer dans la SVoD en 2017. Anticipant les évolutions du marché, pariant sur le fait qu’Internet sera la télévision du futur, Netflix a donc décidé de passer à la vitesse supérieure. En janvier dernier, en plein CES de Las Vegas, le géant californie­n a annoncé son arrivée dans 130 nouveaux pays, en plus des 60 où il était déjà présent. Avec un objectif ambitieux : créer « le premier réseau mondial de télévision sur Internet ».

LES CONTENUS EXCLUSIFS, DES PRODUITS D’APPEL FACILES À INTERNATIO­NALISER

Pour conquérir le monde, Netflix a décidé de miser sur une recette qui lui sourit depuis quatre ans, et que tous ses concurrent­s copient : proposer des contenus exclusifs, que ce soit par le biais de partenaria­ts avec les studios ou en produisant et diffusant lui-même ses programmes. Orange is the New Black, House of Cards, Narcos ou encore la récente Stranger Things, toutes des séries originales estampillé­es « Netflix », incarnent la réussite de cette stratégie et font office de puissants produits d’appel. Pas timide en investisse­ments, Netflix a diffusé en 2016 plus de 600 heures de contenus « maison », soit davantage que son grand rival HBO, sous la forme de séries, essentiell­ement, mais aussi de documentai­res (comme le très remarqué Making a Murderer), de one-man-show comiques et même de films. Le train est lancé à toute allure : en 2017, plus de mille heures de contenus originaux devraient être produites, ce qui représente une enveloppe de 6 milliards de dollars. Inévitable­ment, cette frénésie d’investisse­ments se répercute sur la trésorerie de l’entreprise (- 506 millions de dollars au troisième trimestre, contre -252 millions un an plus tôt), ce qui va la pousser à encore s’endetter, comme l’a écrit Reed Hastings dans cette lettre envoyée le 17 octobre aux actionnair­es. Bien que coûteux, ces contenus originaux sont un atout majeur pour Netflix. Car l’autoproduc­tion lui permet non seulement de maîtriser – financière­ment et artistique­ment – le projet de A à Z, mais aussi de réduire sa dépendance envers les intermédia­ires (studios, chaînes de télévision) et de détenir tous les droits de diffusion et de propriété intellectu­elle, ce qui facilite grandement l’exploitati­on à l’internatio­nal. Les séries Narcos et Stranger Things, deux succès récents, ont eu un « impact fort, surprenant » sur les nouveaux abonnement­s, d’après Reed Hastings. Et même les production­s locales peuvent rencontrer un succès global, ce qui rentabilis­e leur coût de pro-

duction… La série Marseille par exemple, avec Gérard Depardieu, a été pensée comme un produit d’appel pour le marché français, mais elle a cartonné dans de nombreux pays malgré des critiques assassines. Problème : en attendant d’avoir suffisamme­nt de contenus originaux en stock pour proposer un catalogue intéressan­t partout dans le monde, Netflix doit toujours se fournir en films et en séries auprès des studios, qui lui vendent des licences d’exploitati­on. Mais les droits de diffusion se négocient pays par pays. Cette situation est un véritable casse-tête pour Netflix, qui doit attendre l’expiration des contrats existants pour entrer dans la course aux droits. C’est aussi un gouffre financier, car il n’existe pas de licence globale et il faut traiter avec les acteurs locaux pour adapter le contenu aux spécificit­és culturelle­s de chaque pays que Netflix veut attaquer.

190 PAYS CONQUIS, MAIS 700 MILLIONS DE CHINOIS INACCESSIB­LES

À ces coûts, s’ajoutent ceux du marketing et de la communicat­ion, indispensa­bles pour créer la demande dans les marchés stratégiqu­es comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, l’Australie ou le Brésil. Par conséquent, Netflix n’a toujours pas réussi à être rentable à l’internatio­nal. Si ses revenus hors des États-Unis ne cessent d’augmenter (853,5 millions de dollars au troisième trimestre, + 40% sur un an), les coûts suivent la même trajectoir­e et la marge d’exploitati­on reste négative (-69 millions d’euros au troisième trimestre, -242 millions d’euros sur les neuf premiers mois de l’année, contre -224 millions sur les neuf premiers mois de 2015). « Cette situation perdurera tant que Netflix n’aura pas atteint une masse critique d’utilisateu­rs dans ses marchés internatio­naux stratégiqu­es, qui lui permettron­t de financer son développem­ent dans les autres pays », ajoute l’analyste Vincent Teulade. Mais Netflix rencontre d’autres difficulté­s pour s’imposer partout dans le monde. En plus de la problémati­que des droits de diffusion et de l’adaptation aux spécificit­és de chaque marché (qualité très variable de la bande passante et des réseaux, culture plus ou moins forte du télécharge­ment et de la SVoD, politique tarifaire unique qui ne tient pas compte des différence­s de revenus…), la plateforme a officielle­ment acté son échec en Chine. En raison d’un « climat réglementa­ire compliqué » pour les sociétés étrangères – censure, proportion élevée de contenus chinois, préférence aux entreprise­s nationales –, Netflix préfère abandonner son projet de s’installer dans l’ex-Empire du milieu. Il va plutôt tenter de vendre les droits de diffusion de ses créations originales aux acteurs déjà présents. La « phase de constructi­on des relations avec les autorités chinoises », chère à Reed Hastings, n’a donc pas abouti. Une sacrée épine dans le pied alors que le marché chinois représente 700 millions d’internaute­s.

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Avec déjà 47,5 millions d’abonnés, la marge de progession de Netflix est faible sur son marché national.
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HAUSSE RECORD DU NOMBRE D’ABONNÉS POUR NETFLIX (nombre d’abonnés en millions) Au troisième trimestre 2016, Netflix a conquis 3,2 millions d’abonnés hors des États-Unis. Même si ses revenus à l’internatio­nal ne cessent d’augmenter, les coûts suivent la...

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