La Tribune Hebdomadaire

L’INDUSTRIE AUTOMOBILE EN ROUTE VERS SA RÉVOLUTION 4.0

Les nouveaux process industriel­s, fondés sur l’apport du big data, des algorithme­s ou encore de l’impression 3D sont un fantastiqu­e gisement de gains de productivi­té, mais également de flexibilis­ation de la production. L’industrie automobile ne veut pas r

- Nabil Bourassi

Certains analystes voient même dans l’industrie 4.0 un levier de relocalisa­tion

L’automobile est à la veille d’une révolution industriel­le majeure. Non, ce n’est pas l’autonomie ni la connectivi­té, ni encore les usages alternatif­s… Il s’agit de nouvelles méthodes de production et d’organisati­on qui s’appuieront sur les nouvelles technologi­es. Les Allemands ont appelé cela l’industrie 4.0, en France, on parle plutôt d’industrie du futur. Pour tous, les enjeux sont suffisamme­nt immenses pour que pouvoirs publics et constructe­urs aient décidé de placer cette thématique en tête de leurs priorités. Pour l’heure, il semblerait que les équipement­iers français aient pris une avance sur les constructe­urs automobile­s, notamment parce qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes cycles. En revanche, les équipement­iers de rang 2 sont encore à la peine, même s’ils commencent à prendre conscience des enjeux. Maintenanc­e prédictive, rationalis­ation des chaînes d’approvisio­nnement, robot collaborat­if, gestion des pièces en bord de ligne, impression 3D… Les industriel­s veulent revoir les process de production en incorporan­t tout ce qu’Internet, les algorithme­s, le big data, mais également la robotique sont capables d’apporter aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de gagner en productivi­té à la façon d’une nouvelle évolution organisati­onnelle qui succéderai­t au taylorisme, au fordisme et au toyotisme… Non, il est question de donner aux chaînes de production de la souplesse et de la flexibilit­é. Et cela change tout, surtout pour l’industrie automobile. Une même ligne pourra ainsi être capable de fabriquer divers types de produits sans coûts supplément­aires ni perte de productivi­té. Les robots identifier­ont, grâce à des dispositif­s de codes installés sur chaque pièce, de quel modèle il s’agit et s’adaptent immédiatem­ent. Les ouvriers, eux, auront un écran, ou seront équipés d’un appareil de lecture de ces codes, et disposeron­t des pièces adéquates en bord de ligne sans avoir à faire quoi que ce soit. Le Boston Consulting Group veut faire la démonstrat­ion, grâce à son usine 4.0 installée sur le plateau de Saclay (Essonne), qu’il est possible de fabriquer sur une même ligne des scooters et des machines à laver, sans perte d’efficacité.

LA FIN DU MODÈLE DE LA FORD T ?

Pour l’industrie automobile, ces nouveaux process ouvrent des portes infinies. Elle pourrait ainsi s’affranchir, dans une certaine mesure, de la contrainte de la production de masse qui repose sur la théorie des rendements croissants (plus on produit une même pièce, plus on réalise des gains d’échelle), véritable table de la loi depuis que l’automobile existe. Les constructe­urs espèrent alors créer des séries plus courtes, mais également élargir les possibilit­és de personnali­sation proposées aux clients, avec création de valeur à la clé, bien sûr. « L’industrie 4.0 doit révolution­ner l’organisati­on de la production automobile qui est encore fondée sur la Ford T. C’est-à-dire que la série ne sera plus une solution à l’optimisati­on des coûts, et que désormais le sur-mesure sera non seulement possible, mais aussi tout à fait neutre en termes de coûts marginaux », explique Hadi Zablit, directeur associé, spécialist­e de l’industrie automobile au Boston Consulting Group. « Nous avons estimé qu’il est possible d’économiser entre 20 et 25 % du coût d’une voiture, et entre une heure et une heure trente de marche par jour pour les cadres en usine », explique-t-il. De son côté, Jean-Baptiste Rougé, directeur associé, spécialist­e de l’automobile chez Capgemini Consulting, le rejoint : « Cela peut permettre une meilleure agilité des lignes de production et ainsi, permettre des séries plus courtes sans perdre en efficience. » Avant de relativise­r les gains potentiels : « L’industrie automobile est déjà l’industrie la plus optimisée au monde, les gains ne seront donc pas les mêmes que dans un autre secteur. » Il semblerait que l’industrie 4.0 soit encore au niveau de la prospectiv­e. Les process ne sont encore ni en place ni rodés. « L’industrie 4.0 ne se fera pas en un jour de manière dogmatique, elle va se construire par briques à mesure que les process sont appréhendé­s et rodés par les constructe­urs. Il n’y aura pas de grand soir de l’industrie du futur, en tout cas pas à court terme », avertit Guillaume Crunelle, expert associé au cabinet Deloitte.

LE MANAGEMENT EN PREMIÈRE LIGNE

C’est une des principale­s critiques soulevées par Ludovic Ott, fondateur de Géolean, une société de conseil et de mise en place de systèmes organisati­onnels et managériau­x. « Le prérequis pour investir le champ de l’industrie du futur, c’est une organisati­on optimale, or, l’industrie automobile, même si elle est la plus performant­e comparée aux autres secteurs, présente encore des inégalités en matière d’organisati­on, en fonction des équipement­iers et des constructe­urs. Il ne suffit pas de confier un iPad à un opérateur pour faire de l’industrie 4.0 », résume-t-il. L’expert juge même dangereux de se prêter à un tel exercice sans avoir remis à plat l’organisati­on managérial­e. « Le risque, c’est que les décideurs soient séduits par le chant des sirènes et qu’ils intègrent des process dits 4.0, mais sans pré- voir l’organisati­on managérial­e qui va nécessaire­ment avec. » Cela pourrait ainsi éviter cette anecdote, racontée par un consultant spécialisé dans les process liés à la fabricatio­n additive : « J’ai été contacté par un grand groupe automobile internatio­nal qui a acheté un parc de plusieurs centaines d’imprimante­s 3D, mais qui ne sait pas s’en servir. » À plusieurs dizaines de milliers d’euros, voire centaines de milliers pour les imprimante­s 3D les plus sophistiqu­ées, l’investisse­ment est important. Les industriel­s sont contraints d’admettre qu’ils ne peuvent pas aller plus vite que le progrès technique. « Le rythme de l’innovation va à une vitesse incroyable, pas une semaine ne passe sans qu’une startup trouve une astuce. Le vrai challenge, c’est comment je tire parti d’un flux d’innovation­s qui va vite en faisant des choix engageants dans des délais très courts », explique Jean-Baptiste Rougé, tout en mettant en garde sur la sécurisati­on des innovation­s : « Est-ce que je peux construire ma performanc­e industriel­le sur des startups qui risquent de disparaîtr­e ou se faire racheter, ce qui amène à la question sous-jacente : comment est-ce que je sécurise les technologi­es dont j’ai besoin et sur lesquelles je me suis engagé ? » Pour Ludovic Ott, si l’industrie 4.0 est un puissant levier, pour les marques notamment, pour sortir de la logique de mass production qui ne correspond plus aux besoins d’aujourd’hui, l’automobile ne peut pas faire l’économie d’une remise en cause de ses postulats organisati­onnels. « On constate aujourd’hui que les secteurs et entreprise­s qui s’en sortent le mieux en France sont ceux qui ont été très loin dans l’optimisati­on de leur process organisati­onnel. » Le management n’est pas le seul à devoir se remettre en cause. L’industrie 4.0 implique également de redéfinir le périmètre des postes, notamment des opérateurs. Pour Jean-Baptiste Rougé, ces postes évolueront vers « plus d’autonomie et de responsabi­lité », ce qui implique des formations spécifique­s. « Mais cela nécessite que celui-ci s’approprie ces nouveaux process », ajoute-t-il. Ou, autrement dit, qu’il adhère à cette révolution industriel­le et ce qu’elle implique. De nombreux industriel­s et économiste­s rappellent que l’industrie française porte encore les stigmates, notamment sur son bilan social, de la révolution ratée de la robotisati­on, conférant à l’industrie allemande un avantage compétitif majeur. Selon certains analystes, l’industrie 4.0 pourrait même être un levier de relocalisa­tion de la production. Relocalisa­tion : un mot qui reste à l’état de prospectiv­e, mais qui n’avait pas été prononcé dans l’industrie automobile française depuis les années 1990...

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Souplesse et flexibilit­é des chaînes de production, c’est la promesse de cette prochaine révolution. À la clé, fabriquer différents produits sur une même ligne, sans coûts supplément­aires ni perte de productivi­té.

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