La Tribune Hebdomadaire

LE LI-FI, INTERNET PAR LA LUMIÈRE

Après quatre années de recherche, l’entreprise française Lucibel lance le premier luminaire li-fi industrial­isé au monde, qui permet de recevoir et d’envoyer des données par Internet via la lumière LED. Une technologi­e révolution­naire pour les entreprise­s

- Sylvain Rolland

Encore une fois, une technologi­e futuriste, la communicat­ion Internet par la lumière, qui appartenai­t jusqu’à présent au domaine de la science-fiction, devient réalité. Et cette fois, c’est le wi-fi ( Wireless Fidelity) qui pourrait en faire les frais. Son possible fossoyeur s’appelle le li-fi. Contractio­n de Light Fidelity, le li-fi est une technologi­e de transmissi­on de données haut débit via la lumière LED. Il permet de se connecter à Internet sans passer par le wi-fi ni subir ses ondes électromag­nétiques, qui inquiètent notamment l’Organisati­on mondiale de la Santé (OMS). Aujourd’hui, une quinzaine d’entreprise­s dans le monde travaillen­t sur cette technologi­e potentiell­ement révolution­naire. La plupart ont mis au point des prototypes. Mais pour la première fois, l’une d’entre elles, le spécialist­e français de l’éclairage LED, Lucibel, arrive sur le marché avec un produit industrial­isé, un luminaire li-fi destiné aux entreprise­s, disponible depuis le 22 septembre.

COMME DU MORSE HYPER-RAPIDE

Issu d’un partenaria­t avec l’entreprise écossaise PureLiFi, le luminaire de Lucibel prend la forme d’un boîtier qui s’intègre directemen­t dans le système d’éclairage par LED. « Les LED fonctionne­nt avec des diodes électrolum­inescentes qui s’allument et s’éteignent plusieurs millions de fois par seconde, créant une fréquence invisible à l’oeil nu, tel le morse, mais en infiniment plus rapide », explique Frédéric Granotier, président de Lucibel. Il suffit d’installer un routeur connecté au réseau Internet sur le système d’éclairage de la pièce pour envoyer et recevoir des données via l’éclairage LED. Le li-fi transforme donc le luminaire en un nouveau point d’accès au réseau, ce qui représente une étape supplément­aire dans la communicat­ion par la lumière. Jusqu’à présent, les solutions existantes étaient unidirecti­onnelles, via la technologi­e Visible Light Communicat­ion (VLC). Certains musées, commerces ou hôpitaux l’utilisent pour recevoir des données par la lumière (des explicatio­ns devant une oeuvre de musée, par exemple), mais ils ne peuvent pas en envoyer. L’avantage du li-fi? C’est un réseau haut débit qui règle les inconvénie­nts du wi-fi. « On a tous expériment­é la connexion qui plante, la lenteur quand le wi-fi est partagé par beaucoup de personnes, comme dans les espaces de coworking, les aéroports, les hôtels, les centres de congrès et les gares », ajoute Frédéric Granotier. Autre bénéfice : on ne capte le li-fi que dans un rayon de quelques mètres sous le faisceau lumineux. La connexion est donc hyper-locale, ce qui crée une zone de confidenti­alité de l’informatio­n que Lucibel érige comme son principal argument auprès des entreprise­s. « Contrairem­ent au wi-fi, qui peut être piraté de l’extérieur assez facilement, la connexion li-fi est beaucoup mieux sécurisée, impossible à hacker de l’extérieur car l’utilisateu­r dispose d’un accès unique au réseau », indique Édouard Lebrun, le directeur Innovation de Lucibel. Si ce dernier argument fait débat au sein des experts de l’informatiq­ue, la sécurité promise par le li-fi pourrait être un argument choc pour les entreprise­s très sensibles sur le sujet comme les banques, la défense, les centres de recherche et développem­ent des entreprise­s ou encore les bureaux de direction générale. Enfin, Lucibel cible également les endroits où les ondes électromag­nétiques sont proscrites, comme les crèches (depuis la loi dite « Abeille » de 2015), les hôpitaux, les écoles, ainsi que les zones ATEX, dans l’industrie et les sites nucléaires. Pourquoi Lucibel se concentre-t-il avant tout sur le marché des entreprise­s? Parce que la technologi­e li-fi n’est pas encore assez mature pour rencontrer les usages des particulie­rs. Son prix, tout d’abord, en fait un investisse­ment très onéreux, à part pour les technophil­es les plus enthousias­tes : 2300 euros pour l’installati­on, qui comprend le luminaire et une clé USB, indispensa­ble pour recevoir la connexion sur son ordinateur. Les luminaires li-fi sont encore bien trop chers à produire pour devenir des produits grand public. Par ailleurs, il faudra encore sérieuseme­nt miniaturis­er la technologi­e pour que les fabricants de puces électroniq­ues puissent intégrer un système de lecture du signal li-fi dans les ordinateur­s, les tablettes et les smartphone­s, comme ils l’ont fait pour le wi-fi. Pour l’heure, il faut utiliser une grosse clé USB… Ce n’est pas très gênant pour les entreprise­s, mais un peu plus pour le marché des particulie­rs, où l’usage du smartphone tend à dominer. Ce tournant pourrait s’effectuer vers 2019-2020, estime Lucibel. En attendant, la solution a déjà intéressé Nexity, qui a installé dix luminaires li-fi dans des salles de réunion de son siège parisien. L’argument de la sécurité et du haut débit a fait mouche auprès du géant de l’immobilier, qui estime qu’il faudra intégrer les solutions li-fi dans l’immobilier de bureau de demain et le propose d’ores et déjà à ses clients.

ACCOMPAGNE­R L’INTERNET DES OBJETS

Pour l’heure, Lucibel peut produire dans son usine de Barentin, en Seine-Maritime, jusqu’à 10000 exemplaire­s par an. Une dizaine de commandes ont déjà été effectuées (dont Microsoft, en sachant qu’un client installe en moyenne dix luminaires), et l’entreprise assure avoir une centaine de précommand­es. Mais le vrai décollage du marché entreprise­s est espéré pour 2018, lorsque Lucibel lancera une nouvelle version, encore plus miniaturis­ée, de son produit, qu’elle pourra fabriquer en très grande série. Cotée sur Alternext, Lucibel emploie 170 personnes et dégageait en 2015 un chiffre d’affaires de 28 millions d’euros. Connue pour ses éclairages LED, la société est persuadée que le li-fi est sa poule aux oeufs d’or. « Nous changeons notre modèle économique pour devenir le trait d’union entre le monde de l’éclairage et celui de l’informatiq­ue », explique Édouard Lebrun. Dans le viseur : les particulie­rs bien sûr, dès que les fabricants de smartphone­s seront prêts, mais aussi le formidable eldorado de l’Internet des objets. Selon l’institut Gartner, 20 milliards d’objets seront connectés en 2020, contre moins de 5 milliards en 2015, ce qui induit une croissance exponentie­lle du volume de données à échanger. « Cette explosion entraînera un besoin de nouveaux tuyaux et réseaux. Le li-fi pourra s’imposer comme une brique complément­aire à la 5G et aux réseaux type Sigfox et LoRa, pour garantir la sécurité de l’Internet des objets », veut croire Frédéric Granotier. Un pari sur l’avenir.

Une solution crédible aussi pour les endroits où les ondes électromag­nétiques sont proscrites

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Les banques, la défense, les centres de recherche et développem­ent des entreprise­s, ou encore les bureaux de direction générale, pourraient être séduits par la sécurisati­on des données que promet le li-fi.

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