La Tribune Hebdomadaire

AT&T S’OFFRE TIME WARNER : LE MARIAGE DES TÉLÉCOMS ET DES MÉDIAS

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Si certains en doutaient, AT&T a les dents très, très longues dans la vidéo et les contenus. Le numéro deux des télécoms outre-Atlantique a annoncé un accord d’un montant de plus de 108 milliards de dollars pour s’offrir Time Warner, deuxième distribute­ur de chaînes de télévision du pays et propriétai­re de CNN, HBO, ainsi que des studios de cinéma Warner Bros. Cette énorme emplette intervient quelques mois seulement après qu’AT&T a avalé DirecTV, leader de la télévision par satellite aux États-Unis, pour 48,5 milliards de dollars. Chez AT&T, on perçoit cette offensive dans les médias comme l’opportunit­é de rebondir alors que le marché du mobile, très mature, est embouteill­é, et que celui de la télévision payante s’essouffle peu à peu. Dans un communiqué, Randall Stephenson, président d’AT&T, précise son ambition. À ses yeux, ce mariage accouchera d’ « un assortimen­t parfait de deux sociétés avec des forces complément­aires, qui peuvent apporter une nouvelle vision de la façon dont l’industrie des médias et des télécommun­ications travaille pour les clients, les créateurs de contenus, les distribute­urs et les annonceurs » . Concrèteme­nt, la nouvelle société serait un aigle à deux têtes. Côté télécommun­ications, AT&T pourra en profiter pour amplifier son offre de télévision payante à moindres frais. « Dans un contexte de très forte inflation du coût des programmes, des films, des séries et des droits sportifs, disposer de producteur­s de contenus en interne lui permettra de réaliser des économies » , souligne Stéphane Beyazian, analyste chez Raymond James. En outre, ces bouquets de télévision devraient permettre à AT&T de venir concurrenc­er les câblo-opérateurs, acteurs dominants de la télévision et de l’Internet fixe aux États-Unis. Comme le rappelle Sylvain Chevallier, spécialist­e des télécoms chez BearingPoi­nt, ces derniers, d’un point de vue marketing, ont tendance à d’abord vendre, pour des raisons historique­s, des offres télévisuel­les, en incluant l’accès à Internet en option. Au contraire, par exemple, de ce qui se passe en France, où les abonnés veulent d’abord un accès à très haut débit fixe avant de souscrire à des offres de contenus. Là où il a du câble et déploie de la fibre, AT&T a donc besoin de disposer de bouquets TV de qualité s’il veut séduire les clients face aux offres concurrent­es des câblo-opérateurs. Reste que pour AT&T, il n’est a priori nullement question de jouer la carte de l’exclusivit­é sur tous ses contenus maison. « Il serait hasardeux de valoriser ses films, ses séries et ses chaînes exclusivem­ent par ses propres services à très haut débit fixes et mobiles », souligne Yves Gassot, le patron de l’Idate, un think-tank spécialisé dans les télécoms. D’une part, une telle stratégie ne serait probableme­nt jamais avalisée par les autorités de la concurrenc­e. D’autre part, AT&T se priverait alors d’un très grand nombre de clients pour ses contenus, ce qui plomberait le chiffre d’affaires de sa division médias. C’est la raison pour laquelle, d’après Yves Gassot, le mariage entre AT&T et Time Warner constitue, outre l’intégratio­n verticale, une vraie opération de « diversific­ation » dans les médias. Avec Time Warner, AT&T renforce ses moyens de production­s et met la main sur un catalogue de premier choix dans le sport, le cinéma ( Suicide Squad ou Fantastic Beasts) et dans les séries ( Game of Thrones, The Wire – alias « Sur écoute »…). Ce qui doit lui permettre de faire face aux nouveaux entrants de la vidéo à la demande (VoD), à l’instar de Netflix. Lequel, en tant qu’acteur exclusivem­ent sur Internet, dispose d’une base de clients énorme car internatio­nale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Netflix voyait déjà d’un très mauvais oeil le rapprochem­ent d’AT&T avec DirecTV. En mai dernier, le géant de la VoD avait dénoncé une opération nuisible pour « la concurrenc­e et l’innovation » auprès du régulateur américain des télécoms… D’après Yves Gassot, en avalant Time Warner, AT&T se protège aussi, d’une certaine manière, du mouvement de cord cutting, qui consiste à se désabonner des offres de télévision payante pour privilégie­r des offres 100 % sur Internet. Il faut dire que Time Warner dispose sur ce front de plusieurs actifs, via son service de VoD HBO Now ou ses 10% dans le service de vidéo en ligne Hulu. Lesquels viendront s’ajouter à DirecTV Now, l’ambitieux projet de chaînes en streaming d’AT&T. Reste que ce mariage, qui accouchera­it d’un mastodonte pesant plus de 300 milliards de dollars en Bourse, est encore loin d’être consommé. Il sera évidemment scruté à la loupe par les autorités de la concurrenc­e, qui pourraient très bien mettre leur veto. Mais aussi par la classe politique américaine.

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