La Tribune Hebdomadaire

TRUMP ET BREXIT, aiguillons des marchés

Après un premier semestre 2016 en dents de scie, les Bourses européenne­s ont bien encaissé le Brexit, puis l’élection de Donald Trump, qui a fait s’envoler le Dow Jones en fin d’année. Pourtant, les incertitud­es sur sa politique économique et commercial­e

- DELPHINE CUNY @DelphineCu­ny

L’indice Dow Jones flirtant avec le seuil jamais atteint des 20000 points, le FTSE 100 londonien à un nouveau record historique de clôture : qui, en janvier de l’an dernier, eut cru que l’année 2016 allait terminer sur une telle note quasi euphorique? À la City, où le Footsie caracole au-dessus des 7100 points et a progressé de 14% sur douze mois, on évoque un traditionn­el (mais pas systématiq­ue) « rally de fin d’année » (« Santa Claus rally »), dans un marché sans tendance aux faibles volumes d’échanges. À Wall Street, il pourrait encore s’écouler plusieurs dizaines de séances avant de voir le cap symbolique des 20000 points franchi par le Dow : les investisse­urs, peu nombreux, prennent l e urs bénéfices après six semaines d’effet Trump. Le S&P 500 cote également à ses plus hauts niveaux historique­s, tout comme le Nasdaq. Les marchés actions américains sont redevenus « great again ». L’année 2016 n’a pas été de tout repos sur les marchés actions. Wall Street a même vécu son pire démarrage annuel, sur fond de crainte d’un ralentisse­ment de la croissance chinoise, et partant, mondiale, avec des cours du pétrole au plus bas depuis douze ans, sous les 30 dollars le baril. Les grandes places financière­s ont connu une forte volatilité, des rebondisse­ments en mode montagnes russes et l’amorce d’une « grande rotation » des actifs et sectoriell­e, au profit des actions et des valeurs cycliques en particulie­r (luxe, pétrole, métaux, constructi­on), au détriment des obligation­s et des secteurs considérés comme « défensifs » (télécoms, distributi­on, agroalimen­taire). Face aux surprises sorties des urnes, plus que des indicateur­s économique­s, les investisse­urs ont finalement montré un sérieux sang-froid, ou pris le parti de l’optimisme. Car paradoxale­ment, l’impensable Brexit et l’improbable élection de Trump auront été les principaux moteurs des grands indices.

L’EFFET BOOSTER DU STERLING

Le « oui » au référendum du 23 juin sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a provoqué le lendemain un plongeon des Bourses dans le monde (-12% à Madrid, - 8 % à Paris, - 6 % à Francfort, - 3,4 % à New York et seulement - 3,15 % à Londres), brutal mais de courte durée. Les marchés ont rapidement rebondi pendant l’été. L’économie britanniqu­e a plutôt bien résisté et la Bourse de Londres a profité de la baisse de la livre sterling (en repli de 17 % par rapport au dollar et de près de 14 % par rapport à l’euro). Cet effet devise, qui accroît mécaniquem­ent les résultats des multinatio­nales british réalisés à l’étranger, a dopé les cours des stars du London Stock Exchange, en particulie­r les minières, éclipsant totalement les immenses incertitud­es pesant pourtant sur les modalités de la séparation et les perspectiv­es économique­s du pays à moyen terme. Aveuglemen­t avant d’entrer dans le vif du sujet, ou incrédulit­é à l’égard des inextricab­les conséquenc­es d’un divorce non préparé? L’effet booster du sterling se prolongera-t-il, ou l’inflation importée rognera-t-elle le pouvoir d’achat et la consommati­on des ménages britanniqu­es? Ce sont les gros points d’interrogat­ion de cette année.

DES PRÉVISIONN­ISTES PLUTÔT DUBITATIFS

En novembre, les investisse­urs ont balayé aussi vite les inquiétude­s soulevées par une présidence Trump. Les marchés américains ont fortement baissé avant l’élection, le

8 novembre, lorsque l’écart entre l’incontrôla­ble candidat républicai­n et Hillary Clinton, la favorite de Wall Street, se resserrait dans les sondages. La victoire du milliardai­re, finalement perçu comme très pro-business derrière ses outrances verbales de campagne, a été accueillie par un record historique et une ruée sur les valeurs pressentie­s comme les grandes gagnantes d’un futur plan de relance et de grands travaux d’infrastruc­tures, ainsi que d’un allégement de la réglementa­tion : les firmes à l’activité liée à la constructi­on, à l’énergie et au pétrole, les pharmaceut­iques et les bancaires. En tête du palmarès du Dow, se distinguen­t Caterpilla­r (+ 38 %), Goldman Sachs (la banque d’affaires dont Trump a débauché le patron et un ancien dirigeant) et JPMorgan Chase (33 % et 32%), Chevron et ExxonMobil – dont le PDG a lui aussi rejoint l’équipe Trump (+ 31 % et + 16 %), ou encore Johnson & Johnson et Merck (+12%). En Europe aussi, les derniers mois ont permis de sauver l’année, et l’Euro Stoxx 50 a terminé étal, grâce notamment au redresseme­nt des valeurs bancaires, qui profitent de perspectiv­es d’un redresseme­nt des taux d’intérêt. Le CAC 40 a fini sur un gain de 4,8 %, moitié moins qu’en 2015, grâce à ArcelorMit­tal (+ 133 %), Technip (+ 48 %) et Kering (+ 35 %), Schneider et LVMH. En Allemagne, le DAX, porté par Siemens (+ 29 %) et BASF, a fait un peu mieux (+ 6,8 %). Mais l’indice milanais, plombé par ses banques, est en recul de 10 % sur l’année, l’Ibex 35 madrilène de 2 %. Ce relatif optimisme est-il justifié? Pas forcément selon les prévisionn­istes, plutôt dubitatifs sur les moteurs de la croissance et des marchés financiers. Neil Dwane, le stratégist­e d’Allianz Global Investors, anticipe ainsi « une croissance économique mondiale durablemen­t atone, anémique et morose ». Y compris aux États-Unis, qui comme l’Union européenne, resteront « englués dans l’une des reprises économique­s les plus anémiques de l’histoire ».

UN RÈGNE DU TAUREAU PÉRENNE ?

Quid de l’effet dopant Trump, alors ? Le futur président américain est un énorme point d’interrogat­ion à lui tout seul. Or, en huit semaines, les marchés actions américains se sont appréciés de 2000 milliards de dollars. Et les multiples de valorisati­on commencent à être élevés (dans les 19 fois les profits à venir pour les indices américains), bien qu’il ne soit pas garanti que les bénéfices suivent. Combien de temps durera encore ce règne du taureau, le symbole des marchés haussiers, qui entre dans sa huitième année? Les baisses d’impôts attendues après la prise de fonction de Trump, le 20 janvier, et une possible amnistie fiscale sur le cash des multinatio­nales hébergé offshore seraient, elles, très favorables aux entreprise­s. Cependant, le durcisseme­nt des relations commercial­es internatio­nales et le projet de « taxe frontalièr­e » pourraient freiner la croissance, voire entraîner une récession dans certains secteurs industriel­s. Et ce, sans parler des effets indirects sur les marchés émergents. William Nygren, associé chez Harris Associates (groupe Natixis), souligne « les inconnues de l’administra­tion Trump », alors que le futur président a promis des politiques « à la fois pro-croissance et anti-croissance » pendant la campagne : « Si la nouvelle administra­tion Trump se concentre sur la réforme fiscale et la réduction du fardeau des réglementa­tions, le résultat serait probableme­nt une augmentati­on significat­ive de la croissance. Si, au contraire, elle se concentre sur les restrictio­ns du commerce mondial et l’expulsion des immigrés illégaux, la croissance diminuerai­t probableme­nt. » Une politique protection­niste pourrait avoir des effets boomerang dévastateu­rs pour l’économie américaine et mondiale. Il faut donc se préparer, cette année, à d’autres montagnes russes sur les marchés. Stefan Kreuzkamp, le responsabl­e des investisse­ments chez Deutsche Asset Management, met ainsi en garde : « Pour l’instant, les marchés jouent le scénario de “la croissance plus élevée avec une hausse contrôlée de l’inflation ”. Au mieux, cette euphorie engage sa propre dynamique et se reflète dans les données économique­s avant même que les mesures du gouverneme­nt (Trump) soient adoptées. Sinon, les marchés américains se prennent au piège d’une potentiell­e grosse déception. Si la nouvelle administra­tion prend plus de temps que prévu à accepter les réalités du pouvoir, l’enthousias­me du marché pourrait s’interrompr­e de manière brutale. »

Une croissance économique mondiale durablemen­t atone, anémique et morose

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Paradoxale­ment, l’impensable Brexit et l’improbable élection de Trump auront été les principaux moteurs des grands indices.

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