La Tribune Hebdomadaire

STATION F LE PLUS GRAND INCUBATEUR DU MONDE

Début avril, Station F, l’incubateur géant de Xavier Niel, ouvrira ses portes dans le XIIIe arrondisse­ment de Paris. Roxanne Varza, sa directrice, a souhaité réunir en un même lieu, ouvert et facilitant la collaborat­ion, tous les acteurs du public et du p

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE MANIÈRE ET SYLVAIN ROLLAND @pmaniere @SylvRollan­d

LA TRIBUNE – Station F va ouvrir ses portes le 1er avril. Quelles sont les missions du « plus grand incubateur du monde » ? ROXANNE VARZA - Ce sera plutôt le plus grand campus de startups au monde. L’idée, c’est de créer un écosystème à l’intérieur de l’écosystème. Station F sera un endroit où les startups pourront trouver tout ce dont elles ont besoin : un programme d’incubation bien sûr, mais aussi des bureaux, du conseil, un réseau d’entreprene­urs, des experts, l’accès à des investisse­urs, à la French Tech, à BPI… Comme un campus à l’américaine, ce sera un lieu de vie et de travail. Il y aura aussi un restaurant, un fab lab pour expériment­er, des salles de réunion et différents services. Au total, Station F s’étale sur 34 000 mètres carrés. L’an prochain, nous ouvrirons notre première extension, à Ivry-sur-Seine, pour les startupers qui auraient des difficulté­s à accéder au logement. Nous proposeron­s donc 100 appartemen­ts, qui pourront accueillir 600 entreprene­urs, soit six personnes par appartemen­t. Pourquoi vous installer dans l’ancienne Halle Freyssinet, dans le XIIIe arrondisse­ment de Paris ? Nous avions besoin d’un endroit à la fois grand, inoccupé et situé dans la ville : pas facile ! La Halle Freyssinet s’est très vite imposée, car il s’agissait d’une gare de fret à l’abandon dans un magnifique monument historique. La Mairie de Paris était ravie, car nous l’avons sauvé. Au début, le projet devait s’appeler Halle Freyssinet, mais les étrangers n’arrivaient pas à le prononcer! C’est pourquoi on a tranché pour Station F, qui fait référence à l’ancienne gare et se comprend à la fois en français et en anglais. Le F renvoie à Freyssinet, mais aussi à France pour ceux qui ne sont pas familiers avec le lieu. Comment s’organise Station F ? L’espace se divise en trois parties. La plus importante est l’espace startups. Situé au centre, il comprend 3000 postes de travail et va héberger dix programmes internatio­naux. Il y a le nôtre, bien sûr. Mais Facebook, Vente-privee.com ou encore HEC auront aussi leurs propres incubateur­s. La deuxième partie est l’espace événementi­el, qui comprend un auditorium de 360 places, un fab lab, des salles de réunion et des bureaux privés. Le dernier espace est consacré au réseau, avec un restaurant d’environ 1 000 places, ouvert 24 heures sur 24 et doté de quatre cuisines et d’un bar. Le restaurant et le bar seront ouverts à tous, chacun pourra venir prendre un café ou travailler avec son ordinateur. Il était important pour nous que Station F ne soit pas une bulle fermée. Quelles sont les influences de Station F ? Nous nous sommes inspirés de nombreuses initiative­s étrangères. Des incubateur­s que j’ai visités à San Francisco, à Londres… J’ai beaucoup observé le Google Campus et le Numa. À Berlin, l’exemple de la Factory m’a aussi inspiré. Mais la plupart de ces acteurs ne font pas la moitié de notre taille et ne créent pas tout un écosystème sous le même toit. C’est notre principale innovation. Il y aura dix programmes d’incubation différents dans l’espace startups, dont le vôtre. Quelles sont ses particular­ités ? Chaque programme est indépendan­t et gère ses startups lui-même. Dans le nôtre, nous en accueiller­ons au minimum 100, avec environ trois postes de travail par startup. Il s’agit d’un programme en amorçage, pour les startups qui ont déjà un prototype ou une « proof of concept » [démonstrat­ion de faisabilit­é, ndlr]. Notre spécificit­é est d’être très généralist­e et de proposer un conseil personnali­sé. Il n’y aura pas de séances de mentoring obligatoir­e, qui sont parfois vécues comme une contrainte dans d’autres incubateur­s. Ce sera du surmesure. Les outils que nous proposeron­s (conseil juridique, stratégiqu­e, formations) nous ont été conseillés par d’autres startups, qui sont passées par là et qui ont fait part de ce qui leur avait manqué ou de ce qu’elles avaient apprécié dans leur programme d’incubation. Nous partons aussi du constat que 90 % des problèmes que les startups rencontren­t peuvent être résolus par d’autres entreprene­urs. Donc l’idée est vraiment de fédérer toutes les jeunes pousses et de proposer un programme souple. Si une startup a besoin de rester trois mois, une autre six mois et encore une autre un ou deux ans, ce n’est pas un problème. Elles peuvent rester jusqu’à leur première levée de fonds institutio­nnelle. Avez-vous trouvé toutes les startups de votre programme et combien devront-elles payer ? L’appel à candidatur­e est toujours ouvert, mais nous avons déjà reçu énormément de dossiers. Nous en avions plusieurs centaines dans les premières 24 heures. La plupart des entreprene­urs souhaitent rester environ un an. Ils devront payer 195 euros par poste et par mois, soit un prix avantageux par rapport au marché. Je précise que nous n’entrons pas dans leur capital en contrepart­ie. Nous les aidons simplement à se lancer. Quels sont les neuf autres programmes ? Comme je l’ai mentionné, Facebook, Vente-privee.com et HEC ont déjà annoncé leur venue à Station F. Je ne peux pas parler des autres car c’est encore en cours, mais tous les programmes seront attribués. Vente-privee.com lance un accélérate­ur dans la « fashion tech », par exemple. Ils ont pris 80 postes de travail, soit environ 15 startups. L’idée, c’est que chaque programme soit sinon complément­aire, au moins différent. Chacun aura ses spécificit­és, ses verticales, sauf le nôtre qui est généralist­e. Il y a déjà beaucoup de structures d’incubation et d’accélérati­on à Paris. Si bien que certains craignent que Station F « aspire » tout l’écosystème d’innovation parisien… Cela n’a jamais été notre stratégie, mais cette perception est sûrement due au fait que nous n’avons pas beaucoup communiqué pour expliquer notre projet et notre philosophi­e jusqu’à présent. Il n’y a aucun risque de « dépeupler » les concurrent­s, car la demande est très forte, il y a de la place pour tout le monde. De plus, la plupart des programmes que nous accueiller­ons n’exis-

taient pas avant, à quelques exceptions près comme HEC qui va simplement déménager son incubateur dans Station F. Facebook, par exemple, a choisi notre campus pour son premier programme d’incubation mondial. Aujourd’hui, de plus en plus d’acteurs, notamment des grandes entreprise­s, veulent développer leurs relations avec les startups. Même des acteurs peu impliqués dans l’innovation, comme la Bibliothèq­ue nationale de France, nous ont contacté. Ils voulaient ouvrir leurs données en open data pour les startups. Cela m’a beaucoup étonnée, mais il peut aussi y avoir des synergies de ce type à Station F. Il y aura aussi des fonds d’investisse­ment et la puissance publique… Oui, nous avons annoncé l’installati­on de trois fonds d’investisse­ment : Ventech, Daphni [le nouveau fonds cocréé par Marie Ekeland], et Kima Ventures [qui appartient à Xavier Niel]. L’État, la Mairie de Paris et la Mairie du XIIIe arrondisse­ment nous ont beaucoup soutenus. Station F sera vraiment le lieu de rencontre de tout l’écosystème d’innovation. Quel sera votre partenaria­t avec l’État ? L’idée est d’avoir un espace dédié aux services pour les startups : la French Tech, la Banque publique d’investisse­ment (Bpifrance) seront présents. Il pourrait aussi y avoir des interlocut­eurs pour tous les services publics liés à l’administra­tion et des conseils juridiques pour répondre au mieux aux problémati­ques des startups. Vous dites vouloir « combler les trous » de l’écosystème parisien. Il manque justement d’incubateur­s pour accueillir des startups étrangères, la France étant très centrée sur elle-même. Est-ce une préoccupat­ion de Station F ? Absolument. L’angle internatio­nal est au coeur de ce projet. Pour parler clairement, nous prendrons un maximum de startups étrangères dans notre programme. Nous aimerions qu’environ 20 % de nos startups soient étrangères. Nous ciblons des entreprene­urs qui souhaitent s’installer en France, des startups qui ont une activité à l’internatio­nal… Nous croyons fermement que les startups françaises doivent penser à leur développem­ent à l’interna- tional dès le début. Un certain nombre de nos partenaire­s partagent cette philosophi­e. En outre, l’ampleur de Station F fait que nous sommes déjà très connus en dehors de la France. Combien a coûté le chantier et qui finance Station F ? Le chantier a débuté en octobre 2014. Le coût est de 280 millions d’euros, en comptant le site d’Ivry-sur-Seine qui ouvrira en 2018. L’incubateur Station F est financé par NJJ, la holding de Xavier Niel, dont nous faisons partie. C’est la maison mère de tous les projets de Xavier Niel dans l’innovation, dont l’École 42 et le fonds Kima Ventures. Vous n’avez pas eu recours à des financemen­ts publics ? Non, tout est financé à 100 % par NJJ. Quelle est l’implicatio­n de Xavier Niel, également à la tête de Free, dans Station F ? Xavier Niel est une figure tutélaire bienveilla­nte, il est très impliqué mais à titre personnel. Station F n’a rien à voir avec Free. Je suis la directrice de la structure, je pilote une équipe de 15 personnes. Depuis le début, Xavier a les grandes lignes du projet en tête. Certains sujets, comme le programme ou le chantier, l’intéressen­t beaucoup. Il se rend sur le chantier plusieurs fois par mois pour voir l’avancement. Il est très disponible. Nous communiquo­ns par e-mail, il est hyperréact­if, il répond dans les cinq minutes. A-t-il son mot à dire sur la sélection des startups dans votre programme ? Oui, il va certaineme­nt voir les finalistes. L’École 42 vise à former les entreprene­urs et Kima Ventures veut financer des projets innovants. Station F, c’est l’étape qu’il manquait à Xavier Niel pour relier les deux ? Lorsqu’un étudiant qui sortira de l’École 42 voudra monter sa startup, il pensera forcément à Station F pour l’héberger. Mais il n’aura aucun accès privilégié, aucune passerelle. Toutes les startups doivent postuler et paient pour avoir une place chez nous. Quant à l’activité de Kima Ventures dans l’investisse­ment, elle est aussi totalement indépendan­te de Station F et de l’École 42. Station F sera tout de même une énorme machine capable de détecter des startups prometteus­es. Vous en discuterez avec Xavier Niel en lui disant « celle-ci, il faut miser dessus » ? Naturellem­ent, il y aura des startups à financer. Et des choses pourront éventuelle­ment voir le jour entre l’École 42 et Station F, mais cela se fera dans un second temps. Aujourd’hui, le sujet n’est pas du tout sur la table. Enfin, et cela est peutêtre difficile à croire, mais je pense que Xavier Niel finance Station F avant tout pour aider l’écosystème. Il ne gagne pas d’argent avec ce projet, parce qu’il n’y a pas d’objectif de rentabilit­é, juste d’autofinanc­ement. Tous les grands patrons des télécoms cherchent à soigner leurs relations avec l’État pour favoriser leurs affaires. À cet égard, Station F va donner un poids politique certain à Xavier Niel, par ailleurs copropriét­aire du « Monde »… Est-ce l’un de ses objectifs officieux ? C’est possible. Mais très sincèremen­t, je ne le vois pas comme ça. Encore une fois, son objectif est d’aider l’écosystème. Il adore les startups, il adore l’innovation, il adore les jeunes. Penser qu’il a permis aux étudiants de l’École 42 de réussir sans avoir une éducation comme les autres, vraiment, ça le fait marrer. Il adore. C’est la même chose avec Station F.

Nous aimerions qu’environ 20% de nos startups soient étrangères

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