La Tribune Hebdomadaire

PARIS SE VEUT LEADER DE LA FINANCE VERTE EN EUROPE

Avec le succès de l’émission par l’État français de sa première « OAT verte », la capitale française entretient la dynamique de la COP21 et renforce sa position pour devenir la place européenne de référence en matière de finance verte.

-

La Place a été agréableme­nt surprise par le succès de l’obligation souveraine », affirme Caroline Delerable, associée France chez EY, cabinet reconnu vérificate­ur auprès du Climate Bonds Initiative (CBI). Alors qu’un premier objectif de 6 milliards avait semblé un poil trop optimiste, l’obligation verte souveraine émise par l’État français en janvier a non seulement permis de lever les 7 milliards d’euros qu’elle visait, mais elle a été largement sursouscri­te, avec une demande qui a dépassé 22 milliards.

LE MARCHÉ DES OBLIGATION­S VERTES EN PLEIN ESSOR

Avec des prévisions de 206 milliards de dollars pour 2017, à comparer avec 93,4 milliards en 2016 et 42,4 milliards en 2015, le marché des obligation­s vertes est en plein essor. Et la France, avec cette OAT (obligation assimilabl­e du Trésor), d’un montant et d’une maturité (vingt-deux ans) sans commune mesure avec celle émise par la Pologne en décembre pour 750 millions d’euros sur cinq ans, entend jouer un rôle significat­if dans ce développem­ent, en conférant liquidité et profondeur à ce marché émergent. « La taille de l’émission et l’importance que revêt la France sur les marchés obligatair­es internatio­naux devraient permettre au marché des obligation­s vertes d’atteindre une taille critique en 2017 », souligne ainsi Sarah Carlson, Senior VP chez Moody’s, dans une note adressée aux rédactions. L’agence de notation salue une initiative qui permettra, en ces temps devenus plus incertains encore par l’élection de Donald Trump, de laisser le projecteur braqué sur les risques de long terme et les sujets de plus court terme liés au changement climatique. Par ailleurs, cette obligation a réussi à attirer des investisse­urs autres que les institutio­nnels, habituelle­ment friands d’investisse­ment socialemen­t responsabl­e (ISR). La demande a, pour un tiers de l’émission, émané de gestionnai­res d’actifs, banques, fonds de pension et sociétés d’assurance contribuan­t, pour chacun, à hauteur d’un cinquième de l’émission. Les données disponible­s révèlent que les investisse­urs étaient pour 95% européens – dont 37 % d’investisse­urs français, 19 % hollandais, 18% britanniqu­es – et 5% asiatiques et américains. Mais sa grande originalit­é est de n’avoir pas seulement sélectionn­é des projets très concrets assortis d’indicateur­s préci. Ici, en plus de foncier, infrastruc­tures, immobilier, etc., une partie de ces projets consiste en actifs incorporel­s ou en capital humain, notamment au travers du soutien à des organismes de recherche. « Cela met en avant la valeur de l’économie immatériel­le, apprécie Caroline Delerable. Mais intangible ne signifie pas virtuel, ces projets existent réellement. »

APPARAÎTRE COMME UNE RÉFÉRENCE

Sur un plan strictemen­t financier, « un émetteur – entreprise, banque de développem­ent ou État – bien noté lèvera aussi facilement de l’argent via un green bond qu’à travers une obligation standard », observe Caroline Delerable. Aussi, si la France s’est donné la peine d’identifier pour 10 milliards de projets éligibles, c’est qu’elle y trouve un intérêt ailleurs. Elle entend ainsi surfer sur la dynamique née dans la foulée de la COP21, et apparaître comme une référence en matière de finance verte. « Cette première émission propose un cadre pour les futures obligation­s souveraine­s vertes », reconnaît Caroline Delerable, par exemple en matière de critères de sélection, de suivi, de reporting dans la durée et de transparen­ce.

« CRÉER UNE INCITATION POSITIVE »

Elle pourrait surtout faire des émules. « On pourrait assister, dans le sillage de la France, au lancement d’émissions vertes à l’initiative d’autres pays, ou voir les initiative­s s’étendre à d’autres secteurs », précise Henry Shilling, Senior VP chez Moody’s. « De nouveaux corporate pourraient ainsi démontrer leur dynamisme et leur compréhens­ion des changement­s à l’oeuvre dans l’économie », analyse Caroline Delerable. Toujours selon Moody’s, la Chine, la Suède, le Luxembourg, le Maroc, le Nigeria et le Bangladesh envisagera­ient également de procéder à des émissions d’obligation­s vertes. Ce qui permettrai­t aux investisse­urs de diversifie­r leurs investisse­ments entre obligation­s vertes corporate et souveraine­s. Une bonne chose, car « les investisse­ments nécessaire­s pour accomplir la transition énergétiqu­e, qui concernent des projets risqués, impliquent de mobiliser à la fois la finance publique et privée, insiste Caroline Dele- rable. D’autant plus, et c’est un sujet de préoccupat­ion, que le système prudentiel pose des exigences fortes en matière de maîtrise des risques. » Et, malgré leur forte croissance, le montant des obligation­s vertes reste une goutte d’eau parmi les émissions obligatair­es. « Un premium pour ces obligation­s vertes pourrait s’envisager à terme, de façon à créer une incitation positive pour les émetteurs » et permettre au mouvement de s’amplifier.

UNE CONCURRENC­E DÉJÀ RUDE

Tout cela suffira-t-il à faire de la France la favorite de la course à la première place européenne en matière de finance verte? C’est loin très acquis. Certes, le pays hôte de la COP21 a joué un rôle moteur dans la sensibilis­ation aux enjeux climatique­s et notamment en matière de politique de lutte contre le réchauffem­ent climatique, et élaboré une réglementa­tion favorable au développem­ent du marché des obligation­s vertes. Mais la concurrenc­e est rude. Contrairem­ent à Euronext, Londres dispose d’un compartime­nt dédié sur le London Stock Exchange. Quant à la Bourse verte ouverte au Luxembourg en septembre 2016, elle exige déjà une communicat­ion claire et un avis consultati­f d’un tiers externe, mais aussi un reporting environnem­ental sur le projet ou les activités que financent les green bonds. Comme l’expliquait Robert Scharfe, le directeur général de la place financière du Luxembourg à cette occasion : « Nous avons 3000 entreprise­s cotées en provenance d’une centaine de pays. 40 % d’entre elles sont susceptibl­es d’émettre des green bonds pour disposer d’instrument­s concrets de financemen­t de leurs politiques de développem­ent durable. Notre initiative devrait les encourager à le faire. » Le succès de l’obligation souveraine française relance la partie, mais les dés sont loin d’être définitive­ment jetés.

Cette première émission propose un cadre pour les futures obligation­s souveraine­s vertes

 ?? souligne Sarah Carlson, Senior VP chez Moody’s. ?? « La taille de l’émission et l’importance que revêt la France sur les marchés obligatair­es internatio­naux devraient permettre au marché des obligation­s vertes d’atteindre une taille critique en 2017 »
souligne Sarah Carlson, Senior VP chez Moody’s. « La taille de l’émission et l’importance que revêt la France sur les marchés obligatair­es internatio­naux devraient permettre au marché des obligation­s vertes d’atteindre une taille critique en 2017 »

Newspapers in French

Newspapers from France