La Tribune Hebdomadaire

LE NUMÉRIQUE, BOUÉE DE SECOURS DES ZONES RURALES ?

Dans un rapport dévoilé en janvier, le « think tank » Terra Nova et Google publient sept propositio­ns pour renforcer l’attractivi­té économique et démographi­que des territoire­s les plus isolés, grâce au numérique. Quelque 3 576 communes, représenta­nt 1,2 m

- SYLVAIN ROLLAND @SylvRollan­d

Sorèze, petite ville du Tarn de 2 700 habitants située à 27 kilomètres de Castres. La quincaille­rie TomPress, créée par la famille Louberssac en 1921, ferme en 1995 pour raisons économique­s. Un exemple parmi tant d’autres de la difficulté de survivre en milieu rural, sur un territoire isolé, trop éloigné de la ville pour attirer la clientèle. Pourtant, la famille ne renonce pas. Convaincus qu’il existe un public pour leurs outils de cuisine de qualité artisanale, les Louberssac se convertiss­ent en 2000 au numérique et décident de vendre en ligne, à destinatio­n des particulie­rs et des profession­nels. Le pari est gagnant. Aujourd’hui, le site tompress.com propose plus de 2000 références. L’entreprise a même créé un showroom de 200 mètres carrés, toujours à Sorèze. Grâce à l’e-commerce, la structure familiale s’est offert une deuxième vie et fait travailler la quatrième génération de Louberssac.

UN FORT SENTIMENT D’ABANDON

Hélas, cette belle reconversi­on par le numérique est une exception. C’est le constat dressé par le cercle de réflexion Terra Nova, dans une étude menée conjointem­ent avec Google. Pendant cinq ans, le think tank classé à gauche a rencontré des dirigeants de TPE-PME et des élus locaux dans toute la France. Ils se sont concentrés sur les territoire­s les plus isolés, c’est-à-dire ceux où moins de 25% de la population active travaille dans une aire urbaine. Soit 3 576 communes (10 % du total) représenta­nt 1,2 million d’habitants. « Le numérique permet fondamenta­lement à n’importe quelle activité économique, si modeste soit-elle, d’accéder à une visibilité sans frontière, explique Thierry Pech, le directeur général de la fondation Terra Nova. Certains le comprennen­t rapidement et font de véritables merveilles, comme tompress.com ou encore pêcheur.com, une entreprise de Gannat, en Auvergne, devenue le site de référence pour la vente en ligne d’objets de pêche », ajoute-t-il. Mais généraleme­nt, les territoire­s isolés ont tendance à se replier sur eux-mêmes. La fuite des jeunes attirés par les villes, la fermeture des petits commerces, la raréfactio­n des services publics de proximité, la crise des finances publiques, ainsi que le déclin agricole et i ndustriel ont entraîné un « fort sentiment d’abandon, l’impression d’être les oubliés de l’histoire, de ne pas profiter du monde qui change », note le rapport.

FORMATION AU NUMÉRIQUE, LE B.A.-BA

Sur la base d’exemples de réussites locales, Terra Nova fait au contraire le pari que la transition numérique, qui représente une mutation structurel­le de l’ensemble du tissu productif, social et politique, n’est pas une menace pour ces territoire­s. « Les nouveaux usages et outils permettent d’envisager un désenclave­ment, un développem­ent économique différent, plus déconcentr­é, une qualité de services publics et de santé réellement égalitaire­s sur l’ensemble du territoire national », écrit l’étude. Problème : les pouvoirs publics et les syndicats ne sont clairement pas au rendezvous. Et les population­s manquent d’outils. Selon John Billard, vice-président de l’Associatio­n des maires ruraux de France (AMRF) et maire du Favril, un village de 350 habitants dans l’Eure-et-Loir, il est « urgent d’identifier les freins et de proposer des solutions ». Terra Nova livre donc sept propositio­ns. La première serait de créer un Office régional numérique dans chaque région. Ce serait le « point d’entrée unique pour les entreprise­s » chargé d’aiguiller les entreprise­s dans leur transforma­tion digitale, notamment afin de les conseiller et les mettre en contact avec des organismes ou acteurs pouvant leur venir en aide. Terra Nova préconise également de développer l’initiation aux compétence­s numériques de base (apprentiss­age du code informatiq­ue pour créer un site, maîtrise des réseaux sociaux...) au sein des formations profession­nelles et continues, par exemple en créant des modules complément­aires dans les programmes existants. Les maires, qui impulsent la dynamique des territoire­s, doivent aussi être accompagné­s, estime le rapport.

CONNEXION TOTALE AU NET D’ICI À 2022

Le développem­ent de la télémédeci­ne (téléconsul­tation, actes de télé-suivi, création de maisons de santé...) est aussi perçu comme un moyen efficace d’améliorer l’attractivi­té des territoire­s isolés, tout comme les pratiques d’économie collaborat­ive. Airbnb, par exemple, est déjà présent dans 30 % des communes situées dans les territoire­s isolés, et permet ainsi, dans deux tiers des cas, de pallier l’absence d’hôtels. « L’économie collaborat­ive valorise un capital souvent peu utilisé (logements, véhicules, matériel agricole...) », estime Thierry Pech. Enfin, lever les freins à l’adoption du télétravai­l apparaît essentiel, à la fois pour favoriser la création de startups du numérique en pleine campagne, mais aussi pour permettre à des cadres de revenir dans des zones rurales plutôt que de s’installer dans les centres urbains. Pour cela, une négociatio­n interprofe­ssionnelle est souhaitabl­e, « pour faire évoluer le cadre légal ». Mais il faudra aussi faire évoluer les mentalités sur le télétravai­l, celui-ci étant toujours snobé par une grande majorité d’entreprise­s. Reste une question cruciale, celle de la connectivi­té. Car les territoire­s les plus isolés sont aussi ceux où la qualité de la connexion à Internet est la plus mauvaise. « Les trois quarts des bâtiments de ces zones ont un débit trop faible pour permettre le télétravai­l ou la télémédeci­ne », regrette John Billard. D’après l’étude, seuls 22 % de ces territoire­s ont accès au très haut débit, et à peine 0,5 % à la fibre. Le Plan France Très Haut Débit, qui vise à couvrir l’ensemble du territoire d’ici à 2022, est donc attendu de pied ferme par les maires ruraux. En attendant, 3 800 communes situées en zone blanche recevront la 2G et la 3G en 2017, d’après le gouverneme­nt. Un progrès, mais toujours insuffisan­t pour une connexion vidéo de bonne qualité.

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