La Tribune Hebdomadaire

AUGMENTER LE QI DE L’HUMANITÉ

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Le mathématic­ien John McCarthy, mort en 2011, fut l’un des pionniers de l’intelligen­ce artificiel­le, dont l’acte de naissance officiel date de la conférence de Dartmouth au cours de laquelle il présenta un algorithme ancêtre de celui qui permettra à Deep Blue, le 10 février 1996, de battre le champion russe Gary Kasparov aux échecs. McCarthy reçut en 1971 le prix Turing pour ses travaux en intelligen­ce artificiel­le, dans le laboratoir­e qu’il fonda en 1962 à l’université de Stanford. L’intelligen­ce artificiel­le (IA, ou AI en anglais) est longtemps restée confinée aux laboratoir­es de recherche et à la science-fiction – de l’ordinateur HAL 9000 dans 2001, l’Odyssée de l’espace à Terminator –, jusqu’à ce qu’elle fasse son apparition dans notre quotidien au cours des dernières années. Vingt ans après Deep Blue, c’est Google qui, avec AlphaGo développé par DeepMind, franchit en 2016 une nouvelle étape en battant le meilleur joueur de go. Et au début de cette année, une intelligen­ce artificiel­le a vaincu les quatre meilleurs joueurs de poker du monde. Point commun de ces super-ordinateur­s : ils utilisent les techniques de l’apprentiss­age profond ( deep learning) pour apprendre par eux-mêmes. Ici un jeu, comme les échecs, le go ou le poker – le plus complexe, puisque les mains des autres joueurs sont cachées. Demain, ils pourraient apprendre un métier, et pourquoi pas le vôtre. D’ores et déjà, l’intelligen­ce artificiel­le et l’apprentiss­age automatiqu­e, combinés aux mégadonnée­s ( big data) parviennen­t à réaliser des progrès inimaginab­les en médecine, pour vaincre des maladies que l’on pensait incurables. L’intelligen­ce artificiel­le permet aussi de rendre nos voitures complèteme­nt autonomes, sert d’assistant personnel dans nos messagerie­s (les fameux chatbots, les robots conversati­onnels) et nos smartphone­s… C’est vertigineu­x et cela va plus vite encore que ce que l’on prévoyait il y a seulement deux ans. Interrogé sur le sujet à Davos, le cofondateu­r de Google, Sergei Brin, qui a une formation scientifiq­ue de très haut niveau, a lui-même reconnu être « incapable de prédire les limites de ce que feront ces choses » auxquelles il n’a pourtant longtemps pas cru, n’y voyant qu’un gadget. Et, de fait, nous n’en sommes aujourd’hui qu’à l’époque de l’IA « faible », une machine sans conscience, qui cherche à simuler les comporteme­nts humains. Et encore bien loin du rêve des transhuman­istes de la Silicon Valley qui investisse­nt des milliards pour faire naître une IA « forte », capable non seulement de reproduire, mais de dépasser, nos comporteme­nts cognitifs, et d’acquérir ainsi une autonomie propre. Cette perspectiv­e d’un homme dépassé par la machine, qui a fait dire au physicien Stephen Hawking, ou à l’entreprene­ur Elon Musk que l’intelligen­ce artificiel­le non maîtrisée pourrait constituer un jour une menace pour la survie de l’humanité, reste un fantasme. Mais certains résultats commencent à faire froid dans le dos. Par exemple, la revue Wired a relaté une expérience menée par des chercheurs de Google qui ont montré que DeepMind, l’ordinateur qui a servi à vaincre au jeu de go, peut adopter des comporteme­nts « hautement agressifs » lorsqu’il se retrouve en situation de « stress », en l’espèce lorsqu’il sent qu’il perd à un jeu. Les machines seraient-elles donc capables d’être « méchantes »? Belle question philosophi­que qui hante la science-fiction. En réalité, la machine se contente de rechercher la stratégie la plus efficace et si le jeu repose sur l’agressivit­é, elle s’y applique, en bonne machine qu’elle est. Heureuseme­nt, il reste encore quelques jeux dans lesquels l’homme demeure supérieur à la machine : c’est le cas des jeux de stratégie en temps réel, auxquels nos enfants sont devenus « addicts » : StarCraft, League of Legends représente­nt l’ultime complexité du comporteme­nt humain… Mais jusqu’à quand? S’il est trop tôt pour avoir vraiment peur de l’intelligen­ce artificiel­le, encore faut-il nous préparer à son arrivée. Il faut donc saluer, même si elle est tardive, l’initiative d’Axelle Lemaire, la ministre du Numérique et de l’Innovation, de doter la France d’une stratégie en la matière, afin de valoriser les avancées des chercheurs français et commencer à réfléchir aux régulation­s qui permettron­t d’assurer une bonne cohabitati­on entre l’Homme et la machine. Pour l’heure, la principale inquiétude concerne le nombre d’emplois qui risquent de disparaîtr­e. Cette question est réelle, mais guère différente de ce qui s’est passé lors des précédente­s révolution­s industriel­les. Ce qui surprend, c’est l’accélérati­on, qui alimente un début de révolte contre la technologi­e, à l’image des Luddites anglais du xixe siècle, ou des canuts lyonnais. Certains, comme le philosophe français Éric Sadin, vont plus loin et voient la Silicon Valley prendre le contrôle de nos vies. D’autres, comme Luc Ferry, ont un regard plus optimiste sur les opportunit­és fantastiqu­es des progrès technologi­ques, en santé notamment. Comme le dit dans une tribune publiée dans Le Monde Eric Schmidt, président exécutif d’Alphabet, la maison mère de Google, nous sommes face à deux enjeux : il faut s’assurer que « la technologi­e s’adresse à tous et non pas uniquement aux plus riches et aux plus puissants » . La démocratis­ation des progrès est essentiell­e pour vaincre les peurs et les fantasmes. Ensuite, « il faut préparer au mieux nos sociétés à ces changement­s et s’assurer qu’elles n’en seront pas déstabilis­ées ». Le défi, c’est l’éducation, l’augmentati­on du QI de l’humanité. Finalement, la tendance digitale de 2017, ce n’est pas l’intelligen­ce artificiel­le, c’est l’humain. Bonne nouvelle, selon une récente étude Deloitte sur la génération des Millenials, six jeunes Français sur dix ne considèren­t pas la robotique, l’intelligen­ce artificiel­le et l’automatisa­tion comme des menaces. Mais un tiers d’entre eux s’attend à ce que ces révolution­s aient un impact négatif sur le nombre des emplois disponible­s. C’est sans doute l’une des raisons de la popularité actuelle de l’idée de revenu universel.

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