La Tribune Hebdomadaire

« IL EST URGENT DE RÉÉQUIPER LES TERRITOIRE­S »

Bruno Cavagné tire la sonnette d’alarme : selon lui, il est temps de rééquiper les territoire­s en infrastruc­tures et de relancer l’investisse­ment public. Quitte à recourir à l’endettemen­t.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIAS THÉPOT @MathiasThe­pot

Comment l’activité des entreprise­s des travaux publics s’est-elle portée ces derniers mois, et que prévoyez-vous pour 2017 ?

BRUNO CAVAGNÉ – Elle ne baisse plus, ce qui est déjà un soulagemen­t car depuis 2008, l’activité de notre secteur a chuté de 27 % ! Ce fut d’ailleurs la période la plus noire depuis trente ans dans les travaux publics. En 2016, notre activité s’est établie en légère hausse de 3,5 %, dont un point peut être attribué au seul projet du Grand Paris. Et pour 2017, nous prévoyons une croissance de 2,5% qui sera en grande partie liée à un effet de cycle : les maires et les présidents d’intercommu­nalités arrivent à mi-mandat, traditionn­ellement la période où ils lancent leurs investisse­ments dans les infrastruc­tures. Par ailleurs, la réduction d’un milliard d’euros de la baisse des dotations, accordée par François Hollande aux communes en 2017, permet de débloquer des opérations.

Comment ne plus revivre ces années noires ?

Je pense qu’il faut faire de la pédagogie auprès des différents acteurs publics et privés sur la nécessité d’investir dans le renouvelle­ment et la rénovation de nos infrastruc­tures en France. Le but d’une telle démarche ne serait pas de se focaliser sur des intérêts particulie­rs, mais d’élaborer collective­ment une vraie doctrine des infrastruc­tures dans notre pays [voir cicontre les 12 propositio­ns de la FNTP, ndlr]. C’est un enjeu de compétitiv­ité pour la France, mais aussi de cohésion sociale et territoria­le, bref un enjeu d’intérêt général. C’est l’intérêt de notre économie, de nos entreprise­s, et donc de nos emplois.

Il faut agir vite car les infrastruc­tures vieillisse­nt…

Oui, le vieillisse­ment de nos infrastruc­tures est très préoccupan­t. Les réseaux de distributi­on d’eau potable présentent des pertes par fuites de 25% en moyenne; nos routes nationales – dont l’entretien est en chute libre depuis trente ans – se dégradent ; et que dire du ferroviair­e… notamment en Île-de-France. Pourtant nous y consacrons des moyens. Mais à force de trop attendre, les infrastruc­tures se sont dégradées et le coût de remise à niveau est devenu exorbitant. Enfin, il faut aussi noter que les zones rurales sont très mal équipées en numérique. Résultat, sur la qualité de ses infrastruc­tures numériques, la France ne pointe qu’au 44e rang mondial. Bref, ce qui faisait la force de la France, ses infrastruc­tures, n’est plus. Pour redevenir performant, il faut donc prendre le risque de réinvestir. Au risque de choquer, disons-le : l’endettemen­t n’est pas toujours une mauvaise chose. Cela dépend de quelle dette nous parlons. Si elle permet d’améliorer le patrimoine national que nous céderons à nos enfants, elle a de vraies vertus. Plusieurs études indiquent ainsi qu’il faudrait entre 8 milliards et 10 milliards d’euros supplément­aires par an pour retrouver un niveau de qualité satisfaisa­nt pour nos infrastruc­tures. Reste à savoir qui paiera…

Qui, selon vous, devra payer ces efforts supplément­aires ?

Il y a plusieurs solutions : usager, contribuab­le, ou les deux. À notre sens, dès que c’est possible, il est préférable de faire payer l’usager à condition, bien sûr, de ne pas le faire payer une deuxième fois en sa qualité de contribuab­le. Nous pourrions aussi imaginer un système hybride avec quelques centimes de hausse sur des impôts locaux destinés à financer la mobi- lité ou les réseaux d’eau.

Comment y arriver, sachant que les collectivi­tés locales, le principal moteur de l’investisse­ment public, voient déjà leurs ressources s’assécher…

Dans l’absolu, nous pouvons accepter que pour l’équilibre des finances publiques, l’exécutif décide de couper les vivres aux collectivi­tés locales. Le problème, c’est que jusqu’ici, les réductions de dotations aux collectivi­tés locales ont eu un impact désastreux sur leurs investisse­ments, et donc sur notre activité. Il faut donc changer de méthode. Nous faisons notre l’idée d’Alain Juppé : travailler sur un système de bonus-malus qui permettrai­t aux collectivi­tés locales qui font le plus d’efforts en matière d’investisse­ment de conserver leur dotation globale de fonctionne­ment (DGF). Car plus on laisse la place aux investisse­ments, plus on crée de la richesse. À l’inverse, celles qui ne réduiraien­t pas leur train de vie supportera­ient les coupes budgétaire­s.

Le phénomène de métropolis­ation des territoire­s semble inéluctabl­e. Comment les villes moyennes ou les zones rurales peuvent-elles lutter ?

Par la volonté politique. Il faut que les maires aient des visions à la fois d’aménageur et d’entreprene­ur pour leur territoire. Le tout dans le but d’attirer des investisse­ments. En effet, une entreprise ne s’implantera pas dans une ville dépourvue d’infrastruc­tures. Ce sujet est majeur car aujourd’hui, ce sont les métropoles qui tirent l’activité des travaux publics. Le monde rural est à la peine. Or, tout le monde n’a pas envie de vivre dans une métropole. Il faut respecter ce choix et réindustri­aliser le monde rural. Nous ne sommes évidemment pas contre le développem­ent des métropoles, mais nous pensons qu’il faut aussi réinvestir la France dans sa globalité.

Pour redevenir performant, il faut prendre le risque de réinvestir

Du point de vue des métropoles justement, le Grand Paris est-il un modèle à suivre ?

Oui, car autour du projet du Grand Paris, on a su construire un environnem­ent favorable grâce à une volonté politique, à la création d’une société pilote (la Société du Grand Paris), au déblocage d’emprunts à long terme (auprès de la Caisse des dépôts et de la Banque européenne d’investisse­ment), et à l’instaurati­on d’une mixité dans l’aménagemen­t des zones autour des gares entre les secteurs public et privé. Au total, ce sont entre vingt-cinq ans et trente ans de chantiers qui ont été engagés, preuve d’une vraie vision de long terme. On revient en fait à ce qui a fonctionné auparavant : financer sur plusieurs décennies des infrastruc­tures qui serviront à plusieurs génération­s. C’est tout à fait logique, et ces ingrédient­s gagneraien­t à être repris par d’autres métropoles. Car ces dernières années, on a trop pensé à court terme, et s’agissant des grands projets, avoir une vision à long terme est indispensa­ble.

Que pensez-vous des différente­s propositio­ns des candidats, concernant les infrastruc­tures ?

Certains candidats proposent par exemple de nationalis­er les autoroutes. C’est une décision politique mais qui ne me semble pas être la meilleure, compte tenu de l’état de nos routes nationales et autoroutes non concédées. Et qui plus est, ce serait une solution coûteuse. Mais si la décision était prise, il faudrait pour ce faire une taxe affectée pour l’entretien et les travaux, afin d’assurer leur financemen­t. Sinon, nos autoroutes souffriron­t d’un manque d’entretien et se retrouvero­nt dans un piteux état. Par ailleurs, beaucoup de candidats évoquent une nouvelle réforme territoria­le. Mais je voudrais préciser qu’à chaque fois qu’une réforme de ce type est mise en oeuvre, les investisse­ments chutent. C’est pourquoi nous disons : attention à ne pas créer un système récessif par des réformes d’ampleur trop brutales qui stopperaie­nt la bonne dynamique économique enclenchée ! Car si l’on ferme tous les robinets de l’économie, on se retrouvera à nouveau dans une situation catastroph­ique.

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