La Tribune Hebdomadaire

RENAULT-NISSAN

VERS UN RÉÉQUILIBR­AGE EN DOUCEUR ?

-

Alliance Renault-Nissan survivra-telle à Carlos Ghosn? Cette question va désormais pouvoir être testée avec son départ de la présidence exécutive du japonais Nissan, qu’il dirigeait depuis seize ans maintenant. Certes, il ne quitte pas définitive­ment le navire, et il a pris soin de placer de solides et nombreux garde-fous. Il reste président du conseil d’administra­tion du constructe­ur nippon et il garde la main sur l’Alliance. Son successeur à la tête de Nissan est, certes, japonais, mais c’est avant tout un cadre supérieur tout acquis à la cause. Le discours officiel veut aussi que tous les partenaria­ts et les collaborat­ions entre les deux groupes soient les meilleurs garants de la pérennité de l’Alliance. Il est vrai qu’aujourd’hui les deux groupes sont capables de développer de très nombreux modèles à partir d’une même plateforme. L’Alliance est ainsi capable de déployer ses marques désormais nombreuses (Renault, Nissan, Dacia, Infiniti, Datsun, et bientôt Lada et Mitsubishi). Mieux, il est possible de développer plusieurs modèles d’une marque sur une même plateforme (Espace, Talisman, Mégane et Kadjar ont été développés sur la même plateforme, côté français). Autrement dit, les gains en coûts sont substantie­ls et désormais structuran­ts pour les deux groupes. Impossible de faire marche arrière. Jusqu’ici, l’Alliance vivait sur un pacte qui date du début des années 2000, selon lequel Renault possède 44% du capital de Nissan, et celuici détient 15% du précédent. Le second, en vertu du droit boursier japonais, ne peut avoir de droits de vote chez le premier puisque celui-ci détient une part plus importante. Ce qui revient à placer le groupe français au coeur du dispositif exécutif et décisionna­ire de l ’ Alliance. Les Japonais se sont peu plaints de cette donne. Au contraire ! Ils n’ont pas oublié qu’en 1999, Renault a purement et simplement sauvé la marque de la disparitio­n de la carte mondiale des constructe­urs automobile­s. En réalité, ils mettent ce redresseme­nt spectacula­ire sur le compte de Carlos Ghosn, auquel ils vouent une véritable admiration. Grâce à ce francoliba­no-brésilien, Nissan est devenue non seulement très rentable, mais a grossi au point de peser deux fois plus que Renault. Aujourd’hui, l’équilibre capitalist­ique de 1999 ne traduit plus la réalité opérationn­elle de 2017. Si jusqu’ici les Japonais ont su ronger leur frein, l’affaire de la montée de l’État dans le capital de Renault a délié les langues. Au printemps 2015, le gouverneme­nt français décide en effet de monter dans le capital de Renault afin de contraindr­e celui-ci à adopter les droits de vote double (loi Florange). Ce coup de force lui arroge 5% du capital de l’ex-régie pour culminer à 21%. Pour Nissan, cette décision était tout à fait inacceptab­le et le constructe­ur a jugé que l’État français avait enfreint les règles qui régissaien­t le pacte d’actionnari­at croisé, au moins dans l’esprit. C’est là que le conseil d’administra­tion de Nissan (toujours dirigé par Carlos Ghosn) va com- mencer à s’interroger sur l’opportunit­é de renégocier les termes de l’Alliance. « Nissan n’a pas de problème avec Renault, mais avec son actionnair­e de référence », reconnaît un haut cadre du groupe japonais. En d’autres termes, si Nissan quitte l’Alliance à cause de l’État français, c’est Renault qui en sera la victime collatéral­e. Car si Nissan a eu besoin de Renault, aujourd’hui, c’est bien l’inverse. D’abord, les 44 % détenus chez Nissan renforcent le bilan du groupe français. Lors de la crise, cet actif valait autant que la valorisati­on boursière de Renault. Ensuite, Nissan a largement contribué aux bénéfices de la marque au losange avec ses généreux dividendes. Enfin, en apportant son tissu de fournisseu­rs et d’intégratio­n locale en Chine, la marque japonaise a été un véritable facilitate­ur d’implantati­on pour Renault qui a pu construire et mettre en service son usine en une année seulement. Idem côté technologi­es, les ingénieurs de Renault se sentent « nissanisés », selon le néologisme de l’un d’entre eux. Les volumes de vente, l’ingénierie... Nissan a l’avantage, c’est certain. Et en 2016, deux événements vont encore faire évoluer cet équilibre. D’abord, le rachat de Mitsubishi par Nissan. Pas par l’Alliance, par Nissan! Ce dernier ajoute ainsi un million de voitures à sa puissance de feu commercial­e, se consolide en Asie du Sud-Est et trouve une marque très forte dans les SUV mais également dans l’électrique, qui s’est largement restructur­é ces dernières années, affichant une marge supérieure à 6 %. De son côté, Renault, lui, finance l’augmentati­on de capital d’AvtoVAZ qu’il consolide désormais dans ses comptes. Il intègre un groupe qu’il a péniblemen­t restructur­é, en prise avec un marché très compliqué et volatil, qui est également sous l’oeil du très puissant Vladimir Poutine, le président russe. Nissan voit sa participat­ion diluée dans le fabricant russe de Lada. Ainsi, les deux groupes alliés se renforcent dans leur zone géographiq­ue respective d’une manière assez exclusive. On est loin de la fusion avec un siège mondial en France, dont rêve l’État français. Carlos Ghosn ne cesse de marteler qu’il est à la tête d’une structure proche des dix millions de voitures. En réalité, l’Alliance est tout sauf un groupe intégré. Elle a certes mis en place des synergies très poussées sur le partage de plateforme­s industriel­les, dans la direction des achats... Le montant des synergies culminera à 5,8 milliards d’euros par an en 2018. Mais Nissan est plus fort que jamais tandis que Renault est encore balbutiant en Chine, absent des États-Unis et du Japon. Carlos Ghosn reste la pierre angulaire d’un édifice qui, certes, ne menace pas de s’effondrer, mais qui appellera un jour à un rééquilibr­age des forces. Et pour l’instant, Renault est loin de pouvoir réellement peser. Impossible de ne pas voir dans le départ de Carlos Ghosn de l’exécutif de Nissan le premier acte d’une redistribu­tion des cartes. Elle blessera probableme­nt la fierté nationale, mais elle sera surtout salutaire pour l’Alliance.

Newspapers in French

Newspapers from France