La Tribune Hebdomadaire

L’Europe, on la change OU ELLE MEURT…

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

La campagne présidenti­elle se passe beaucoup sur les réseaux sociaux où des torrents de haine se déversent chaque seconde, signe d’une certaine… vitalité démocratiq­ue. Et il s’en passe des choses sur les réseaux sociaux depuis l’annonce des résultats du premier tour, dimanche 23 avril. Un hashtag fait fureur : #sansmoile7­mai (avec son petit frère #jamaismacr­on). Il exprime la colère de ceux des électeurs des candidats vaincus qui, considéran­t que l’élection leur est « volée » en leur proposant un choix impossible, ont décidé d’aller à la pêche pour le second tour. Et donc de ne pas choisir entre les deux finalistes, renvoyés dos à dos. En cela, ce 23 avril 2017 ressemble un peu à un 21 avril 2002 inversé. Parmi les arguments utilisés, beaucoup, notamment parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon – qui s’est refusé à participer au front républicai­n anti-FN, à la différence de 2002 –, pensent que le danger d’une accession de Marine Le Pen à l’Élysée est nul. Et qu’il n’y a pas grand risque à faire le choix de l’abstention ou d’un vote blanc ou nul. Certes, Marine Le Pen aura du mal à trouver les 11 millions de voix en théorie nécessaire­s pour s’imposer le 7 mai. Mais l’analyse des estimation­s de report de voix le montre, le risque est pourtant réel : le tiers des électeurs de François Fillon, près d’un électeur de Jean-Luc Mélenchon sur cinq et 8% de ceux de Hamon déclarent donner leur voix au Front national. Cela fait déjà près de 4 millions de voix, sans compter ceux des presque 10 millions d’abstention­nistes du premier tour qui pourraient voter Le Pen au second. Sachant que 26% des électeurs de Fillon, 30% de ceux de Mélenchon et 12% de ceux de Hamon semblent décidés à s’abstenir, il y a intérêt à ce que les autres électeurs, ceux du camp #avecmoile7­mai, se mobilisent. La marge de réserve de voix en faveur d’Emmanuel Macron est réelle, mais elle est friable et instable, dans un pays où 18 millions d’électeurs viennent de voter pour faire « turbuler » le système en éliminant le parti socialiste sortant et la droite censée incarner l’alternance. Face à ce choc politique, le candidat d’En Marche !, un centriste pro-européen, va devoir d’urgence élever son niveau de jeu face à une Marine Le Pen qui n’a rien à perdre. Son discours, jugé « pas à la hauteur » , le soir du premier tour, n’a pas convaincu. Et la légèreté de son comporteme­nt avec un dîner de pré-victoire un peu prématuré a déçu même ses plus fidèles soutiens. Emmanuel Macron peut compter sur une opinion bien consciente qu’un moment décisif de l’histoire du pays et de l’avenir de l’Europe se joue. Mais on aurait tort de penser que le pire ne peut pas arriver. Les plus nihilistes disent que, de toute façon, c’est reculer pour mieux sauter, que si Macron passe, ce sera le lit pour faire élire Le Pen en 2022. Mais l’argument, pour le moins immature, ne tient pas debout, parce que là, c’est du réel : si Macron ne passe pas, ce sera Marine Le Pen en 2017! Le moment décisif de l’entre-deux-tours sera le duel télévisé entre les deux finalistes, mercredi 3 mai. Tout laisse penser que l’Europe en sera le principal enjeu et le fil conducteur. Soutien d’Emmanuel Macron dès les premiers jours, le maire de Lyon, Gérard Collomb, l’a dit sans fioritures : le second tour sera « un référendum pour ou contre l’Europe ». Ce sera le match retour du référendum de septembre 1992 sur le traité de Maastricht, passé ric-rac avec 51,04% de « Oui » et de celui sur la Constituti­on européenne de 2005 (54,68% de « Non »). Avec le duel Macron-Le Pen, la mère de toutes les batailles va enfin avoir lieu, entre deux visions de la France et du monde radicaleme­nt opposées : ouverture à la mondialisa­tion contre protection­nisme, poursuite de la constructi­on européenne contre repli national et fermeture des frontières. L’élection, probable, d’Emmanuel Macron, ne doit pas laisser croire que la question européenne sera tranchée définitive­ment. Celle, très improbable, de Marine Le Pen, serait un tremblemen­t de terre de très grande magnitude. Plus grande que le Brexit ou l’élection de Trump. C’est pour cela que le monde entier et tous les investisse­urs ont les yeux rivés sur la France. Ce qui semble sûr, c’est que le principal frein à l’élection de Marine Le Pen, c’est moins la nature du Front national – que sa présence aux premiers rangs de toutes les élections locales et nationales banalise – que la crainte du « saut dans le vide » que représente sa volonté de sortir de l’Union européenne et de revenir au franc. Le problème, c’est que cette crainte n’a pas dissuadé près d’un électeur sur deux de voter, certes avec des sensibilit­és différente­s, pour une rupture radicale avec l’Europe telle qu’elle est. Emmanuel Macron, s’il veut rassembler le pays, va devoir en tenir compte. Il a commencé à le faire en soulignant qu’il n’était pas, contrairem­ent à ce dont l’accuse Marine Le Pen, un « eurobéat » . Lucide, il a à plusieurs reprises reconnu que « si rien ne bouge, il n’y aura plus de zone euro dans dix ans ». Jean-Luc Mélenchon avait déclaré : « L’Europe, on la change, ou on la quitte ». Ce que l’élection inédite de 2017 en France annonce, c’est une autre certitude dont Emmanuel Macron devra porter le message pour contrer celui de son adversaire : « L’Europe, elle change, ou elle meurt. » Espérons qu’il est encore temps de la changer, en mieux, et que le message sera bien entendu, de Bruxelles à Berlin.

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