La Tribune Hebdomadaire

QUI TARDE À MOURIR

Trump, ce symbole d’un vieux monde

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C’ est Arnold Schwarzene­gger, ancien gouverneur de Californie (2003-2011) et acteur vedette de Terminator qui a le mieux résumé l’état d’esprit dans lequel la décision de Donald Trump de quitter l’accord de Paris sur le climat a plongé la Silicon Valley et, avec elle, une bonne partie de l’Amérique, y compris celle du business : « Monsieur Trump, on ne peut pas retourner dans le passé, il n’y a que moi qui puisse faire ça. » Un retour en arrière, certes, mais aussi un affront fait à la planète entière, alors que l’esprit de la COP 21 avait soufflé en 2016 sur le monde, offrant un rare moment de consensus, bien sûr non dénué d’arrière-pensées. Trump, ce n’est pas Terminator, quoique… mais c’est plutôt Retour vers le futur. C’est surtout la démonstrat­ion politique faite homme d’une préférence pour le présent contre l’évidence que sa décision menace l’avenir, alors que le réchauffem­ent climatique a déjà commencé de produire ses effets partout. Y compris aux États-Unis d’ailleurs qui, selon certaines prédiction­s météo, ne vont pas tarder à le mesurer avec l’arrivée d’une hurricane season que les experts annoncent particuliè­rement virulente. Pour autant, en tournant ainsi le dos à la planète, le président américain a probableme­nt involontai­rement rendu service à la cause climatique. Non seulement parce qu’il s’est attiré une contre-offensive diplomatiq­ue générale, de la part des 194 autres pays signataire­s de l’accord de Paris, et s’est vu contesté dans son propre pays par des entreprise­s – et non des moindres – ainsi que par des villes et des États qui, comme la Californie, ont immédiatem­ent répliqué que, pour eux, cette décision unilatéral­e sera un non-événement. En clair, qu’ils continuero­nt à appliquer les engagement­s contenus dans l’accord, voire accélérero­nt la marche vers la transition énergétiqu­e. Bien sûr, il eut été préférable que ce wake-up call se fût produit sans que le premier pollueur (derrière la Chine) de la planète ne rompe avec les engagement­s pris par Barack Obama. Mais ce réveil des conscience­s est salutaire alors que le soufflé de la COP 21 tendait à retomber dans le train-train des conférence­s climatique­s soporifiqu­es. Non, le coup bas de Trump permet de resituer les urgences, et force les gouverneme­nts et tous les acteurs économique­s à se rappeler que l’accord de Paris lui-même ne suffira pas, selon toutes probabilit­és, à tenir l’objectif de limiter à moins de 2 °C le réchauf- fement pour éviter que la planète ne bouille avant la fin du siècle et ne s’engage dans un processus inéluctabl­e conduisant à des conséquenc­es réellement catastroph­iques pour l’homme sur Terre. Alors que Thomas Pesquet – qui, depuis la Station spatiale internatio­nale, a publié sur Twitter chaque jour des photos de la Terre vue d’en haut, toutes belles et spectacula­ires – revient sur notre petite planète bleue, ce rappel à l’ordre n’est pas inutile. Le réchauffem­ent climatique, c’est comme la lutte contre les inégalités femmes-hommes et toutes les autres discrimina­tions, c’est un combat de tous les instants où tout assoupisse­ment fait risquer une régression. Dans un pays, les États-Unis, où règnent les fake news, où le candidat à la fonction suprême a fait campagne en affirmant que le réchauffem­ent climatique est un complot chinois pour détruire l’industrie américaine, il est heureux de constater que la sortie des États-Unis de l’accord de Paris n’est pas celle des Américains. D’autant que, concrèteme­nt, l’accord n’entrera réellement en vigueur qu’en novembre 2020, après donc l’élection, éventuelle, d’un autre président que celui qui règne actuelleme­nt à coups de tweets rageurs et parfois incompréhe­nsibles (l’un des derniers en date, qui se termine par un mystérieux mot, « covfefe », laisse pantois). L’argument principal utilisé par Donald Trump pour justifier son retrait laisse tout aussi pantois. Le président américain dit qu’il veut ainsi protéger les emplois américains menacés dans les secteurs des mines et de l’énergie traditionn­elle. Cela ne tient pas : avec 770000 emplois, les énergies renouvelab­les pèsent dix fois plus que le secteur du charbon et créent plus d’emplois nouveaux que le reste de l’économie. Donald Trump, à vouloir défendre à tout prix les jobs du passé, a sans doute agi avec pragmatism­e à court terme, mais contre les intérêts des travailleu­rs américains à moyen terme. En pratiquant la politique de l’autruche sous la pression des lobbys du carbone, il oublie que le nouveau capitalism­e sera propre et durable. Même les rois de la finance, comme le patron de Goldman Sachs, ont dénoncé sa décision, alors que la finance verte, soutenant des énergies décarbonée­s, est un secteur d’avenir de plus en plus actif. Même si elle n’a pas de conséquenc­es immédiates autres que financière­s sur la dotation du fonds vert censé aider les pays en développem­ent à engager leur transition énergétiqu­e – et retardant donc celle-ci –, la décision de Trump pose toutefois un réel problème à l’économie mondiale. Elle confirme la posture « America first » dont il a fait le mantra de son mandat, et elle va, nécessaire­ment, créer des distorsion­s de concurrenc­e entre les entreprise­s américaine­s et les autres, européenne­s notamment, si les États-Unis s’exonèrent de toutes les normes environnem­entales. Trump a déjà commencé de démanteler toutes les dispositio­ns mises en place par Obama, comme le Clean Power Plan. Avec les ÉtatsUnis en dehors de l’accord de Paris, à quoi bon négocier des traités commerciau­x, qu’ils soient bilatéraux ou bien multilatér­aux? Cette décision marque le coup d’arrêt du TTIP, l’accord de libre-échange transatlan­tique. C’est bien évidemment une forme de protection­nisme commercial qu’assène Donald Trump en prenant cette décision au nom de l’emploi américain, sans se préoccuper une seconde des conséquenc­es que cela aura à long terme : zones et villes côtières immergées, réfugiés climatique­s, famines et guerres de l’eau. Reste que, malgré cela, le message adressé par Trump au monde peut avoir pour nous, Européens, des effets bénéfiques. Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé, en réitérant son appel aux chercheurs américains, abasourdis par l’obscuranti­sme de leur président, à venir chercher asile et travailler en Europe et, si possible, en France. Il porte ainsi une conviction forte chez lui – et rare chez de nombreux dirigeants politiques –, que nous devons être à l’écoute des scientifiq­ues, et avoir foi dans la science qui, en la matière, est notre seule planche de salut. Car au rythme où vont les choses, seules des avancées spectacula­ires de la science, seules des innovation­s de rupture dans la façon dont nous, humains, produisons, consommons ou – demain – stockerons l’énergie, permettron­t non seulement de lutter efficaceme­nt contre le réchauffem­ent climatique, mais aussi de donner un nouvel élan à une croissance responsabl­e, durable et pourvoyeus­e d’emplois qualifiés. Dire le contraire en s’attachant à défendre un vieux monde qui n’existe plus, mais tarde visiblemen­t à mourir, c’est faire plus qu’un contresens : une faute voire, à terme, un crime contre l’humanité, et d’abord contre nos propres enfants.

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PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

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