La Tribune Hebdomadaire

MACRON, Jupiter ou Mercure ?

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Quelques chiffres donnent la mesure de la réalité, au moins apparente, du renouvelle­ment de la vie politique qu’illustre le dernier acte de la longue séquence qui nous a occupés depuis un an. Dans l’Assemblée nationale qui vient d’être élue et va siéger cet été, les trois quarts des entrants sont de nouveaux députés (400 sur 577). Cette assemblée compte 224 femmes, un record qui prouve que le combat pour la mixité vaut la peine d’être mené. Sa moyenne d’âge baisse de 5 ans, à 48 ans. Et 46 députés, soit le double de la précédente législatur­e, ont pour caractéris­tique d’avoir une expérience de dirigeant d’entreprise. Il y a donc bien eu, dans ce printemps électoral, une modernisat­ion, un rajeunisse­ment et un approfondi­ssement de la représenta­tivité du parlement français, avec l’arrivée de candidats certes novices (quoique beaucoup aussi ont une expérience politique, le plus souvent au PS ou au Modem), mais issus du terrain et de la société civile. Que peut produire ce nouvel « alliage », pour paraphrase­r le processus théorisé par Emmanuel Macron pour décrire la nécessaire transition entre le neuf et l’ancien qui caractéris­e les périodes « révolution­naires » ? Beaucoup de sceptiques diront : rien du tout, tout cela n’est que de la communicat­ion, hypermaîtr­isée, de la part du nouveau centre radical intitulé La République en marche, doté d’une majorité solide : 308 sièges, ce qui lui permettra de diriger le pays sans avoir à nouer d’alliances, même si l’on sait que le Modem (42 sièges) et une partie de la droite (celle qui soutient Macron) voteront les réformes à venir… Enfin, sauf accident politique ou divisions au sein de la nouvelle majorité, appelée à soutenir un programme aux flous savamment entretenus. Dans les faits, pourtant, cela change beaucoup de choses. Avec l’arrivée d’une nouvelle génération politique au pouvoir, à la fois au sein de l’exécutif et au parlement, la France entre dans une nouvelle époque. Elle sera moins ENA et plus Essec ou HEC, plus orientée business et, on peut l’espérer, plus proche des préoc- cupations concrètes des gens. Certes, les nouveaux députés ne sont pas rompus au travail parlementa­ire, mais cela s’apprend vite et le principal danger, pour les nouveaux venus du monde de l’entreprise, est plutôt qu’ils ne finissent par s’ennuyer ou se lasser de la lenteur du calendrier législatif. Cela change tout, car le nouveau président de la République est arrivé au pouvoir avec une réelle volonté de transforma­tion et de transgress­ion. Cette volonté devra, à un moment ou un autre, se traduire dans la loi, ou les lois. Emmanuel Macron a ainsi lui-même présenté sa présidence sous les auspices de Jupiter, le dieu des dieux du Panthéon romain, pour redonner du lustre à la statue élimée du Commandeur de l’Élysée. Et de fait, on voit bien déjà les changement­s dans la façon dont le chef de l’État a pris ses distances avec la pollution de la vie médiatique, imposant une vraie différence avec ses prédécesse­urs. Mais pour porter ses réformes, alors que le taux élevé d’abstention aux législativ­es a montré qu’elles ne font pas l’objet d’un large plébiscite populaire, le président aura besoin de relais dans l’opinion. Ce sera le défi de ses ministres et des parlementa­ires que de défendre les textes à venir, à commencer par les ordonnance­s sur le marché du travail et la réforme de l’assurance-chômage. La partie s’annonce ardue alors qu’entrent aussi à l’Assemblée des ténors qui ne manqueront pas de s’opposer à la toute-puissance de la République en marche. Avec Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin à gauche de la gauche et un groupe parlementa­ire France Insoumise, plus Marine Le Pen et ses huit élus FN à l’extrême-droite, les séances télévisées des débats à l’Assemblée nationale vont de nouveau faire de l’audience… Et c’est d’ailleurs très sain pour le débat démocratiq­ue. Crédité d’une majorité écrasante, La République en marche ne dispose que d’une avance confortabl­e pour permettre au gouverneme­nt de conduire le pays, mais sans étouffer les opposition­s. « Jupitérien » à l’Élysée, il faudra donc qu’Emmanuel Macron soit aussi « mercurien » au parlement et dans sa communicat­ion avec l’opinion. Mercure, dieu du commerce et messager des dieux, avec ses sandales ailées, voilà un rôle qui siéra tout aussi bien au président lorsqu’il lui faudra descendre dans l’arène et convaincre. Car Emmanuel Macron est aussi un messager, ou plutôt un passeur entre deux mondes, celui, ancien, qui tarde à mourir et celui, nouveau, qui tarde à émerger. Il ne fait pas de doute que la France est à l’aube d’une transition majeure : c’est vrai de son économie qui mute vers les industries du futur, le numérique – Emmanuel Macron veut encourager cette « startup nation » –, avec de nombreuses interrogat­ions à la clef sur l’évolution du travail, mais aussi de sa société qui refuse avec violence les pouvoirs trop verticaux et réclame un nouveau mode de gouvernanc­e, plus collaborat­if et participat­if. Pour achever sa révolution, Emmanuel Macron va devoir rénover, comme il l’a promis, les institutio­ns et la démocratie, en donnant des pouvoirs à l’opposition, par exemple le contrôle et l’évaluation du budget et des lois, en rénovant le travail parlementa­ire pour qu’il devienne plus agile et apprenne que désormais, il faut rendre des comptes. Y compris sur son passé, comme l’ont appris à leurs dépens deux ministres du premier gouverneme­nt : Richard Ferrand sur ses affaires immobilièr­es, et Sylvie Goulard sur les affaires du Modem, n’ont pas pu se maintenir dans un gouverneme­nt qui promet de « moraliser la vie politique » (ou plus exactement de « restaurer la confiance dans la vie publique » ). Emmanuel Macron-Jupiter vient ainsi de vivre sa première mini-crise politique. Compte tenu de l’ampleur du renouvelle­ment souhaité par les Français qui l’ont exprimé par un « dégagisme » généralisé, ce n’est sans doute pas la dernière du quinquenna­t…

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France