VIADEO CIBLE LA FRANCE
POUR SE REFAIRE UNE SANTÉ FACE À LINKEDIN
Opération de la dernière chance pour Viadeo. Six mois après son rachat, pour 1,5 million d’euros à peine, par Figaro Classifieds (filiale du groupe Figaro CCM Benchmark, qui détient le célèbre quotidien), le réseau social professionnel réalise un grand pivot stratégique, présenté le 8 juin par ses repreneurs. Au menu : une simplification du service en s’inspirant du meilleur de son concurrent LinkedIn et, surtout, un recentrage logique sur la France, le seul pays où Viadeo dégageait des bénéfices au temps de sa grandeur. « Le nouveau Viadeo va arrêter de se prendre pour une licorne et se concentrer sur son vrai marché, la France », résume Thibaut Gemignani, le directeur général de Figaro Classifieds, qui a redéfini la stratégie de Viadeo depuis la reprise. Fini la course avec LinkedIn, racheté par Microsoft en juin 2016 pour 26 milliards de dollars. Terminées, les grandes ambitions internationales – notamment chinoises – qui avaient précipité la chute de la précédente équipe. Le Viadeo 2.0 sera plus modeste en se concentrant uniquement sur la France, son principal marché avec 7,5 millions d’utilisateurs. Une stratégie qui fonctionne très bien en Allemagne pour Xing, créé en 2003, un an avant Viadeo, qui a toujours choisi de ne pas s’étendre pour devenir incontournable chez lui. « Il faut réveiller Viadeo en améliorant la qualité du service et l’engagement de nos utilisateurs », estime Thibaut Gemignani. Il y a du pain sur la planche. Seuls 10% à 15% des utilisateurs sont actifs tous les mois, contre 20% pour LinkedIn. Les profils incomplets et les faux pullulent, à l’image de la vingtaine de profils « Catherine Deneuve » qui coexistent sur le site. « Viadeo a un problème d’image et de qualité », reconnaît Pascal Lasserre, le directeur général adjoint de Figaro Classifieds. Pour repartir du bon pied, la nouvelle équipe a pris le temps, au premier trimestre 2017, d’écouter ses utilisateurs. Et surtout leurs critiques. « C’est has been », « pas pertinent », « trop de spam », « mon réseau n’y est pas », « il faut changer la marque », « je n’y vais jamais » faisaient partie des observations les plus courantes. Les seules qualités qui sont ressorties de l’enquête louaient l’existence du « seul réseau social français », la notoriété de la marque, sa force en région (Viadeo y revendique deux tiers de ses membres et une meilleure implantation que LinkedIn) et le besoin, pour certains, d’une alternative à LinkedIn, peu réputé pour son service client auprès des entreprises qui y postent des offres.
DAVANTAGE DE GRATUITÉ, DE CONTENUS ET D’OFFRES
Pas faciles à entendre, les critiques ont néanmoins permis à la nouvelle équipe d’élaborer une stratégie de reconquête axée sur la correction des faiblesses et le renforcement des points forts. L’investissement se chiffre à environ 5 millions d’euros sur l’année 2017. Ainsi, Thibaut Gemignani et Pascal Lasserre ont identifié trois piliers : un pack gratuit plus avantageux, des offres d’emploi plus pertinentes et localisées pour renforcer l’implantation régionale, et l’arrivée de contenus écrits par des spécialistes pour créer une communauté et entretenir le réseau. Pour encourager les utilisateurs à s’impliquer davantage, le nouveau Viadeo s’inspire sans complexe de LinkedIn. À partir du quatrième trimestre, l’offre Membre, gratuite, sera plus généreuse que l’ancienne en calquant ce qui se fait sur LinkedIn. L’offre Membre Smart, également gratuite, permettra aux utilisateurs qui présentent un profil complet et à jour de bénéficier d’une extension de fonctionnalités (cinq messages par mois envoyés à des personnes hors de son réseau, la possibilité de voir qui a consulté son profil). Enfin, l’offre Premium, harmonisée à 9,90 euros par mois, permettra de bénéficier de toutes les fonctionnalités du site, ainsi qu’un abonnement premium à certains titres de presse, notamment ceux du groupe Figaro. Évidemment, Viadeo va tenter de tirer profit de son appartenance au groupe Figaro CCM Benchmark, leader de l’information sur Internet, et de Figaro Classifieds, site numéro un de l’emploi privé en France avec les sites Cadremploi, Keljob, CVaden, Choose Your Boss, Kelformation ou Campus-Channel. Cette « complémentarité » permettra à l’utilisateur, dès la fin de l’année, de se connecter à un site d’emploi du groupe via Viadeo. Le partage des données – relocalisé en France – et
Reste à redonner le réflexe Viadeo
l’intégration d’intelligence artificielle dans l’algorithme de présentation des offres permettront de mieux les personnaliser. Pour garantir l’aspect quantitatif, les 35000 offres déjà présentes sur Viadeo – dont une partie provient de l’Association de l’emploi des cadres (Apec) – seront couplées avec les 50000 annonces disponibles sur les autres sites d’emplois du groupe. Les investissements technologiques serviront aussi à améliorer l’algorithme de recommandation des membres pour faciliter les mises en relation avec « les gens que vous devriez connaître ». Reste à « redonner le réflexe Viadeo » . Pour cela, l’équipe va se livrer à une « opération assainissement » de la base d’utilisateurs : les doublons, faux profils et spammeurs seront supprimés, quitte à faire baisser le nombre officiel d’utilisateurs. Des outils de vérification d’identité seront – enfin – mis en place pour les nouvelles inscriptions, et le site va réinstaller des boutons de partage sur les sites des médias du groupe Figaro CCM Benchmark ( Le Figaro, Journal du Net, L’Internaute, Comment ça marche, le Journal des femmes…) pour toucher une partie de son énorme audience, qui représente trois internautes sur quatre en France.
JOUER SUR L’ESPRIT « COCORICO »
Contrairement à l’« ancien Viadeo », qui courait plusieurs lièvres à la fois partout dans le monde, le « nouveau Viadeo » veut développer l’engagement des utilisateurs en France en créant un esprit de communauté. La nouvelle équipe compte améliorer, d’ici à la fin de l’année, le système de notation et les pages consacrées aux entreprises. « À notre arrivée, nous nous sommes rendu compte que Viadeo disposait d’un trésor inexploité : 130000 pages entreprises et 5 millions d’avis de notation », raconte Thibaut Gemignani, qui y voit notamment l’occasion d’attirer davantage de Millennials sur la plateforme. Au final, le pivot stratégique de Viadeo est radical. « Nous étions “global” et recherchions la quantité, nous voulons devenir français, local et privilégier la qualité », résume l’entrepreneur. Pour s’en donner les moyens, Thibaut Gemignani n’hésite pas à jouer la carte patriotique. Un courrier a été envoyé dès la mi-mai au nouveau président, Emmanuel Macron, au Premier ministre Édouard Philippe, à la ministre du Travail Muriel Pénicaud, et au secrétaire d’État au Numérique Mounir Mahjoubi. Seul ce dernier a répondu – par un message privé sur Twitter –, acceptant un rendezvous pour discuter de « la place des acteurs privés de l’emploi en France ». Car Viadeo ne veut pas seulement se renforcer dans l’Hexagone pour contenir les ambitions de LinkedIn et, demain, celles de Google et de Facebook, qui se lancent sur le marché juteux de la mise en relation professionnelle. Le réseau français veut travailler main dans la main avec les acteurs publics de l’emploi, à commencer par Pôle Emploi, l’Apec ou encore la French Tech. « Avec autant de chômeurs, le public et le privé devraient unir leurs forces », milite Thibaut Gemignani. Le rapatriement de l’hébergement des données de Viadeo en France, prévu avant la fin de l’année, va dans ce sens. Un bilan de la nouvelle stratégie sera tiré en décembre. Viadeo attend un chiffre d’affaires modeste de 10 millions d’euros en 2017, et espère redécoller pour de bon en 2018. Si cela ne fonctionne pas? Figaro Classifieds aura au moins mis la main sur un trésor : les données des membres de Viadeo.
Nous étions “global” et recherchions la quantité, nous voulons devenir local et privilégier la qualité