Les Jeux sont faits,
le Grand Paris pas encore…
Pas de place pour les « grincheux »: plus de 8 Français sur 10 sont favorables aux Jeux olympiques dont Paris vient d’obtenir l’organisation pour 2024, dans une rare, mais pas inédite, double attribution qui a conduit Los Angeles, la dernière ville concurrente après les désistements de Budapest, Boston et Rome, à opter pour 2028. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, dit l’adage. Mais c’est faire peu de cas de la qualité de la candidature de Paris qui, pour sa quatrième tentative, après les échecs de 1998, 2008 et surtout, le plus cuisant, celui de 2012, a réussi à pousser la plupart de ses concurrentes à jeter l’éponge, principalement en raison du coût que représente l’organisation d’un tel évènement mondial. D’ailleurs, si Los Angeles a choisi de se reporter sur 2028, ce n’est pas seulement pour obtenir une rallonge budgétaire du CIO, et faire un « bon deal » , comme l’a dit son maire… C’est aussi parce que LA sentait bien que Paris allait gagner cette fois. Ces JO de 2024, pour Paris et les autres villes organisatrices, notamment Marseille, et pour la France, c’est une chance extraordinaire de se projeter dans l’avenir, de remobiliser un pays aujourd’hui encalminé par ses divisions, mais qui peut, en se fixant ainsi une perspective, retrouver l’occasion de se dépasser, l’essence même du sport. Sept ans, c’est à la fois très court, pour réaliser les travaux nécessaires, et suffisamment long pour espérer que la France aura réussi à redresser son économie, ce à quoi les JO peuvent contribuer. Ce sera une formidable carte à jouer pour le premier pays touristique du monde, un spot publicitaire géant pour une nation dont Emmanuel Macron dit, dans sa récente interview au Point, qu’elle a vocation à rester une « grande puissance » , économique et politique. Quoi de mieux donc pour rassembler les énergies, au nom de la devise de l’olympisme : citius, altius, fortius (plus vite, plus haut, plus fort). Tout ceci est bel et bon mais sans vouloir gâcher la fête, les défis qui attendent le Cojo, le comité d’organisation des JO, que présidera Tony Estanguet, sont immenses car il ne faudra pas décevoir. Certes, Paris a gagné aussi parce qu’avec 95 % des équipements existants, le budget de ces Jeux de 2024 est raisonnable : 6,6 milliards d’euros, dont 3 milliards pour les rares investissements annoncés: le village et la piscine olympique en Seine-Saint-Denis. Mais le pari de la crédibilité et donc de l’adhésion des citoyens contribuables est encore à gagner. Pour l’instant, la part du financement public dévolu à l’État et aux collectivités locales ne dépasse pas 1,5 milliard. Nul ne sait s’il sera dépassé mais on peut se douter que les coûts liés à la sécurité, dans un contexte encore imprévisible en matière de menace terroriste, ont été sous-estimés. À Londres en 2012, ils ont été de plus de 1 milliard d’euros. Bien sûr, la sécurité n’a pas de prix, et l’expérience de la Coupe du monde de football a prouvé que la France savait accueillir un événement sportif d’envergure internationale malgré l’état d’urgence. Mais le passé a aussi montré que le vrai coût des JO a toujours été sous-estimé. Sans s’attendre à une multiplication par dix comme à Pékin ou à une catastrophe financière similaire à celles d’Athènes ou Montréal, la question du financement des infrastructures induites par l’accueil des Jeux olympiques reste une inconnue. Impossible, en effet, de ne pas faire le lien entre les JO et l’accélération de la réalisation du futur « métro » du Grand Paris Express. Depuis Lima, il est évident qu’il y a désormais une obligation de résultat pour livrer ce grand chantier, l’un des plus importants au monde, à temps pour 2024. Or, c’est là la petite carabistouille de ces JO, même si le chantier du Grand Paris n’est pas directement lié aux JO – il a été lancé en 2010 sous Sarkozy –, sa promesse de réalisation a été l’un des principaux atouts de la candidature parisienne, notamment pour moderniser la liaison avec les aéroports, aujourd’hui indigente. Pour la Société du Grand Paris (SGP), la livraison dans les délais au moins des lignes 15 et 16, voire 17, ainsi que le prolongement de la ligne 14, sont une ardente obligation. Dans les délais, peut-être, mais aux mêmes coûts, c’est moins certain. Selon de récentes informations, ce chantier du siècle pourrait bien coûter plus cher que prévu. Le dernier chiffrage de la SGP début 2017 était de 25,7 milliards d’euros mais la lettre professionnelle Mobilettre évoque un dépassement à 35 milliards d’euros. Bref, le relatif consensus actuel sur le financement des JO pourrait bien exploser en vol si le grand public fait le lien entre JO de 2024 et financement du Grand Paris Express. Le sujet est tellement inflammable qu’Emmanuel Macron va s’en mêler : le 23 octobre, tous les acteurs concernés, de la SGP aux groupes de BTP en passant par les élus de la Ville de Paris, de la métropole, et de la Région Île-de-France seront suspendus au discours que doit prononcer le chef de l’Etat lors de la conférence territoriale de l’Île-deFrance. On murmure qu’Emmanuel Macron a bien l’intention d’imposer une gouvernance plus politique sur le Grand Paris et pourrait faire des annonces fortes concernant tant le périmètre de la métropole du Grand Paris – on évoque la suppression des départements de petite couronne – que le chantier du Grand Paris Express… Des arbitrages élyséens qui ne feront pas plaisir à tout le monde… en particulier à la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui, après avoir été sceptique sur l’opportunité financière de postuler aux JO, puis s’y être ralliée sous la pression de François Hollande, peut craindre de voir le contribuable parisien être appelé à mettre la main au portefeuille, au risque d’y voir entamer sa popularité. Les Jeux sont faits, mais pour le Grand Paris, tout commence…