La Tribune Hebdomadaire

50 ANS APRÈS, UN NOUVEAU MAI 68 ?

L’associatio­n Entreprise & Personnel souligne la profonde mutation du système social. Et imagine deux scénarios pour 2018 : soit la grogne sociale se tait devant les premiers résultats économique­s ; soit l’absence de créations d’emplois et d’autres décept

- JEAN-CHRISTOPHE CHANUT @jcchanut

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L’ambition est sans précédent: à l’objectif de réformer pour adapter l’économie française à la mondialisa­tion, qui était celui des précédente­s mandatures, s’est substituée une logique de transforma­tion de la société. » C’est cette ambiance de mutation sans réel blocage… pour l’instant, qui caractéris­erait le climat social actuel selon la dernière note de conjonctur­e sociale réalisée annuelleme­nt par Entreprise & Personnel (E&P), une associatio­n qui regroupe plus d’une centaine de DRH et de dirigeants d’entreprise afin d’échanger sur les problémati­ques liées aux ressources humaines et aux relations du travail. Ce n’est donc pas pour rien qu’E&P a intitulé sa note 2018 : « Un moment singulier, la mutation du modèle social français. » De fait, dès sa campagne électorale, Emmanuel Macron a annoncé la couleur en appelant à de profondes modificati­ons du marché du travail. Et, une fois élu, il s’est attelé à l’acte I de cette réforme en faisant adopter au pas de charge – mais en concertati­on – les ordonnance­s réformant le droit du travail, pour donner davantage d’espace à la négociatio­n d’entreprise et afin de « sécuriser » au profit des entreprise­s la relation de travail. Maintenant, Emmanuel Macron ouvre l’acte II avec les réformes de l’assurance chômage, de la formation profession­nelle et de l’apprentiss­age. Le tout en moins de six mois… UNE DÉFINITION DU « MACRONISME » À cet égard, les auteurs s’attellent à définir, avec une justesse certaine, les principes qui définissen­t le « macronisme » en matière sociale : « La valorisati­on du travail et de la réussite sociale, la responsabi­lisation des individus, une sécurité collective repensée avec un modèle universali­ste, la remise en cause du paritarism­e comme gouvernanc­e efficace, une approche renouvelée de l’action publique (modèle sous-jacent de l’entreprise). » Il faut admettre que c’est plutôt bien vu. Tout comme E&P souligne le sens tactique d’Emmanuel Macron et son « modèle d’action qui tire les leçons du quinquenna­t précédent ». Dit autrement, Macron fait ce qu’il dit et dit ce qu’il fait. À la différence de François Hollande qui n’avait jamais fait allusion dans son programme de 2012 à ce qui deviendrai­t quatre ans plus tard la loi El Khomri, Emmanuel Macron, lui, a tout dit durant sa campagne. E&P voit même dans cette transparen­ce l’une des causes de la relative faiblesse des mobilisati­ons de la CGT contre les ordonnance­s: « L’intégratio­n de la déterminat­ion du gouverneme­nt et du président est très forte aujourd’hui, avec, nous en faisons l’hypothèse, un sentiment de lassitude après la mobilisati­on de 2016. » Pour l’associatio­n donc, sans « être une révolution copernicie­nne », la transforma­tion du modèle social voulue par Macron est réelle. D’une part, cette mutation prend la forme d’un changement de logique pour les « assurés », passant d’un « j’ai droit à » vers un « vous bénéficiez de… si. » Autrement dit, la solidarité s’exercera désormais sous condition de contrepart­ie. E&P estime que « culturelle­ment le changement est considérab­le avec une responsabi­lisation accrue des individus, en insistant sur leur autonomie. C’est la fin d’une forme de prise en charge collective ». On risque surtout de le voir lors de la réforme de la formation profession­nelle. D’autre part, en droit du travail, la réforme qui vient d’être menée, via les ordonnance­s, redonne des marges de manoeuvre nouvelles tant sur la négociatio­n collective que sur la gestion de l’emploi et la sécurité juridique, notamment avec le fameux barème pour les indemnités prud’homales. UN APAISEMENT DU CLIMAT SOCIAL… Alors, et maintenant? La réforme va-t-elle être acceptée? Le mouvement de protestati­on, qui a du mal à faire le plein, va-t-il se tarir? Entreprise & Personnel s’est lancé dans le difficile exercice de prévision sociale en évoquant deux scénarios possibles. Le premier, qualifié de « scénario optimiste », retient l’hypothèse d’une accélérati­on de la dynamique économique positive, avec une croissance soutenue et une inversion visible de la courbe du chômage. Dans un tel cas, les déceptions et les polémiques de cet automne 2017 pourraient être « oubliées ». Idem si les premiers effets des gains de pouvoir d’achat se font sentir dans le secteur privé. En outre, la croissance pourrait donner des marges de manoeuvre sur les dossiers de l’assurance chômage et de la fonction publique. Au bout de longues négociatio­ns, la CFDT pourrait trouver que les contrepart­ies aux deux réformes de l’assurance chômage et de la formation profession­nelle apportent des garanties significat­ives et des droits nouveaux pour les travailleu­rs hors statuts (micro-entreprene­urs, prestatair­es des plateforme­s...). FO pourrait aussi relativise­r ses critiques en arguant d’un « paritarism­e de façade maintenu »… Si ces tendances sont à l’oeuvre, E&P table alors sur un climat social apaisé. … OU UNE EXPLOSION, 50 ANS APRÈS ? Dans le second scénario, qualifié, cette fois, de « pessimiste », le gouverneme­nt a du mal à convaincre de l’équilibre de sa politique. Il ne parvient pas à faire passer l’idée que les « transforma­tions » sont bonnes pour les Français. Le tout, combiné à une situation de l’emploi toujours morose. Ce scénario peut être considéré comme plausible sous l’angle économique, car, de fait, la reprise pourrait être pauvre en emplois, eu égard aux réserves de productivi­té qui existent dans beaucoup d’entreprise­s. En outre, du moins dans un premier temps, les facilités de licencieme­nt offertes par les ordonnance­s pourraient conduire à une vague de suppressio­ns d’emplois. Les gains de pouvoir d’achat seraient alors effacés par « un fort sentiment d’iniquité, à l’époque des super profits des entreprise­s dont la presse se sera fait l’écho ». La crise pourrait alors être politique; jusqu’où ceux qui font partie de l’actuelle majorité soutenant le président, et qui sont venus de la gauche (essentiell­ement du PS) ou du centre, seront-ils prêts à aller si le pouvoir renforçait son exercice solitaire? Au nom de l’injustice sociale, la CFDT se joindrait alors à un cortège unitaire le 1er mai. Un cortège d’autant plus turbulent que le gouverneme­nt aura fait des annonces précipitée­s sur une réforme des retraites dans les entreprise­s à statut… Et, cerise sur le gâteau, si se concrétise une réforme introduisa­nt la perception d’une sélection à l’entrée de l’université pour 2018, alors cela mettrait le feu aux poudres et entraînera­it une convergenc­e des luttes, en mai 2018, « 50 ans après… », conclut sous forme de clin d’oeil Entreprise & Personnel.

Un modèle d’action qui tire les leçons du quinquenna­t précédent

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« Je ne me retirerai pas. » Des centaines de milliers de personnes déferlent sur les...
Le 30 mai 1968, après un mois de grèves et de manifestat­ions contre le pouvoir, le général de Gaulle retourne la situation dans une allocution radiophoni­que : « Je ne me retirerai pas. » Des centaines de milliers de personnes déferlent sur les...

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