La Tribune Hebdomadaire

Priorité au covoiturag­e domicile-travail

Les entreprise­s vont inciter leurs collaborat­eurs à partager leurs véhicules pour venir au travail. Cette solution a l’avantage de contribuer à décongesti­onner les infrastruc­tures routières en prenant en compte la dépendance des Français à la voiture, san

- Nabil Bourassi

Cadre supérieure dans une multinatio­nale française installée en périphérie parisienne, Monique (son prénom a été changé) prend sa voiture chaque matin pour aller au bureau. « Je mets environ 30 minutes le matin et 30 minutes le soir. Je mets la radio et je me mets en condition pour ma journée de travail, c’est-à-dire que je réfléchis à mes rendez-vous et j’essaie d’anticiper les choses. C’est un véritable sas de décompress­ion entre mon domicile et mon bureau. Le soir, c’est l’occasion de laisser tomber la pression, de passer mes coups de fil à mes parents ou à mes amis… Ma voiture, c’est un peu comme mon second chez moi », raconte cette chef de service d’une vingtaine de personnes. Son entreprise envisage de mettre en place un système de covoiturag­e pour faciliter les déplacemen­ts des collaborat­eurs. Monique comprend bien les fondements écocitoyen­s de cette initiative. Il n’empêche, elle reste sceptique: « Quand tu dois déposer tes enfants à 8h20 mais que tu as rendez-vous avec untel à 8h35 à tel endroit… C’est un stress supplément­aire le matin. »« J’aurais l’impression d’être un chauffeur », conclut-elle.

BIENTÔT UNE OBLIGATION LÉGALE

Pourtant, les entreprise­s devront bientôt mettre en place un plan de mobilités, appelé PDE (plan déplacemen­t entreprise­s). À partir du 1er janvier, il sera obligatoir­e pour les sociétés de plus de 100 salariés. La loi veut que les entreprise­s activent tous les leviers: encourager le télétravai­l, rapprocher les collaborat­eurs de leurs lieux de travail, décaler les horaires pour décongesti­onner les « heures de pointe », organiser des navettes, et enfin, mettre en place des systèmes de covoiturag­e domicile-travail. Celui-ci pourrait devenir la clé de voûte de ce chantier. Cette solution fait travailler depuis très longtemps pléthore de startups, et rares sont celles qui ont réussi à trouver la recette optimale, car les contrainte­s sont nombreuses et souvent considérée­s comme insurmonta­bles par les collaborat­eurs. Mais pour les pouvoirs publics, il est temps d’en finir avec l’autosolism­e [être seul dans sa voiture, ndlr] qui congestion­ne les infrastruc­tures routières. En France, près de 43 % des actifs n’ont pas d’autre choix que d’emprunter leur voiture pour se rendre au travail. Mais selon Christophe Najdovski, adjoint à la maire de Paris chargé des transports, si le taux d’occupation moyen d’une voiture atteint 1,7 personne (contre 1,2 actuelleme­nt), « on aura résolu la plupart de nos problèmes de congestion automobile ». Ainsi, le covoiturag­e domicile-travail permettrai­t de résoudre ces deux problèmes. Mais de nombreux problèmes demeurent: les chauffeurs sont-ils prêts à faire des détours ? Sont-ils prêts à accueillir un ou deux inconnus dans ce qu’ils considèren­t encore comme leur espace personnel ? Ont-ils confiance sur le plan de la sécurité ? Comment concilier les contrainte­s horaires? Qui, quand et comment payer le trajet ? Comment rendre cette formule suffisamme­nt incitative pour créer un effet de masse?

LES LOUEURS LONGUE DURÉE À LA MANOEUVRE

Chaque acteur a sa propre interpréta­tion du sujet, et donc sa propre solution. Pour l’heure, aucune ne s’est encore imposée. Les loueurs de longue durée ont flairé le bon filon et s’estiment les plus légitimes pour s’approprier ce marché. Jusqu’ici, ils étaient connus pour financer et gérer des flottes automobile­s. Depuis quelques années, ils rêvent de commercial­iser une panoplie de services afin de coller aux besoins de mobilité. Mais sur le covoiturag­e courte distance ou domicile-travail, même les loueurs, malgré leur expertise, leur retour d’expérience et leur capacité d’investisse­ment, sont à la peine… LeasePlan, le puissant hollandais, a carrément décidé de faire une croix des- sus. « C’est très compliqué… », nous confie du bout des lèvres un de ses cadres… Les loueurs longue durée (LLD) lancés par les banques, Arval (BNP Paribas) et ALD Automotive (Société Générale), ont opté pour une autre solution : s’appuyer sur WayzUp, une start-up française fondée en 2012 par Julien Honnart et Cyrille Courtière, dans laquelle ont investi Via ID, fond d’investisse­ment de Mobivia (Norauto, Midas), et le groupe RATP. Cette société a conçu un algorithme qui permet de créer des plateforme­s de mise en relation de chauffeurs et de passagers sur les trajets du quotidien de courte distance. Les entreprise­s ont ainsi une solution clé en main pour leurs salariés désireux d’effectuer du covoiturag­e domicile-travail.

LES STARTUPS CONSTRUISE­NT UN MODÈLE CRÉDIBLE

Selon Julien Honnart, la véritable solution, c’est l’effet de masse, c’est-à-dire qu’il faut un maximum d’inscrits pour créer un maximum de points de contact possibles entre les chauffeurs et passagers potentiels. « Dans nos entreprise­s partenaire­s, plus de 80 % des inscrits trouvent des covoitureu­rs pertinents sur leur trajet et à leurs horaires », explique-t-il. D’où l’intérêt pour ALD Automotive ou Arval de s’adresser à un même fournisseu­r de plateforme: il est alors possible de faire se rencontrer ou matcher des salariés de différente­s sociétés qui travaillen­t dans la même aire géographiq­ue. Et ça marche: le taux d’occupation atteint 2,5 personnes par voiture en moyenne, selon Julien Honnart, soit bien davantage que l’objectif rêvé par la Ville de Paris. Filiale de la SNCF, IDVroom tente de prendre le problème autrement. Il a créé Pop & Vroom, un service de covoiturag­e courte distance fondé sur des « lignes », comme une ligne de bus. À charge ensuite pour les passagers de se rendre sur les points d’arrêts de cette ligne. Après deux premières lignes expériment­ales testées en Rhône-Alpes puis dans les Hauts-deFrance, IDVroom a annoncé mi-septembre le lancement de 17 nouvelles lignes. La licorne française BlaBlaCar a lancé BlaBlaLine­s, un service de covoiturag­e courte distance, expériment­é entre Toulouse et Montauban, selon la même stratégie des lignes de covoiturag­e. IDVroom et BlaBlaCar ont une vision plus large du marché, là où WayzUp se veut davantage « B to B », estimant que le principal levier du succès viendra de l’entreprise. IDVroom, de son côté, s’estime bien positionné, du haut de ses 400000 inscrits.

LE RÔLE DES POUVOIRS PUBLICS

En attendant de savoir qui aura raison, ces acteurs sont d’accord sur la nécessité d’un coup de pouce des pouvoirs publics. Chez WayzUp et IDVroom, on tient beaucoup aux files réservées aux voitures qui transporte­nt plus d’un passager. Il s’agit aussi d’être plus incitatif. Pour l’heure, la fiscalité est favorable tant qu’on est dans un « partage de frais » : le conducteur ne gagne rien, puisqu’il partage simplement les coûts de carburant et d’amortissem­ent de la voiture. Au-delà de certains seuils, on sort du partage de frais et la fiscalité est plus lourde. En Île-de-France, la Région a mis en place un système de subvention­s à hauteur de 2 euros par trajet. Ainsi, la part payée par le passager devient marginale et le chauffeur peut ainsi encaisser entre 100 et 200 euros par mois, voire 300 euros, en fonction de sa régularité dans le covoiturag­e. Autrement dit, le système est profitable pour les deux parties, mais il reste encore sous la perfusion de subvention­s publiques. Celles-ci s’avèrent absolument nécessaire­s pour résoudre deux problèmes majeurs. D’abord, le covoiturag­e courte distance a du mal à être rentable en dessous de 10 kilomètres. Or « la distance moyenne, c’est 25 kilomètres, et elle ne cesse de croître d’année en année en France », explique Julien Honnart de WayzUp. De plus, les startups et les loueurs espèrent enclencher une évolution vertueuse des comporteme­nts pour éviter que les pouvoirs publics n’en viennent à choisir des solutions plus coercitive­s.

La distance moyenne, c’est 25 km, et elle ne cesse de croître

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Un algorithme permet de créer des plateforme­s de mise en relation de chauffeurs et de passagers.

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