Les VTC plient mais ne rompent pas
À partir du 1er janvier, les chauffeurs de VTC devront avoir réussi un examen. Une nouvelle couche sur l’empilement de réglementations. Comment établir un modèle économique stable ? Mais les plateformes restent convaincues de représenter l'avenir du trans
Nouveau big bang réglementaire dans le monde des voitures de transport avec chauffeur (VTC) en France : à partir du 1er janvier prochain, un chauffeur de VTC devra avoir réussi un examen spécifique s’il veut continuer à exploiter sa licence. D’après Uber, cet examen serait extrêmement difficile et le taux de réussite serait extrêmement bas. Ainsi, certains professionnels du secteur estiment que seuls 40 à 45 % des actuels chauffeurs VTC pourraient poursuivre leur activité en 2018. Autrement dit, les plateformes VTC se retrouveront privées de près des deux tiers de leurs chauffeurs actuels. Le plus grand plan social de France est-il en préparation ? Selon le Boston Consulting Group (BCG), les VTC seraient à l’origine d’une création d’emploi sur quatre en Ile-de-France au premier semestre 2016. En juin 2016, 22 000 personnes exerçaient le métier de chauffeur VTC en France, parmi lesquelles 11000 étaient auparavant sans emploi. « Nous espérons encore que le gouvernement repoussera l’échéance. Je ne vois pas comment, dans le contexte actuel, il pourrait accepter que le premier employeur des jeunes issus de la diversité des banlieues puisse se retrouver dans de telles difficultés », confie un important acteur des VTC parisiens.
UBER INTERDIT À LONDRES
Pour Uber, Marcel, LeCab et Heetch, ainsi va la vie… Ils sont soumis à une girouette réglementaire qui complique grandement leur business model. En seulement quatre ans, deux textes ont totalement changé la vie des VTC: la loi Thevenoud, puis la loi Grandguillaume. Entre-temps, les préfectures ont pris des arrêtés et les conseils des ministres, des décrets… Toute la difficulté réside dans la subtilité des mots et des concepts utilisés. La loi Thévenoud, par exemple, interdit le transport entre particuliers à titre onéreux… C’en était alors fini d’UberPop qui mettait en relation des particuliers sans licence VTC. Mais Heetch, lui, estime qu’il peut s’en sortir en faisant valoir qu’il s’agit d’un partage de frais, comme pour le covoiturage (voir pages 6 et 7) et qu’il n’y a donc pas de bénéfice. D’ailleurs, la startup française fondée par Teddy Pellerin plafonne à 6 000 euros les revenus à tirer de cette activité. Mais la justice ne l’entend pas ainsi : elle juge qu’un échange d’argent est en soi un service à titre onéreux et ne reconnaît pas l’argument d’Heetch sur le partage de frais. C’en est donc également fini d’Heetch, contraint de devenir une plateforme VTC comme une autre. Mais ce n’est pas tout… Car la réglementation n’est pas la même en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Elle peut même différer selon les agglomérations d’un même pays ! Ainsi, Uber est interdit à San Francisco mais a parfaitement le droit d’exercer à Los Angeles. Autre difficulté, la visibilité à long terme. Uber vient par exemple de se voir retirer sa licence à Londres, son premier marché européen, d’un simple coup de plume d’une administration. Un recours a permis de suspendre les effets de la décision. Il n’empêche que l’aléa réglementaire est devenu le principal obstacle à la constitution des modèles économiques des plateformes VTC. Ces sociétés contestent les motivations des pouvoirs publics à vouloir défendre un modèle social. « Ce sont des lois de circonstance destinées à acheter la paix sociale avec les taxis », prétendent-ils. D’ailleurs, la contrainte législative coûterait extrêmement cher aux chauffeurs: « Le principal poste de dépense, c’est la voiture, et la loi oblige à acheter certaines catégories de voitures, parmi les plus chères », explique un observateur proche des sociétés VTC. Mais pour ces acteurs, ces obstacles ne stopperont pas la lame de fond. « À long terme, le paysage aura été transformé, et nous serons là, plus solides que jamais », veulent-ils croire. Pour Guillaume Crunelle, de Deloitte (lire page suivante), l’erreur serait de penser que le succès d’Uber tient uniquement à ses prix compétitifs: « La révolution d'Uber, c'est d'avoir apporté au plus grand nombre une offre de mobilité accessible, digitale et compétitive », explique-t-il.
LES CHAUFFEURS SE REBIFFENT
D’ailleurs, même les plus critiques à l’égard d’Uber le reconnaissent, la plateforme californienne lancée par Travis Kalanick (écarté de la direction depuis le printemps) a obligé les taxis à se réinventer: plus de services, meilleur accueil, plus de digital… « Les taxis paient des décennies de corporatisme ultra-protecteur », persifle un observateur de ce marché. En réalité, si Uber est venu avec l’idée de disrupter le marché, il est en train de se remettre en cause lui-même. Face aux critiques sur son modèle social fondé notamment sur l'autoentrepreneuriat, l’entreprise californienne est en train de faire sa révolution culturelle. « Nous voulons changer notre façon de travailler avec les chauffeurs », explique-t-on chez Uber France. La révolte de décembre 2016, qui avait fait descendre des dizaines de chauffeurs VTC devant le siège français du groupe, a marqué les esprits. Uber avait décidé de modifier unilatéralement sa grille tarifaire en imposant aux chauffeurs une baisse des tarifs accompagnée d’une hausse de la commission reversée à la plateforme. Décision prise dans le contexte très difficile de la baisse du tourisme en France après les attentats. Résultat pour les chauffeurs : moins d’activité, de surcroît moins bien rémunérée. Depuis, Uber multiplie les initiatives. Elle propose des offres pour financer les achats de voiture et, avec Axa, une couverture sociale gratuite en cas d’accident. Pour Uber, il s’agit de restaurer son image, très abîmée par les polémiques, mais surtout de retenir les chauffeurs, qui seront beaucoup moins nombreux à partir du 1er janvier, et qui peuvent, de plus en plus, faire jouer la concurrence avec de nouvelles plateformes. L’Estonienne Taxify, dans laquelle le Chinois Didi a investi 5,5 milliards de dollars, vient ainsi de débarquer à Paris. Argument de poids : une commission de seulement 15 %. Mais est elle-même confrontée à la colère de ses chauffeurs, en raison d’une politique tarifaire très agressive pour attirer les clients!
Les taxis paient des décennies de corporatisme ultra-protecteur