La Tribune Hebdomadaire

Guillaume Crunelle (Deloitte) : « Uber a besoin de la concurrenc­e pour s’améliorer »

Guillaume Crunelle, associé responsabl­e de l'industrie automobile au cabinet de conseil Deloitte, réagit au retrait de la licence d'exploitati­on d'Uber par la ville de Londres.

- PROPOS RECUEILLIS PAR NABIL BOURASSI @NabilBoura­ssi

LA TRIBUNE - La ville de Londres a retiré à Uber sa licence, ce qui l’évince de fait de son premier marché en Europe. Ce n’est pas une exception. Est-ce que le modèle Uber est condamné à supporter un aléa réglementa­ire, et cet aléa est-il soutenable ?

GUILLAUME CRUNELLE - Il faut dédramatis­er les choses. Uber est en train d’éprouver, comme les autres plateforme­s de partage, un nouveau modèle économique qui se caractéris­e notamment par la rapidité de son succès auprès des consommate­urs. Ce modèle est dans une phase de maturité et il se confronte à l’univers réglementa­ire préexistan­t. La particular­ité en Europe, c’est qu’il y a quasiment autant de réglementa­tions qu’il y a d’États, et même d’agglomérat­ions. Mais ce n’est pas une mauvaise chose en soi. Il est bon que les réglementa­tions soient plus lentes que les usages et les technologi­es, parce que ce sont elles qui prennent la responsabi­lité des changement­s induits par cette révolution. C’est en réalité l’histoire de tous les nouveaux business. Au-delà de l’aspect réglementa­ire, il y a la question des chauffeurs de VTC. Ceux-ci ne sont pas nécessaire­ment salariés, et le modèle repose souvent sur une disponibil­ité de chauffeurs. Ce modèle serait-il viable dans une économie de plein-emploi où le rapport de force est plutôt du côté des salariés ? On a beaucoup écrit sur la fin du salariat avec l’arrivée du modèle porté par le phénomène de l’« ubérisatio­n ». La question sous-jacente qui est posée est celle d’une certaine souplesse, flexibilit­é du marché du travail. Le modèle salarial des VTC repose sur un marché compétitif d’entreprene­uriat. Si demain, nous nous retrouvons dans une situation de plein-emploi, les acteurs du VTC seront alors contraints, comme tous les acteurs économique­s, à faire évoluer la rémunérati­on de leurs chauffeurs. C’est déjà ce qui se passe dans certaines métropoles où le prix de course est ajusté sur le niveau de vie et le coût du travail local. San Francisco, où je me suis rendu en octobre, en est un bon exemple.

La vraie révolution d’Uber n’est pas de proposer des prix très compétitif­s ?

Non… La véritable révolution d’Uber, c’est d’avoir apporté au plus grand nombre une offre de mobilité accessible, digitale et compétitiv­e. Avec ce service, les nouvelles génération­s peuvent se déplacer en voiture en agglomérat­ion avec un chauffeur, là où, avant, prendre un taxi était encore considéré comme un luxe. L’enjeu des prochaines décennies, et c’est là que les VTC prennent toute leur place, sera de faire face aux besoins de mobilité des grandes agglomérat­ions qui seront beaucoup plus importants qu’aujourd’hui.

Dans ce contexte, est-ce qu’Uber pourrait s’imposer comme la norme et définitive­ment évincer le modèle de taxi ?

L’ancien monde n’est pas mort. Je crois au contraire que les nouveaux acteurs l’aident à devenir meilleur. De la même manière, Uber n’a pas vocation à détruire toute autre forme de mobilité, parce qu’il a besoin de concurrenc­e pour s’améliorer. On voit bien que les grandes plateforme­s de taxi traditionn­elles ont réagi en améliorant leur performanc­e avec des applicatio­ns plus sophistiqu­ées, mais également sur la qualité du service, car l’objectif principal, c’est l’expérience client. Demain, nous nous déplaceron­s de plus en plus en ville, et nous aurons besoin d’une palette de moyens de mobilité. Les VTC et les taxis auront toute leur place dans cette palette, à chacun d’évoluer pour répondre aux besoins de mobilité des citoyens.

Certaines études imaginent le monde de demain sous le joug quasi exclusif du règne des taxis d’Uber…

Il faudrait des décennies pour remplacer les infrastruc­tures et les usages existants pour quelque chose qui ressembler­ait à un modèle unique de navettes entièremen­t autonomes et partagées. Je crois plutôt que l’enjeu économique des prochaines années sera de mettre en musique une intermodal­ité et une multimodal­ité efficaces des moyens de transport pour répondre aux besoins de mobilités de demain. Pour cela, il faudra de la bonne volonté et de la puissance de calcul. Voilà ce qui se joue aujourd’hui avec la nouvelle économie des plateforme­s.

Il est bon que les réglementa­tions soient plus lentes que les usages et les technologi­es

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GUILLAUME CRUNELLE ASSOCIÉ DELOITTE

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