Frais bancaires : « des milliards » sur le dos des clients en difficulté
Selon une enquête de « 60 Millions de consommateurs » et de l’Union nationale des associations familiales (Unaf), les commissions pour incidents de paiement se multiplient et rapportent 6,5 milliards d’euros par an aux banques françaises. Un meilleur enca
Àl’heure où les banques multiplient les discours sur l’inclusion, la finance durable et solidaire et leur engagement citoyen, les conclusions de l’enquête réalisée par le magazine 60 Millions de consommateurs (dans l’édition du 26 octobre) et l’Union nationale des associations familiales (Unaf ) risquent de porter un coup sévère à leur image. Le magazine édité par l’Institut national de la consommation (INC) et l’Unaf ont épluché « plusieurs centaines de relevés de compte de clients “lambda” et de clients en difficultés financières ponctuelles ou persistantes » et comparé les frais facturés par les établissements bancaires en cas d’incident de paiement : chèque sans provision, rejet de prélèvement, agios, dépassement de découvert, etc. Une liste « impressionnante » de commissions en tout genre et « régulièrement, l’industrie bancaire en invente de nouvelles », telle la « lettre d’avertissement pour compte débiteur non autorisé » d’un montant de 12 à 20 euros qui s’est généralisée. Si ces frais sont plafonnés depuis 2014, l’étude comparative montre que les banques facturent toutes le maximum autorisé par opération, « à l’exception notable de La Banque Postale ». En moyenne, ces frais, qui touchent plusieurs millions de clients, coûtent au client « lambda » 34 euros par an. « Pour les clients en difficulté, la note flambe pour atteindre 296 euros », soit huit à neuf fois plus, relève l’enquête. « La victime type n’appartient pas forcément aux populations les plus pauvres. Elle n’est pas surendettée ni forcément bénéficiaire des minima sociaux », ce sont « le plus souvent des salariés du secteur privé, fonctionnaires ou retraités ». Un foyer en difficulté sur cinq s’est même vu prélever plus de 500 euros de frais par an. L’enquête, qui s’appuie aussi sur les cas concrets rencontrés par le réseau de l’Unaf, évoque celui d’un client de la BNP, un fonctionnaire quadragénaire tombé dans le rouge après une séparation, qui s’est fait ponctionner de plus de 3000 euros en 2016! D’où l’impression d’un « matraquage » et d’un « profit facile réalisé sur le dos d’une personne fragilisée ».
PRÈS DE 5 MILLIARDS DE BÉNÉFICES POUR LES BANQUES
L’Unaf et 60 Millions de consommateurs ne remettent pas en cause le principe de ces tarifications mais ces cascades de frais qui s’accumulent et « enfoncent davantage encore dans la difficulté ». Ils remarquent aussi que ces frais, censés rémunérer « la charge de travail occasionné par ce type d’incident : ouverture du dossier, édition des lettres, traitement du rejet » selon la Fédération bancaire française (FBF), sont en réalité bien souvent automatiques, sans travail d’analyse ni action humaine, par exemple pour la commission d’intervention de 8 euros (ou frais de forçage), comme l’a confirmé une enquête du syn- dicat CGT banques et assurances. Le magazine parle même d’une « machine à facturer en pilotage quasi automatique ». Et une machine qui rapporte gros. D’après les calculs de cette enquête, ces frais pour incident auraient ainsi généré 6,5 milliards d’euros de revenus pour les banques et 4,9 milliards d’euros de bénéfice net en 2016. Un montant énorme au regard des 23,5 milliards d’euros de bénéfices dégagés l’an passé par les groupes bancaires français, toutes activités confondues (pas seulement celle de détail en France). Le calcul a été compliqué, en l’absence de données publiques sur le sujet : il a été réalisé à partir d’estimations de banquiers sous couvert d’anonymat, de déclarations de dirigeants lors d’auditions parlementaires au moment du projet de loi de séparation bancaire de 2013, du milliard d’euros de perte de revenu estimé lors de la mise en place du plafonnement des commissions d’interventions, a expliqué l’économiste de l’INC, Stéphanie Truquin, lors de la présentation à la presse de l’enquête. Interrogée, la FBF indique ne pas comprendre la méthodologie. Elle affirme par ailleurs que les banques ont « mis en place des outils pour détecter les personnes fragiles financièrement » au regard du fonctionnement de leur compte. « La banque propose systématiquement à son client de venir échanger et l’informe qu’il existe une offre client fragile », qui dispose de frais d’incident minorés. « Mais la banque ne peut pas les y obliger. Près de 3 millions de lettres ont été envoyées à des clients fragiles l’année dernière, et 10 % d’entre eux souscrivent à l’offre », répond une porte-parole de la FBF. Cependant, l’enquête souligne que cette démarche n’est pas systématique et que les conseillers bancaires sont nombreux à ignorer le dispositif. Par ailleurs, si ces frais sont facilement annulés lors d’un incident ponctuel, les clients en difficulté n’ont pas cette capacité de négocier, ne peuvent joindre leur conseiller, ou se sentent trop gênés ou trop coupables pour demander de les faire sauter. « Ces frais représentent la face cachée de l’inclusion bancaire. Ils sont notamment vécus comme une punition injuste et génèrent du stress. C’est une bouée en plomb pour les personnes en difficulté », affirme Fabien Tocqué, coordinateur économie, consommation, emploi à l’Unaf. « Les banques nous disent qu’elles ne sont pas responsables des difficultés initiales de leurs clients. Mais au titre de leur responsabilité sociale, elles ne doivent en aucun cas les aggraver. »
MIEUX ENCADRER LES FRAIS PUNITIFS
L’enquête cite un exemple éloquent: les frais liés à la saisie du compte par un créancier, appelés « avis à tiers détenteur », sont « facturés une centaine d’euros, et même 130 euros à la BNP, alors que la même opération ne coûte que 20 euros chez sa filiale Compte-Nickel, qui affirme que ce tarif arrive à couvrir son coût! » On comprend le succès des offres des néobanques sans découvert possible (ni chéquier, donc pas de risque de rejet) comme Compte-Nickel (729000 clients) ou C-zam de Carrefour Banque (90000 clients). Le mobile et le numérique permettent d’alerter immédiatement – et à moindre coût – les clients qui risquent le découvert, mais les banques commencent tout juste à le proposer, parce que des startups de la fintech, des néobanques le font. Or ces alertes par SMS ou par e-mail ne coûtent à la banque que 15 à 65 centimes! « Le plafonnement des commissions d’intervention a eu des effets pervers dans certains réseaux qui ont abaissé le niveau d’autorisation de découvert », a relevé Aurélien Soustre, représentant CGT au Comité consultatif du secteur financier. Un « tour de passe-passe » pour récupérer d’un côté les revenus perdus de l’autre. Ce système néfaste de frais parfois absurdes et perçus comme injustes a des conséquences sur les relations entre clients et conseillers, qui pourraient expliquer en partie la montée des incivilités en agences. Coupe dans les effectifs oblige, les conseillers se voient confier un portefeuille de clients ingérable – de 1500 à 3000 selon Aurélien Soustre, de la CGT – qui empêche le suivi personnalisé, alors que les priorités sont les objectifs commerciaux, la vente de produits d’épargne, de crédit ou d’assurance, pas le conseil des clients en difficulté. Accompagner les clients dans les moments difficiles de la vie constitue clairement un axe d’amélioration de la relation bancaire, avait souligné une étude Deloitte (voir sur latribune.fr « Banque : le digital c’est bien, la proximité c’est mieux ! »). Le magazine et l’Unaf alertent les pouvoirs publics, qui doivent « mieux encadrer ce système de frais bancaires punitifs. » Et les appellent donc à légiférer à nouveau afin de brider la « créativité tarifaire » des banques en la matière. La présidente de l’Unaf, MarieAndrée Blanc, déclare dans un entretien à 60 Millions de consommateurs du mois de novembre : « L’Unaf demande aux pouvoirs publics de mieux encadrer ce système injuste qui pénalise spécifiquement ceux qui sont déjà en difficulté. Il faut aussi responsabiliser les établissements bancaires eux-mêmes pour qu’ils adaptent leurs offres et leur modèle économique à ces publics de plus en plus nombreux. Enfin, il faut prendre acte que les banques n’assurent plus la mission de conseil pour ces publics. »
Les banques disent qu’elles ne sont pas responsables des difficultés des clients. Mais elles ne doivent pas les aggraver