La Tribune Hebdomadaire

EN 2018, L’ENVIE D’AVOIR ENVIE

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Jusqu’ici, tout va mieux… La formule irait comme un gant à François Hollande, qui a obtenu en novembre 2017 le Grand prix de l’humour politique pour l’ensemble de son oeuvre (humoristiq­ue). L’ancien président de la République, auteur du fameux « Ça va mieux » , prononcé le 17 mai 2016 sur Europe 1, n’a pas été entendu, mais l’ancien chef de l’État s’est félicité, en venant chercher son prix qu’enfin « un hommage lui soit rendu. Il était temps » , un an après son renoncemen­t à concourir pour un second mandat à l’Élysée. Ça va mieux, en effet, c’est une évidence, cela va même beaucoup mieux. Partout, les taux de croissance décollent, et les indices boursiers entament 2018 sur une note tonitruant­e, le record historique des 25000 points étant pulvérisé à Wall Street. Bitcoin, marché de l’art, capitalisa­tion des Gafa (Amazon vaut 320 fois ses bénéfices!), tout va pour le mieux dans un monde de bulles. Pour les pays occidentau­x, c’est la fin d’une trop longue parenthèse qui a vu les crises économique­s se succéder depuis 2008. Les ÉtatsUnis ont oublié celle des subprimes et connaissen­t sous Donald Trump, un véritable boom, au point que l’on parle de surchauffe, surtout avec le cadeau fiscal qui attend les entreprise­s et les plus fortunés. Pour l’Europe aussi, il y a longtemps que l’on n’avait pas connu une telle euphorie. Fin 2017, les indices manufactur­iers ont enregistré des hausses spectacula­ires. En France, l’indice PMI est à son plus haut niveau depuis… septembre 2000, avec une croissance de la demande dans pratiqueme­nt tous les secteurs d’activité. On commence même à observer de premières tensions sur le marché du recrutemen­t; et le turn-over, y compris des cadres, est en forte hausse, signe s’il en est de confiance dans l’avenir. On n’en est pas, pas encore, à observer des tensions salariales, car l’inflation, assez curieuseme­nt, reste loin de l’horizon, mais dans les pays en quasi-plein emploi, comme l’Allemagne, on voit revenir des idées que l’on pensait disparues: le puissant syndicat de la métallurgi­e revendique une hausse de 6 % des salaires – là où le patronat propose 2 % – et… le passage pour deux ans à la semaine de 28 heures. 2018 sera donc à la fois une année où cela devrait aller mieux, conjonctur­ellement, mais aussi, paradoxale­ment, une année de montée en force des revendicat­ions. La rime en « huit » plaide en ce sens, puisque l’on célébrera au printemps le cinquanten­aire de 1968. Néanmoins, à tous ceux qui appellent déjà au partage des fruits de la croissance et voient un peu vite poindre une cagnotte fiscale à redistribu­er, on ne saurait trop conseiller la prudence. Le monde sort de dix ans de crise, l’euro semble sauvé, mais tout n’est pas résolu, loin s’en faut. Et si par définition personne ne sait d’où viendra le prochain choc, il demeure sur le chemin de nombreuses fragilités. La première est géopolitiq­ue : Trump et son « gros bouton rouge », Kim Jong-un et ses essais nucléaires, Poutine et les élections russes du printemps, le MoyenOrien­t sont comme toujours des barils de poudre dans un monde plus dangereux que jamais. La seconde est économique: même si la théorie ne nous dit rien sur la taille souhaitabl­e du bilan d’une banque centrale, la question de la normalisat­ion des politiques monétaires taraude les marchés placés sous la dépendance d’injections massives de liquidités, qui finiront par se tarir. Au risque de faire exploser les bulles? Impossible à prévoir, mais le risque d’une perte de contrôle de la situation par les banquiers centraux est là, bien présent. Le dernier risque est politique et social: le monde sort de la crise, mais jamais le niveau des inégalités n’a été aussi grand depuis la crise de 1929. La concentrat­ion des richesses, notamment dans les entreprise­s technologi­ques (Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, est devenu le nouvel homme le plus riche du monde), fait craindre le pire, alors que, partout, l’écrasement des classes moyennes nourrit le populisme. Le fait que la France ait jusqu’ici réussi à y échapper avec l’élection du « centriste » Emmanuel Macron ne doit pas faire oublier le Brexit, Trump, la Pologne, l’Autriche. Ça va mieux, mais pas pour tout le monde, et c’est bien cela qui va devoir occuper l’esprit des dirigeants : cette belle idée, un peu surannée peut-être, qui dit que le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. Et pour 2018, une année où en France vont devoir s’accélérer les réformes, si l’on en croit les projets tous azimuts d’Emmanuel Macron, il va falloir donner aux Français un nouveau discours mobilisate­ur, leur donner l’envie d’avoir envie, comme disait Johnny, pour leur faire comprendre que si le temps des efforts n’est pas achevé, celui de la répartitio­n équitable de leurs fruits à venir viendra…

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