LES 30 ANS DU CAC 40
L’ANALYSE DU PATRON D’EURONEXT
LA TRIBUNE - Qu’est-ce que la création du CAC 40 a changé pour la Bourse de Paris ?
STÉPHANE BOUJNAH - Le lancement officiel du CAC 40 a eu lieu en juin 1988, mais il a été établi avec une base à 1 000 points le 31 décembre 1987. Cet indice est un instrument de mesure de l’évolution du capital des entreprises cotées les plus importantes en France. Le CAC 40 est d’abord un indice, et ce n’est qu’un indice, qui mesure le capital flottant et la liquidité des entreprises qui ont la plus forte capitalisation boursière. Néanmoins, le CAC est progressivement devenu aussi un symbole et une illustration des évolutions du capitalisme français. Sa création est intervenue à une époque où ce type d’indices se constituait dans toutes les grandes places boursières [New York avait le Dow Jones depuis 1896 et Tokyo le Nikkei depuis 1949, ndlr]. Le précurseur en Europe a été l’AEX, créé en mars 1983 par la Bourse d’Amsterdam, une des places d’Euronext aujourd’hui. Il a été suivi par le « footsie » FTSE 100 de la Bourse de Londres en 1984, puis par le DAX en Allemagne en décembre 1987. La création du CAC 40 à Paris s’inscrivait dans le grand mouvement de modernisation des marchés de capitaux en Europe qui accompagnait la dématérialisation des échanges, avec la fin de la « corbeille ». Il devenait alors naturel que la place de Paris se dote d’un indice suffisamment précis, homogène et performant. C’est ainsi que la gestion indicielle a pu se développer grâce au CAC 40. Aujourd’hui, 6 000 produits financiers sont associés à l’indice CAC 40. Le volume quotidien d’échanges sur les valeurs de l’indice s’élève à plus de 3 milliards d’euros cette année [la capitalisation boursière de l’indice avoisine les 1 500 milliards d’euros].
Comment se porte le trentenaire ?
Le CAC 40 est un indice qui remplit bien sa fonction. Il a été le reflet des évolutions des marchés financiers en France au cours des trente dernières années. Si l’on examine son parcours, le plus haut historique a été atteint en pleine euphorie de la bulle technologique, en septembre 2000, à 6944 points. Le point le plus bas est arrivé peu après, en mars 2003, à 2 401 points, après l’explosion de cette bulle. L’indice a donc perdu plus de 4500 points en deux ans et demi. Il a remonté jusqu’en juin 2007, à la veille de la crise des subprimes, à 6168 points. Ensuite, nous nous souvenons tous de cet étrange été 2007, où se multiplièrent les marqueurs de la montée des périls annonciateurs de la plus grande crise financière depuis la Seconde Guerre mondiale. En mars 2009, au plus fort de la crise financière qui avait entraîné la crise des dettes souveraines, le CAC 40 était retombé à nouveau au plus bas à 2465 points. Aujourd’hui, le CAC 40 cote approximativement 5300 points; il est très loin de son plus haut et à plus du double de ses niveaux les plus bas. Le niveau actuel du CAC 40 résulte de trois facteurs principaux : la politique monétaire accommodante des banques centrales; le redressement significatif des performances des groupes industriels et commerciaux le composant, qui ont tous assaini leur bilan et amélioré leurs marges; enfin, les perspectives macroéconomiques favorables en Europe.
Pourquoi le CAC 40 est-il le seul grand indice à ne pas avoir retrouvé ses plus hauts historiques ?
Il faut comparer ce qui est comparable. Le CAC 40 ne mesure que l’évolution des cours de Bourse des sociétés qui le composent. C’est pourquoi, en 1994, a été créé l’indice CAC 40 GR (« gross return », c’està-dire mesurant le rendement global pour l’actionnaire), qui intègre le montant des dividendes versés et réinvestis en actions des sociétés qui en sont membres [comme les autres grands indices boursiers mondiaux]. Or le CAC 40 GR cote plus du double du CAC 40 classique, à 13 700 points : il n’a jamais été aussi haut. Il est donc opportun d’examiner le CAC 40 GR chaque fois que l’on s’engage dans des comparaisons internationales.
Peut-on dire que le CAC 40 constitue une sorte de baromètre de l’économie ?
Le CAC 40 a pu jouer ce rôle de baromètre dans les phases extrêmes de notre économie, notamment dans les crises. Mais il est aussi devenu le vecteur de toutes sortes de perceptions collectives et de représentations imaginaires. Le CAC 40 est devenu progressivement un concept politique qui symbolise le capitalisme financier, un peu comme le Comité des forges à la fin du xixe siècle. Dans l’imaginaire collectif, le CAC 40 n’est plus un indice, mais l’évocation imaginaire de l’ensemble des dirigeants de grandes entreprises. Le CAC 40 est aussi une photographie qui montre les évolutions profondes traversées par les entreprises françaises, qu’il s’agisse du remplacement des holdings industrielles par des groupes de services, la transformation d’entreprises très nationales par des groupes mondialisés. C’est aussi le reflet de changements culturels profonds que l’on observe à travers les noms des groupes : la Générale des eaux est devenue Vivendi, Thomson-CSF est désormais Thales. Presque tous ont changé de nom, parfois aussi à la suite de fusions. Lorsque l’on analyse le CAC 40, on y voit toute l’évolution de l’économie financière française. L’indice porte aussi les traces de grands moments du capitalisme français, comme les vagues de privatisation en 1986, 1993 et 1997.