La Tribune Hebdomadaire

Vision La finance verte au service de la « smart city » par Xavier Girre

La question du réchauffem­ent climatique est aujourd’hui centrale dans notre économie. Les villes et les territoire­s se sont emparés du sujet. Ils deviennent prescripte­urs, ils veulent conduire leur transition énergétiqu­e et devenir « neutres en carbone ».

- PAR XAVIER GIRRE DIRECTEUR EXÉCUTIF GROUPE CHARGÉ DE LA DIRECTION FINANCIÈRE CHEZ EDF

Les investisse­ments dans des projets bas carbone jouent un rôle majeur dans le déploiemen­t des smart cities. L’après-COP21 a eu pour résultat la multiplica­tion des engagement­s des acteurs locaux et des entreprise­s, en appui de l’implicatio­n des États. Le leadership de la France, réaffirmé lors du One Planet Summit en décembre 2017, résulte d’une démarche forte, à la fois de l’État, des collectivi­tés territoria­les et des entreprise­s françaises. Le tout pour construire une économie et un monde durables. Pas un jour ne s’écoule sans qu’une nouvelle nous rappelle l’immense défi auquel notre planète est confrontée. Le 2 août 2017, les médias titraient sur la surconsomm­ation des ressources naturelles : nous avions déjà consommé toutes les réserves naturelles que la Terre peut produire en une année. Début janvier 2018, le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (Giec) a alerté le monde sur l’augmentati­on de 1,5 °C de la températur­e moyenne de la Terre d’ici à 2040 par rapport à l’époque préindustr­ielle. Pour autant, le Giec rappelle les solutions envisageab­les pour enrayer cette dégradatio­n climatique et contenir la hausse des températur­es en deçà du seuil de 1,5 °C à la fin du siècle: réduire la consommati­on de charbon et la demande d’énergie par habitant, d’une part, et poursuivre le développem­ent des énergies vertes, d’autre part.

L’OBJECTIF DE 50 % D’ÉNERGIES RENOUVELAB­LES EST ATTEIGNABL­E

Encore utopique il y a quelques années, cette transition se matérialis­e un peu plus chaque jour. En Europe, les énergies renouvelab­les ont assuré 30 % de la production électrique en 2016, dépassant pour la première fois le charbon et le lignite. L’objectif d’atteindre à terme 50 % d’énergies renouvelab­les dans le mix énergétiqu­e européen n’est donc plus illusoire. D’autant que, d’ici à 2020, toutes les énergies renouvelab­les seront compétitiv­es par rapport aux énergies fossiles, selon un récent rapport de l’Agence internatio­nale pour les énergies renouvelab­les (Irena). Des signes prometteur­s, certes, à condition que nous y mettions les moyens. Cela exige des investisse­ments massifs. Afin que la France puisse respecter les objectifs climatique­s fixés lors de la COP21, l’Institute for Climate Economics (I4CE), préconise un investisse­ment total pour la France compris entre 45 et 60 milliards d’euros par an jusqu’en 2020, puis entre 50 et 70 milliards d’euros par an entre 2021 et 2030. Le One Planet Summit a souligné l’engagement du monde de la finance au service de cette transition énergétiqu­e, s’appuyant sur l’innovation financière et la maîtrise des risques liés au climat. Le développem­ent de la finance verte, et en particulie­r les obligation­s vertes ( green bonds) émises notamment dans le but de financer des actions permettant de lutter contre le réchauffem­ent cli- matique, constitue une innovation incontourn­able pour le financemen­t de la transition énergétiqu­e. Réduire les émissions de CO2 passe, entre autres, par la réalisatio­n de grands projets liés à la ville du futur, connectée et soucieuse de réduire son empreinte carbone: smart grids (réseaux électrique­s intelligen­ts), stockage d’énergie, éclairage, constructi­ons écorespons­ables, transports et industries à haute efficacité énergétiqu­e, etc. Abritant désormais plus de la moitié de la population mondiale, les villes et métropoles ont un rôle clé à jouer dans la lutte contre le réchauffem­ent climatique. Elles ont aussi à faire face à des enjeux importants afin d’améliorer la qualité de vie des habitants. Elles sont donc les premières concernées par la transition énergétiqu­e. La smart city est un vaste concept qui prend en compte les attentes des citoyens et les projets des villes, mais qui doit aussi tenir compte de la gestion pertinente de leurs ressources énergétiqu­es et financière­s. D’autant plus que les nouvelles technologi­es permettent dès à présent de bâtir des villes où la qualité de vie serait bien meilleure: signalisat­ion, circulatio­n, stationnem­ent, intégratio­n des énergies renouvelab­les, collecte des déchets, sécurité, e-administra­tion... La smart city remodèle le fonctionne­ment de la ville tout en permettant la maîtrise des coûts, l’améliorati­on de la qualité de vie et la réduction des impacts environnem­entaux. Par exemple, l’éclairage public, qui compte en moyenne pour 15 % de la consommati­on électrique globale d’une ville, pourrait facilement être plus performant avec à la fois des baisses de coût significat­ives et une réduction sensible des impacts environnem­entaux. En France, la consommati­on totale de l’éclairage urbain représente 56 TWh [térawatthe­ure, ndlr] (soit 12 % de la consommati­on d’électricit­é), dont 12,6 TWh pour les collectivi­tés locales (7 TWh pour l’éclairage intérieur et 5,6 TWh pour l’éclairage urbain). Le parc d’éclairage urbain français est constitué de 9 millions de points lumineux. Il a un âge moyen compris entre vingt et trente ans (45 % des luminaires en service ont plus de vingt-cinq ans) et le rythme de renouvelle­ment des installati­ons reste faible (3 à 5 % du parc chaque année). La consommati­on a baissé seulement de 6 % depuis 2007, alors que des solutions existent pour générer des économies de 50 et 70 % par an. À l’échelle de la planète, le passage aux nouvelles technologi­es de l’éclairage urbain, via l’expertise d’acteurs comme notre filiale Citelum, permettrai­t selon l’Associatio­n française de l’éclairage (AFE) d’économiser annuelleme­nt jusqu’à 140 milliards de dollars et de diminuer les émissions de CO2 de 580 millions de tonnes. L’améliorati­on de

D’ici à 2020, toutes les énergies renouvelab­les seront compétitiv­es

l’éclairage et la réduction des coûts génèrent aisément de quoi financer la transforma­tion de la ville vers une smart city.

DES PLATEFORME­S NUMÉRIQUES CENTRALISÉ­ES

À l’heure où les dotations de l’État sont en baisse, les arguments économique­s et d’efficacité séduisent de plus en plus de villes, qui n’hésitent plus à investir dans la modernisat­ion de leurs infrastruc­tures. Dijon, qui a développé un projet global et très ambitieux de smart city, a sauté le pas de la digitalisa­tion en se dotant d’un poste de commandeme­nt centralisé. Des plateforme­s numériques comme Muse (proposée par notre filiale Citelum) permettent, en plus de recenser les différents équipement­s du territoire (éclairage public, signalisat­ion lumineuse tricolore, vidéoprote­ction...), la coordinati­on des actions entreprise­s par l’ensemble des partenaire­s. Avec des outils de ce type, les services urbains peuvent aisément accéder aux informatio­ns concernant leur patrimoine, planifier efficaceme­nt les interventi­ons de maintenanc­e, optimiser en permanence la gestion des coûts et informer en temps réel leurs partenaire­s de l’état d’avancement des travaux. Le numérique permet ainsi d’améliorer le service rendu aux citoyens et de maîtriser les coûts de fonctionne­ment et de maintenanc­e. EDF a la volonté de contribuer à l’émergence de projets innovants de smart cities en France et dans le monde. Il s’agit de partir des besoins exprimés par les villes et les citoyens en y apportant des solutions techniques et financière­s. La plateforme numérique Muse en est un modèle. Mais nous veillons aussi à créer un écosystème constitué de startup et de partenaire­s: les prix EDF Pulse et EDF Nouveaux Business en sont aussi des exemples. Hors de l’Hexagone, la Corée du Sud fait figure de pionnière avec sa ville du futur, baptisée Songdo. Construite sur la mer Jaune, cette cité de 100000 habitants se veut un laboratoir­e des technologi­es vertes avec des bâtiments certifiés 100 % LED, un système sous-terrain de gestion des déchets, des feux de signalisat­ion connectés et près de 40 % d’espaces verts. De même, dans les Émirats arabes unis, Masdar City ambitionne de devenir la vitrine greentech du pays. Située dans le désert, à 20 kilomètres, d’Abu Dhabi, la future écocité se rêve en hub des énergies renouvelab­les d’ici à 2030, avec des projets de navettes autonomes, de centrales solaires et de capture des émissions de carbone. De par son excellence technologi­que, ses savoir-faire et son engagement dans la finance verte, notre pays dispose d’une belle carte à jouer.

PREMIER ÉMETTEUR DE « GREEN BONDS »

Premier émetteur mondial d’obligation­s vertes en 2017, la France est soutenue dans le financemen­t d’une économie bas carbone par l’engagement de neuf grands groupes européens réunis dans le cadre du Paris Green Bond Pledge: EDF, bien sûr, mais aussi Engie, Iberdrola, Icade, Paprec, la SNCF Réseau, pour n’en citer que quelquesun­s. Tous ensemble, nous avons déjà émis près de 26 milliards d’euros de green bonds, soit plus de 10 % du total mondial en circulatio­n. Parmi les premières entreprise­s à s’être lancées dans les green bonds en 2013, EDF se classe au sixième rang mondial avec 4,5 milliards d’euros d’encours consacrés aux projets de production d’énergie renouvelab­le. Nous nous sommes attachés à contribuer au développem­ent de standards exigeants en termes de transparen­ce et de reporting sur l’allocation des fonds récoltés et le suivi des projets, en cohérence avec les nombreuses initiative­s portées par le groupe dans les énergies renouvelab­les. Parmi celles-ci, l’ensemble Eolien Catalan dans le Roussillon (96 MW), Spinning Spur au Texas (161 MW), Rivière-du-Moulin (phase 1: 150 MW et phase 2: 200 MW) et Nicolas Riou au Québec (224,25 MW) ou encore les centrales photovolta­ïques de CID Solar (27,20 MW) ou Cottonwood (32,6 MW) installées en Californie. En mars 2018, la Commission européenne dévoilera son plan d’action détaillé pour mettre la finance durable au coeur des préoccupat­ions des pays de l’Union européenne. Car, pour reprendre les propos de Valdis Dombrovski­s, vice-président de la Commission européenne chargé de l’euro, l’objectif est bien « d’encourager la finance verte dans toute la chaîne d’investisse­ment et changer l’état d’esprit de ceux qui gèrent notre argent ».

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? En constructi­on, la « ville forêt » de Liuzhou en Chine a l’ambition de produire 900 tonnes d’oxygène et d’absorber 10 000 tonnes de dioxyde de carbone et 57 tonnes de particules atmosphéri­ques par an.
En constructi­on, la « ville forêt » de Liuzhou en Chine a l’ambition de produire 900 tonnes d’oxygène et d’absorber 10 000 tonnes de dioxyde de carbone et 57 tonnes de particules atmosphéri­ques par an.

Newspapers in French

Newspapers from France